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Vincent Pons : “Les 120 millions de dollars d’Elon Musk en faveur de Donald Trump ont été déterminants”

Cette élection n’est pas à un paradoxe près. Alors que Donald Trump a promis des baisses d’impôts pour les plus riches, ce sont les classes populaires qui ont massivement voté pour le candidat républicain. De même, les plus défavorisés devraient être les grands perdants de la politique commerciale agressive de Donald Trump, fondée sur une augmentation des droits de douane. Une politique inflationniste qui touchera d’abord les moins aisés. Pour L’Express, Vincent Pons, professeur à la Harvard business school, décrypte les ressorts de la victoire de Donald Trump, le déni de réalité sur la situation économique réelle des Etats-Unis… Et le soutien essentiel d’Elon Musk dans la victoire du candidat républicain.

L’Express : Les sentiments de perte de pouvoir d’achat et de déclassement ont été au cœur de la campagne de Trump, alors même que la situation de l’économie américaine est plutôt florissante. Comment expliquer les effets de ce décalage dans la victoire du candidat républicain ?

Vincent Pons : L’économie a effectivement été au cœur de cette campagne, largement devant les questions sociétales défendues par Kamala Harris, comme l’avortement. Lorsqu’on demandait aux électeurs quelle était leur préoccupation principale, les sujets économiques, et notamment l’inflation, arrivaient largement en tête, devant l’immigration ou l’avenir de la démocratie américaine. 45 % des électeurs estiment que leur situation financière s’est détériorée durant les années Biden. Et parmi eux, 80 % ont voté pour Donald Trump.

Ceux qui, au contraire, estimaient que leur situation s’est maintenue ou même améliorée ont voté à 76 % pour Kamala Harris. Ces écarts sont considérables. De fait, les ménages américains se disent très insatisfaits de l’inflation et du niveau des taux d’intérêt. Ces deux sujets sont liés car si la Banque centrale a beaucoup augmenté ses taux d’intérêt à partir de 2021, c’est parce que l’inflation avait effectivement dérapé. Mais si on regarde froidement les chiffres, cette histoire de dérapage inflationniste, c’est presque de l’histoire ancienne. La hausse des prix est revenue dans l’épure fixée par la Fed, autour de 2 % l’an, et la Réserve fédérale a commencé à réduire ses taux d’intérêt. Par ailleurs, la croissance est solide – davantage qu’en Europe – et le chômage toujours très bas, autour de 4 %. Mais pour la première fois dans une élection américaine, la situation économique réelle n’a pas compté. Le ressenti l’a emporté.

En matière de ressenti, le soutien financier et médiatique d’Elon Musk, propriétaire du réseau social X, a-t-il joué dans le vote Trump ?

Il a été déterminant car cette campagne américaine a été la plus dispendieuse de l’histoire. Et l’argent est un facteur clef. Les dépenses avaient déjà explosé en 2016, puis en 2020, mais, cette fois, de nouveaux sommets ont été atteints. Le contexte réglementaire a largement joué. Alors que les sommes versées directement à un candidat étaient plafonnées, un arrêt de la Cour suprême a rendu illimité les montants versés par des individus ou des entreprises à des Super PACs, des “Political action committee”. Ce sont ces organismes qui financent directement des campagnes en faveur d’un candidat. Ces Super PACs peuvent aussi lever de l’argent auprès d’autres organismes et, en réalité, il est extrêmement difficile de tracer l’argent. Elon Musk a donné 120 millions de dollars à “l’America PAC”, lequel a financé des campagnes télévisées pro Trump mais également – et c’est une première – des campagnes de terrain. Cet argent a permis l’embauche de 2 500 personnes qui ont fait du porte-à-porte pendant des semaines dans tous les swing states. On estime que 10 millions d’électeurs auraient ainsi été directement touchés.

Donald Trump fait reposer une grande partie de son programme économique sur une augmentation des droits de douane. N’est ce pas incompatible avec sa promesse de réduire l’inflation ?

Cette promesse n’a aucun sens puisque l’inflation a déjà reflué. Il est très clair que si le nouveau président met sa menace d’augmentation générale des droits de douane à exécution, l’impact sera très sensible sur l’inflation, ce qui sera un facteur de creusement des inégalités. Ceux qui consomment la plus grande part de leurs revenus sont les plus pauvres. Les plus aisés, qui ont une capacité d’épargne plus élevée, vont bénéficier des réductions d’impôts. L’augmentation des droits de douane a le même effet inégalitaire que le relèvement de la TVA, alors même que Donald Trump a été élu en remportant massivement le vote des couches populaires. Les électeurs qui gagnent moins de 50 000 dollars par an, et même moins de 100 000 dollars, ont voté massivement pour Donald Trump tandis que Kamala Harris a remporté le vote des plus aisés. Or, ce sont les plus pauvres qui seront principalement affectés par la politique économique de Donald Trump.

De même, ses propositions d’expulser les travailleurs immigrés ne risquent-elles pas de mettre l’économie à terre et d’attiser les tensions inflationnistes ?

Bien sûr. C’est un élément qui s’ajoute à l’effet inflationniste des droits de douane. Le départ d’une bonne partie des travailleurs immigrés va frapper de plein fouet le secteur des services où les pénuries de main-d’œuvre sont très fortes. Les entreprises n’auront pas d’autre choix pour retenir leurs salariés que d’augmenter significativement les salaires, avec le cercle vicieux qui peut s’enclencher sur l’inflation et, à la fin, sur le niveau des taux d’intérêt. C’est totalement contre-productif.

Donald Trump a promis une baisse massive des impôts, notamment de l’impôt sur les sociétés, alors que le déficit public est déjà très élevé et que la dette atteint des niveaux stratosphériques. L’endettement américain peut-il devenir un problème ?

Oui, c’est un risque assez mécanique dès que vous baissez les impôts sans réduire à proportion les dépenses. Le déficit public va se creuser et la dette aussi. L’endettement public américain culmine déjà à 125 % du PIB, il pourrait atteindre 136 % d’ici 10 ans. Après, sa soutenabilité dépendra de deux facteurs : le niveau de la croissance et celui des taux d’intérêt. Sur le deuxième point, l’accentuation des pressions inflationnistes jouera en faveur de taux d’intérêt plus élevés, ce qui aura mécaniquement un effet sur la charge de la dette.

Quelle réponse doit avoir l’Europe après l’élection de Donald Trump ?

A très court terme, l’Europe va devoir reprendre son destin en main, surtout si le président américain se retire de l’Otan ou réduit son soutien militaire et financier à l’Ukraine. En termes de politique commerciale, l’Europe va devoir aussi prendre une décision. Donald Trump a dynamité, lors de son premier mandat, “la mondialisation heureuse” à laquelle s’accrochait l’Europe. De fait, par la suite, les démocrates avec Joe Biden ne sont pas revenus sur cette politique protectionniste. L’Europe va-t-elle réagir cette fois ou restera-t-elle le chef de file des économies libérales qui croient encore aux bienfaits des échanges ? Tout est à construire.




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