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Donald Trump élu président : “Pour Boeing, son profil guerrier est une bonne nouvelle”


La victoire de Donald Trump à l’élection américaine, un bol d’air pour Boeing ? Les activités militaires de l’avionneur américain pourraient tirer profit du retour du républicain à la Maison-Blanche, selon Paul Chiambaretto, professeur à la Montpellier Business School et directeur de la chaire Pégase sur l’économie et le management du transport aérien. Pour le reste du secteur aéronautique, les perspectives sont plus contrastées, entre la flambée attendue des droits de douane et le risque d’une remise en cause des subventions accordées à la filière des carburants durables.

L’Express : Que change la réélection de Donald Trump aux affaires du secteur aéronautique ?

Paul Chiambaretto : A peine quelques heures après son élection, il est difficile de faire des pronostics. Néanmoins, on peut essayer de tirer quelques leçons de sa campagne. Pour Airbus, les barrières tarifaires évoquées ces derniers mois par Donald Trump ne devraient pas avoir un impact négatif, car le groupe possède une usine aux Etats-Unis, à Mobile, en Alabama. Une usine construite à l’époque [NDLR : en 2015] pour lui permettre de remporter des contrats auprès des compagnies locales et dire qu’acheter Airbus, c’était acheter américain.

Pour les fournisseurs, qu’ils servent Airbus, Boeing ou encore SpaceX, tout dépend de leur implantation. Si les pièces – moteurs, sièges, toboggans – sont produites aux Etats-Unis, les fournisseurs auront tendance à être protégés de cette guerre commerciale. Mais si elles sont fabriquées en dehors des Etats-Unis, elles seront soumises à des droits de douane de 40, 50, voire 60 %. Les constructeurs américains chercheront donc des alternatives sur le territoire des Etats-Unis et délaisseront ces partenaires, au profit de concurrents locaux plus compétitifs.

Pour Boeing, en grande difficulté financière et opérationnelle depuis plusieurs mois, le retour du candidat républicain est-il une bonne nouvelle ?

Donald Trump a un profil plus “guerrier” que le président Joe Biden. Or, Boeing génère une part très importante de ses revenus grâce aux activités de défense, c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le groupe a déménagé son siège à Washington, pour être plus proche du Pentagone. Une bonne partie de sa “recherche et développement” – même civile – bénéficie de fonds militaires. Un président favorable aux dépenses militaires peut donc avoir des répercussions positives très lucratives pour Boeing et contribuer à un redressement du groupe plus rapide que prévu. C’est aussi un président qui a une vision très patriotique de l’économie, qui cherche à promouvoir les champions américains au détriment de leurs concurrents étrangers.

Si Donald Trump revient sur l’Inflation Reduction Act (IRA), instauré par Joe Biden, dans quelle mesure ce virage peut-il perturber le secteur ?

L’IRA a permis de subventionner largement les énergies renouvelables, et il a contribué au développement d’une importante filière américaine de carburants durables, les SAF. La suppression de ces aides pourrait avoir diverses conséquences sur les compagnies aériennes, qu’elles soient américaines ou non. En Europe, un règlement de l’Union européenne contraint les compagnies aériennes à emporter de plus en plus de SAF dans les avions, en mélangeant du carburant d’aviation durable et du kérosène. Mais l’Europe n’en produit pas assez pour répondre à ses besoins. Nos compagnies aériennes se fournissent donc aux Etats-Unis, où ces SAF sont d’ailleurs nettement moins chers. Si les Américains réduisent leur production faute d’aides, les Européens seront pénalisés. Revenir sur ces subventions mettrait en péril la filière SAF alors que ce carburant permet de réduire les émissions de CO2 de 80 % – mais nul n’ignore que, pour Donald Trump, les enjeux environnementaux ne sont pas prioritaires.

Dans l’aéronautique, la cible de la guerre commerciale voulue par Donald Trump sera donc davantage l’Europe que la Chine ?

