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Un an après l’arrivée de Javier Milei, le grand chamboulement de l’économie argentine

“No hay plata” – il n’y a pas d’argent. En décembre 2023, en bas des marches du Congrès, le nouveau président argentin est lucide sur l’état du pays dont il hérite. Pas question de faire des détours de langage pour celui qui se présente comme un économiste avant d’être politicien. Après plusieurs décennies de péronisme [NDLR : mouvement politique inspiré par Juan Perón], l’Argentine est rongée par une inflation chronique, minée par une dette gigantesque et boudée par les investisseurs internationaux. Pourtant, l’ampleur du chantier ne donne pas le vertige à Javier Milei, adepte de “l’anarcho-capitalisme”, qui est convaincu de la voie à prendre : “il n’y a pas d’alternative au choc”, martèle-t-il. Le ton de sa politique est donné : elle sera agressive et sans concessions.

Près d’un an après avoir pris place à la Casa Rosada, le siège de l’exécutif argentin, le président bénéficie d’un taux de soutien qui oscille entre 45 et 50 %. Score remarquable pour celui qui a fait avaler une potion amère de réformes dont les conséquences ont, à court terme, fragilisé le pays.

Eteindre l’incendie

Dès le premier jour de son mandat, la priorité de Javier Milei est d’assécher le déficit budgétaire. Et, s’il le faut, à l’aide de son outil préféré : la tronçonneuse. “Le système politique argentin s’est habitué à l’excès de dépenses. Sous Cristina Kirchner, elles se sont envolées à 45 % du PIB”, déplore auprès de L’Express Emilio Ocampo, l’ancien conseiller économique de Milei. “Le pays était bloqué dans une spirale où la Banque centrale imprimait des billets pour financer le déficit, ce qui entraînait une hausse de l’inflation.” Pour éteindre l’incendie fiscal, Milei actionne tous les leviers : réduction du nombre de ministères, baisse des subventions, contraction des transferts aux provinces. Un ajustement sans précédent, autant par sa rapidité que par son ampleur.

Les coupes drastiques ne tardent pas à porter leurs fruits : dès le premier trimestre 2024, le pays enregistre un excédent budgétaire. Une première depuis 2008, se félicite Milei en avril, annonçant aux Argentins “que plus de la moitié du chemin a été parcourue”. La dynamique se poursuit les mois suivants, sous l’œil satisfait du Fonds monétaire international (FMI), avec lequel le pays n’a pas toujours entretenu des relations apaisées. Par ailleurs, le solde commercial s’améliore et les taux de change officiel et informel entre le peso et le dollar convergent. “Nous avons été très surpris de voir tout ce que Milei a pu faire, étant un outsider politique et sans un fort soutien au Congrès”, confie Todd Martinez, coresponsable des notations souveraines pour les Amériques à l’agence de notation Fitch.

Mais la plus grande prouesse du gouvernement est d’avoir terrassé l’inflation. Au-delà de 25 % en décembre, le taux mensuel est passé sous la barre des 4 % en septembre. “La société était prête à faire des sacrifices importants, notamment sur la qualité de vie, pour essayer de régler le problème de l’inflation qui empirait”, se souvient Martin Kalos, directeur du cabinet de conseil EPyCA Consultores.

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Le taux de pauvreté a grimpé à 53 %

En dépit de ces progrès, des milliers d’Argentins battent le pavé à Buenos Aires depuis plusieurs mois, brandissant des pancartes où l’on peut lire “La faim n’attend pas” ou “Non à l’ajustement”. Car cette politique a un prix : le taux de pauvreté a grimpé à 53 % au premier semestre 2024, contre 40 % un an plus tôt, et près des deux tiers des 15-29 ans vivent désormais sous le seuil de pauvreté. Leur pouvoir d’achat a notamment pâti de la suppression des subventions sur l’énergie, l’eau et le transport. Et pour réduire davantage les dépenses publiques, le président s’est aussi attaqué aux retraites et au budget des universités. “Pour l’instant, la société tient le coup, mais on ne sait pas pour combien de temps encore”, s’inquiète Martin Kalos.

