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Donald Trump vs Kamala Harris : le vote chrétien, objet de toutes les convoitises


Lundi 21 octobre, Caroline du Nord. Responsables religieux et fidèles de ce swing state sont légion à être venus assister à “la rencontre des leaders religieux de la 11e heure”. Smartphone en main et casquette Maga (Make America Great Again) sur la tête, la foule scande énergiquement le nom du candidat républicain. Sourire pincé aux lèvres, Donald Trump savoure quelques instants, avant d’interrompre les chœurs et d’entonner son discours.

Celui-ci a été pensé, fabriqué, emballé par la sphère trumpiste. L’objectif ? Faire du candidat républicain à la présidentielle un messie envoyé pour sauver les Etats-Unis. “J’aime à penser que Dieu m’a sauvé dans un but précis, celui de rendre notre pays plus grand que jamais”, lâche Donald Trump. Une référence à la tentative d’assassinat qui, à quelques millimètres près, aurait pu coûter sa vie à l’ancien magnat de l’immobilier.

Donald Trump, choix de raison pour l’électorat chrétien ?

Cette date historique du 13 juillet dernier, Donald Trump en a fait un argument de campagne à part entière, notamment auprès des électeurs chrétiens. Une manne électorale qui couvre à elle seule près de deux tiers du bassin électoral américain et sur laquelle le Grand Old Party compte depuis les années 1980. La stratégie électorale part d’un constat : dans ses travaux, le chercheur Robert Wuthnow, cité dans un rapport de l’Ifri, a observé qu’une ligne de démarcation s’était instaurée à l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan, entre le vote prorépublicain des chrétiens pratiquants d’une part, et celui prodémocrate des non-croyants ou non-pratiquants d’autre part.

Une frontière qui, bien que suffisamment poreuse pour laisser passer des transfuges, semble perdurer à quelques jours de l’élection présidentielle de 2024. D’après un rapport du Pew Research Center et du Public Religion Research Institute, 61 % des protestants et 52 % des catholiques affirment qu’ils voteront pour Donald Trump le 5 novembre prochain. La part grimpe à 82 % pour les protestants évangéliques blancs et à 61 % pour les catholiques blancs. Des chiffres qui pourraient surprendre, tant Donald Trump a pu, à de nombreuses reprises, apparaître aux antipodes des valeurs chrétiennes et traditionalistes.

Scandales sexuels, affaires de corruption, ou encore infidélité… Difficile d’ériger le candidat républicain en parangon de vertu. “Donald Trump n’est pas particulièrement apprécié par les électeurs chrétiens pratiquants”, explique le directeur d’études à Ipsos Mathieu Gallard. “Cet électorat comprend bien que Donald Trump est bien loin de mener une vie conforme aux préceptes de l’Evangile. Mais d’un point de vue rationnel, poursuit l’auteur de l’ouvrage Les Etats-Unis au bord de la guerre civile ? (L’Aube), les électeurs chrétiens se disent qu’il sera le candidat le plus à même de donner corps à ce qu’ils défendent.”

Le glissement des croyants hispaniques et des Afro-Américains

Nombre d’entre eux n’ont par exemple pas été indifférents à la nomination lors de son premier mandat de trois juges conservateurs à la Cour suprême. Un réagencement de la Scotus qui a permis l’invalidation de l’arrêt Roe v. Wade au printemps 2022 et a ainsi octroyé aux Etats fédérés la possibilité de revenir sur le droit à l’avortement. Les chrétiens les plus conservateurs y ont vu une victoire après un long combat moral, créditée à Donald Trump, dont les faits d’armes n’ont pas laissé insensibles certains pans de l’électorat religieux démocrate. A l’instar des Hispano-Américains. “Les Latinos sont très religieux, et pour beaucoup, très conservateurs, ancrés dans une vision anti-avortement, anti-ouverture des droits LGBT”, rappelle Mathieu Gallard.

Ainsi, bien qu’ils soient toujours une majorité à envisager de voter démocrate en 2024, la proportion de Latino-Américains prêts à glisser un bulletin Donald Trump dans les urnes a légèrement augmenté par rapport à la présidentielle de 2020. 36 % des Hispano-Américains avaient alors voté pour le chantre du Maga (un slogan de campagne déjà utilisé par Ronald Reagan lors de la campagne présidentielle de 1980 et repris par Donald Trump). Ils sont aujourd’hui près de 40 %, d’après un rapport du Pew Research Center. Une étude du New York Times remonte même jusqu’à la présidentielle de 2012 : à l’époque, seuls 27 % des Latino-Américains avaient voté pour le candidat républicain d’alors, Mitt Romney.

Si la marge de progression depuis 2020 paraît faible, celle-ci pourrait toutefois faire la différence dans les urnes tant l’écart entre les deux candidats est ténu. Depuis plusieurs mois, d’aucuns martèlent que la victoire se jouera à quelques milliers de voix près. L’entourage de Donald Trump ne le sait que trop bien. Aussi ce dernier n’hésite-t-il pas à se servir du conservatisme religieux comme d’un cheval de Troie pour attirer dans son giron des segments de l’électorat démocrate chrétien, constitué en grande partie d’Afro-Américains. D’après un rapport du Pew Research Center toujours, 97 % des Afro-Américains affirment croire en Dieu, et plus de la majorité – deux tiers – se dit protestante. Si ces électeurs sont historiquement acquis aux démocrates, ils seraient de plus en plus nombreux à voter républicain.

