*.*.*.

Interdiction du cumul des mandats : une réforme aux résultats désastreux, par Denys de Béchillon


Dans la famille des fausses bonnes idées, la prohibition du cumul des mandats applicable aux parlementaires occupe une place de choix. Nombreux sont ceux qui y voyaient une quasi-panacée : en interdisant l’exercice simultané d’une fonction exécutive locale, on allait enfin fabriquer une classe de professionnels de la loi et du contrôle du gouvernement, libérés des tentations de l’absentéisme et ainsi rendus dignes de s’élever à la noblesse et au niveau de performance attendus. Mais l’on découvre – pour autant que l’on accepte d’aller y voir – que cette réforme a produit des résultats assez désastreux parce qu’elle a refermé encore un peu plus le bocal dans lequel vivent nos représentants et élevé le niveau de déréalisation ambiant. Pile ce dont nous n’avons pas besoin.

Observons la condition personnelle d’un député moderne – le cas des sénateurs est un peu différent – et demandons-nous ce qu’il trouve sur le marché des raisons de vivre. En vérité, pas grand-chose. A titre individuel, il ne dispose d’aucun pouvoir – et surtout plus de celui de se rendre prosaïquement utile aux ressortissants de sa commune en faisant réparer les trottoirs ou en s’occupant de faire respecter l’ordre public. Il n’exerce aucune responsabilité, mis à part la gestion de ses collaborateurs, et n’en a d’ailleurs presque jamais exercé lorsqu’il s’est fait élire jeune. La perception qu’il a de l’importance de sa tâche se trouve ainsi étalonnée par la seule idée qu’il s’en fait et par l’énergie qu’il va mettre dans le projet d’exister tout à la fois comme individu et comme fraction du “collectif” auquel il revendique d’appartenir – sa formation politique.

Il vocifère en séance

Partant, il vibrionne. Il s’agite. Il dépose des propositions de loi et des amendements à ne plus que savoir en faire – le site “nosdeputes.fr” l’y incite d’ailleurs avec enthousiasme, qui quantifie ses “interventions” comme autant de signes d’excellence. Il vocifère en séance – le commun des mortels ne sait pas qu’on ne s’y entend plus parler tellement il y a de bruit. S’il s’est rendu désirable sur les réseaux sociaux, il ajoute une couche de “clash” et de “buzz” au gâteau de son image publique – Ah, les déclarations d’Ersilia Soudais… Et c’est ainsi que, luttant à la fois contre l’ennui et l’indifférence, il sabote la machine en la privant de ses carburants nécessaires : le temps de vrai travail, la réflexion, l’écoute, le minimum de sérénité nécessaire, la tension maintenue vers le bien commun…

Mais ils font de la politique, me direz-vous ! De la “poloche” ! Sans contredit. Ça calcule, ça machiavelise en chambre, ça monte des coups, ça songe aux élections d’après, ça voit midi à sa porte… Comme si ces jeux-là donnaient la mesure de toute chose ; comme si rien d’autre n’était plus important. Sauf qu’il s’agit de leur monde, pas du nôtre ; de leurs préoccupations, pas des nôtres. Dans le fond, les populistes n’ont pas tout à fait tort de reprocher à nos élus de ne pas se préoccuper assez de ce dont les gens ont besoin. Tout concourt à ce qu’ils pensent à autre chose, si ce n’est autrement.

Vase clos, dinguerie assurée. A l’état chimiquement pur, aucune croyance, aucune idéologie n’a jamais dirigé une nation de manière acceptable. Il faut un supplément aux acteurs politiques : une confrontation au réel, une expérience, une aptitude à en tirer des leçons et – ce qui va normalement avec – un poil de considération pour l’expérience des autres. Un peu d’air et de calme, aussi.

La prohibition du cumul des mandats a imposé au Parlement une fermeture existentielle et cognitive profonde, aussi toxique pour la bonne marche de l’institution que pour l’hygiène mentale des intéressés. Le double repli qui en a résulté – sur eux-mêmes et sur la politique politicienne – a aggravé leur difficulté à appréhender objectivement les problèmes du pays et à leur apporter une réponse raisonnable. À l’heure où, de fait, le pays se re-parlementarise, ces impuissances sont plus que jamais dangereuses. Même si cela ne suffira évidemment pas à repousser tous les démons, il faut remettre sur l’établi le thème du cumul des mandats.




Source
Exit mobile version