Le pays s’enfonce dans la récession. A l’exception de l’agriculture ou de l’énergie, de nombreux secteurs ont vu leur activité décliner : la filière de la construction a plongé de 30 % en un an du fait de l’arrêt des travaux publics ordonné par le président. “En fait, Milei a réussi à faire baisser l’inflation en cassant la demande et l’activité”, résume Bruno De Moura Fernandes, responsable de la recherche macro-économique chez Coface.

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Pourtant, ces conséquences étaient bien anticipées par le président argentin. En décembre, il prévenait que son choc fiscal aurait un impact négatif sur le niveau d’activité, l’emploi et la pauvreté – “une étape difficile, qui serait suivie d’une lumière au bout du chemin”. Et quelques signaux positifs sont déjà visibles : les salaires réels du secteur privé ont augmenté de 10 % depuis décembre 2023, remarque Luca Moneta, économiste senior à Allianz Trade, tandis que la réactivation du crédit privé contribue à redresser l’activité.

Des paroles aux actes

Clamées dans des discours pleins de fougue, les promesses de campagne de Milei n’ont pas toutes été tenues. Le projet de “dollariser” l’économie a finalement été repoussé. Au grand dam d’Emilio Ocampo : “Les Argentins utilisent déjà plus le dollar que le peso. Le problème est que la liquidité est gardée en dehors du système bancaire et ne contribue donc pas à la croissance”, argumente l’ancien conseiller du président, qui a préféré démissionner peu après l’élection, estimant qu’il “n’était plus la bonne personne pour diriger la Banque centrale si la dollarisation n’était pas officiellement prévue”.

Plus largement, beaucoup pointent le manque de clarté de la politique monétaire. Contrairement à ses déclarations d’octobre 2023, lorsqu’il comparait le peso à un “excrément”, le président argentin semble à présent vouloir encourager la confiance dans la devise nationale. Quant à la fermeture de la Banque centrale – évoquée lors de la campagne – elle n’a pas eu lieu.

Le véritable défi reste la sortie du contrôle des changes, qui empêche les entreprises étrangères de rapatrier leurs gains en dollars vers leur pays. “Il nous paraît surprenant que Milei soit aussi à l’aise dans le maintien de cette politique loin d’être libérale”, soulève Todd Martinez. De son côté, la Banque centrale explore toutes les options pour amplifier ses réserves en dollars. La loi d’amnistie fiscale, qui exonérait d’impôts les dépôts de moins de 100 000 dollars, a incité de nombreux Argentins à sortir leurs billets verts de sous leurs matelas. “Cette loi montre que le gouvernement est prêt à faire ce qu’il faut pour supprimer le contrôle des changes. Les dépôts en dollars ont augmenté d’environ 12 milliards au cours des derniers mois, soit plus que ce que l’Argentine doit au FMI au titre de sa dette en 2025”, observe Luca Moneta.

Optimisme prudent

Malgré la détermination du gouvernement Milei, la transformation du pays s’opère lentement. Au Parlement, le parti présidentiel, La Libertad Avanza, ne dispose pas de majorité. Les résultats des prochaines élections en 2025, puis 2027, seront cruciaux. “La grande question est de savoir qui viendra après Milei. Si c’est un gouvernement qui augmente à nouveau la dépense publique, tous ces efforts auront été vains”, prévient Juan Luis Bour, économiste en chef au think tank Fiel. D’ici là, un “optimisme prudent” règne dans les milieux d’affaires, observe Martín Simonetta, professeur d’économie à la Universidad de Ciencias Empresariales. “Les investisseurs internationaux attendent de voir si Milei réussira à libérer le contrôle des changes ou si le pays replongera dans une énième crise”, explique Bruno De Moura Fernandes.

En attendant, l’Argentine négocie depuis plusieurs mois un nouveau paquet d’aides avec le FMI. Après une récession attendue cette année, l’institution table sur un bond de 5 % en 2025. Qui sait, peut-être la lueur au bout du tunnel promise par Milei ?




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