D’après les chiffres de Pew Research, seuls 8 % des Afro-Américains avaient voté pour le milliardaire républicain lors de la précédente élection suprême. Quatre ans plus tard, ils sont près de deux fois plus à exprimer leur envie de voir Donald Trump retourner à la Maison-Blanche. “Les Afro-Américains religieux sont de plus en plus nombreux à être mal à l’aise avec les combats sur lesquels s’engagent les démocrates, comme les droits LGBT, ou encore l’avortement qui est revenu au centre de la campagne de Kamala Harris. Et bien que le phénomène soit loin d’être massif, certains se rapprochent de Donald Trump présenté comme seul défenseur des valeurs chrétiennes”, explique Mathieu Gallard. Une rhétorique utilisée par le milliardaire lui-même, qui agite régulièrement l’idée selon laquelle Kamala Harris tordrait le cou aux libertés religieuses si elle venait à succéder à Joe Biden.

L’anniversaire de Kamala Harris à l’Eglise

Dans un scrutin qui pourrait bien être le plus serré de l’histoire moderne des Etats-Unis, chaque voix compte. Et les démocrates savent donc bien qu’ils ne peuvent pas se passer de l’électorat religieux afro-américain, qui constitue pour eux un matelas électoral historique. Ainsi, bien qu’arrivée en fin de parcours, Kamala Harris ne s’est pas payé le luxe – contrairement à John Kerry en 2004 – d’enjamber la traditionnelle visite des Eglises protestantes noires. En perte de vitesse dans les derniers kilomètres de la course à la Maison-Blanche, la vice-présidente s’est rendue dans deux Eglises protestantes de l’Etat clé de Géorgie le 20 octobre dernier : la New Birth Missionary Baptist Church d’Atlanta et le Divine Faith Ministries International à Jonesboro.

La date choisie n’a rien d’anodin. Ce dimanche-là, Kamala Harris fête son 70e anniversaire. La démocrate est accueillie par la sérénade “Happy Birthday” chantée en live par Stevie Wonder lui-même. Un artiste né à l’aube des années 1950, qui a connu la période pré-Civil Rights, où la ségrégation ethnique était la règle. Tout un symbole. Quelques minutes plus tôt, l’ancienne procureure de San Francisco interrogeait les fidèles : “Quel genre de pays voulons-nous ? Un pays de chaos, de peur et de haine, ou un pays de liberté, de compassion et de justice ?”

Le tout sans pointer explicitement du doigt son adversaire Donald Trump. Si les candidats peuvent se rendre dans des lieux de culte, tout discours à forte coloration politique serait en effet immédiatement perçu comme une maladresse. Métaphores et sous-entendus sont donc légion. Il faut convaincre sans enjoindre. C’est l’essence même de l’opération “Souls to the Polls” (en français, “les âmes aux urnes”) dans le cadre de laquelle Kamala Harris est intervenue mi-octobre. Une initiative dont la genèse remonte aux années 1990 et qui consiste à encourager les fidèles à se rendre aux urnes après l’office dominical. “Mais attention, le pasteur ne donne aucune consigne de vote. Il se borne à des formules laconiques : ‘votez pour vos valeurs’ou encore’votez bien’, insiste le spécialiste Lauric Henneton. Reste que dans les faits, le message est assez limpide car les lieux de culte sont très politisés.”

Les églises, lieux de politisation

La porosité entre le religieux et le politique s’inscrit dans l’Histoire civique des Etats-Unis. Car s’il existe bel et bien outre-Atlantique une séparation de l’Eglise et de l’Etat, celle-ci est “essentiellement circonscrite au domaine fiscal”, souligne Lauric Henneton, qui poursuit : “Sans les évangéliques, l’abolition de l’esclavagisme n’aurait pas eu lieu au XIXe siècle.” C’est en effet dans la matrice religieuse que germe l’activisme social et politique du XIXe et XXe siècle qui donnera naissance au mouvement pour les droits civiques. Ce n’est pas non plus un hasard si une des icônes du mouvement, Martin Luther King, était pasteur.

Les églises américaines ne sont d’ailleurs pas uniquement des lieux de culte. Encore aujourd’hui, elles constituent un espace de socialisation et de politisation où les communautés se regroupent non pas uniquement par chapelle, mais également par affinité idéologique. “Les communautés noires ont créé un lien très fort avec le parti démocrate, très engagé dans la lutte pour l’acquisition des droits civiques, et votent donc aujourd’hui encore massivement pour ce parti”, explique Mathieu Gallard.

Une homogénéité ethnico-politico-religieuse qui tendrait toutefois à s’effriter. “Les jeunes Afro-Américains croyants semblent avoir comme perdu contact avec cette mémoire, observe Lauric Henneton. Raison pour laquelle ils se laissent plus facilement tenter par le discours Trump.” Suffisamment pour mettre en péril l’avenir du parti démocrate ? “On en est encore loin, nuance toutefois le spécialiste. D’autant qu’on assiste en parallèle à une hausse des agnostiques qui ont tendance à voter pour le camp démocrate.” S’élargir sans trop se dégarnir. Dans cette élection à l’issue des plus incertaines, tel est le credo qui permettra, à l’un des deux candidats, de signer un bail de quatre ans à la Maison-Blanche.




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