On ne sait pas si cette guerre commerciale annoncée aura lieu ou pas. Ni si elle s’orientera contre l’Europe ou contre la Chine. Si elle vise le marché chinois, elle se transformera en un affrontement entre Boeing et Comac, l’avionneur local. Mais Boeing vend aussi beaucoup d’avions en Chine…

Comac peut-il devenir un concurrent sérieux pour Airbus et Boeing ?

Les prévisions de livraisons d’avions dans les vingt prochaines années montrent que 20 % le seront en Chine. Sur ce marché, Comac est déjà un acteur important, fortement soutenu par l’Etat chinois, qui invite de plus en plus les compagnies aériennes locales à commander des appareils Comac. Son C919 est de plus en plus demandé, mais il n’est pas encore certifié par les autorités européennes et américaines pour voler ailleurs que dans le ciel chinois. A court terme, il n’est donc pas une menace.

A plus long terme, il est difficile d’estimer ce que Comac représentera. Personne n’imaginait au début des années 1970 qu’Airbus, petit constructeur européen, deviendrait le plus gros acteur mondial quarante ans plus tard. Peut-être que dans quarante ans, Comac fera jeu égal avec Airbus et Boeing, voire les dépassera.

Pour l’instant, le marché est encore un duopole. Airbus tire-t-il profit des déboires de Boeing ?

Sur le marché des avions commerciaux, Airbus et Boeing totalisent près de 90 % des livraisons. Les 10 % restants proviennent essentiellement de constructeurs régionaux : Comac, mais aussi Embraer, le brésilien. Pour autant, Airbus ne profite pas des difficultés de Boeing, du fait précisément de ce duopole. Les constructeurs d’avions disposent aujourd’hui de sept à huit ans de carnet de commandes d’avance : la compagnie qui commande un appareil en 2024 à Airbus ou Boeing le recevra à l’horizon 2032. Il n’y a donc pas vraiment d’agressivité commerciale entre les deux acteurs. Leurs perspectives sont telles qu’en réalité, voir leur concurrent faire faillite et devoir honorer ses commandes serait plus un problème qu’autre chose. Le délai d’attente s’allongerait à quinze ans !

A quoi sont dus ces délais ? Pourquoi les constructeurs n’augmentent-ils pas leur cadence de production ?

Au-delà du fait que les avions sont des produits complexes à construire, le problème vient actuellement des fournisseurs. On a tendance à définir Airbus et Boeing comme des constructeurs d’avions, ce sont en réalité des assembleurs. Ils assurent la “R & D,” la conception des appareils et finalisent l’assemblage. Mais les différentes parties de l’avion sont principalement fabriquées par des milliers de fournisseurs, partout dans le monde, qui sont d’ailleurs souvent communs à Airbus et Boeing.

Pendant la crise sanitaire, la production des usines chez Airbus, comme chez Boeing, a été fortement ralentie. Les deux groupes ont alors mis en œuvre des plans de départ volontaires : les ouvriers et les ingénieurs les plus expérimentés sont partis à la retraite de manière anticipée. Post-Covid, quand ils ont voulu relancer la production, ils ont eu énormément de mal à retrouver ces compétences sur le marché.

En France, en Europe, ainsi qu’aux Etats-Unis dans une moindre mesure, l’intérêt pour les métiers industriels s’est perdu. Les jeunes ne rêvent pas d’être chaudronniers pour Airbus, alors qu’ils gagneraient très bien leur vie. Ils préfèrent entrer dans une entreprise de services, quitte à toucher un salaire plus faible. Parfois par manque de connaissance de ces métiers, parfois parce qu’ils pensent qu’ils ne sont pas faits pour ça. Airbus est globalement prêt à relancer sa cadence à un rythme équivalent ou même supérieur à celui d’avant-Covid, mais se retrouve à attendre les pièces de ses fournisseurs qui ont de vraies difficultés à recruter. Le système tourne aujourd’hui au maximum de ses capacités, ou en tout cas au rythme de la capacité maximale du maillon le plus faible dans la chaîne de production.




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