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La stratégie de Volodymyr Zelensky pour convaincre Donald Trump de ne pas abandonner l’Ukraine


“Bombes planantes sur Soumy” ; “les démocrates perdent la Géorgie” ; “envoi de missiles depuis Koursk” ; “Trump gagne la Pennsylvanie ” : la nuit du 5 novembre a été agitée pour les Ukrainiens, alors que les journaux égrenaient les bombardements russes et les États remportés par Donald Trump, une double réalité étroitement liée. Car dans les couloirs de Bankova – la “Maison-Blanche ukrainienne” -, on se prépare depuis longtemps à un changement de présidence aux États-Unis. Volodymyr Zelensky s’est d’ailleurs empressé de féliciter le futur président des Etats-Unis, le premier allié de l’Ukraine avec 175 milliards de dollars versés depuis 2022.

“Donald Trump peut, de manière vraiment imprévisible, nous donner tout ce dont nous avons besoin si nous acceptons de négocier. Il peut aussi interrompre les livraisons s’il oublie soudainement où nous sommes”, analyse Oleksandr Kraïev, directeur du programme Amérique du Nord au think-tank “Ukrainian Prism”, à Kiev. À de multiples reprises, Donald Trump a ainsi répété qu’il mettrait fin à la guerre “en 24 heures”, en poussant notamment Kiev à céder des territoires occupés par la Russie depuis 2014. S’il n’a pas donné les détails de son plan, deux anciens conseillers ont toutefois proposé d’arrêter l’aide militaire si l’Ukraine n’acceptait pas de mener des négociations de paix. Ses partisans au Congrès ont déjà réussi à bloquer un paquet d’aide de 61 milliards de dollars d’octobre 2023 à avril 2024.

Flegme à tous les étages

Pourtant, à Kiev, dans les couloirs des ministères et de la présidence, on reste flegmatique. “Quel que soit le président, les Etats-Unis comprennent de quel type de guerre il s’agit, pourquoi le soutien des partenaires à l’Ukraine est important et pourquoi c’est une question de survie pour l’État ukrainien”, explique à L’Express Mykhaïlo Podoliak, son porte-parole. “Pour le moment, on ne prend pas au sérieux tout ce que Donald Trump a déclaré, car son but était surtout d’être élu. On sait que ses décisions seront certainement différentes de ce qu’il a annoncé”, souffle un autre conseiller de Volodymyr Zelensky. Après tout, c’est sous la présidence de Trump, de 2017 à 2021, et même s’il était proche de Moscou à l’époque, que les États-Unis ont commencé à fournir des armes létales à l’Ukraine (missiles antichars Javelin) et qu’ils ont tué des mercenaires russes en Syrie.

Une chose est certaine, Donald Trump compte sur l’ouverture de négociations avec les Russes et sur ce point, Kiev veut se montrer bon élève. Volodymyr Zelensky avait ainsi présenté ses arguments en amont aux deux candidats avec son plan de la victoire”. “Notre tâche consiste à faire en sorte que l’establishment américain se souvienne de ses déclarations selon lesquelles leur principal objectif est une position forte dans les négociations, quelles qu’elles soient “, prévient Oleksandr Kraïev.

Trump ne veut pas de guerre d’usure

“Avec Donald Trump, nous aurons beaucoup plus de risques, mais aussi beaucoup plus de chances et d’opportunités “, estime Pavlo Klimkin, ancien ministre des Affaires étrangères. “Donald Trump n’est pas partisan d’un processus à long terme […]. Une grande partie des républicains, y compris lui, ne sont pas prêts à payer pour une guerre d’usure”, note le diplomate. Le plan de ses conseillers présenté en juin précise d’ailleurs que si la Russie ne veut pas s’asseoir à la table des négociations, le nouveau locataire de la Maison-Blanche augmentera l’aide militaire.

Les arguments de Kiev ne manquent pas pour faire pencher la balance du côté de l’Ukraine. À l’international, l’implication de plus en plus importante de la Corée du Nord et de l’Iran, pourvoyeurs d’hommes et d’armes à Moscou et ennemis de longue date de Donald Trump, pourrait le pousser à prendre le parti de Kiev, dans une démonstration de force. Ce dernier a aussi répété à multiples reprises qu’il souhaitait éloigner la Russie de la Chine, l’un de ses principaux fournisseurs de composants pour ses armes. Sur le plan domestique, le complexe de défense américain a bénéficié de plus de 50 milliards de dollars d’investissement, notamment dans des États qui sont des terres d’élection de Donald Trump comme l’Arkansas, l’Alabama ou la Floride. L’économie locale en prendrait un coup si la production d’armes pour l’Ukraine s’arrêtait.

Mais attention à ne pas accorder une confiance trop importante en Donald Trump, qui a une vision transactionnelle des relations internationales. En 2019, il avait ainsi fait du chantage à Volodymyr Zelensky en lui demandant d’ouvrir une enquête sur le fils de Joe Biden qui avait des affaires en Ukraine. Attention aussi à certains membres de son entourage, qui ne veulent pas que le bien des Ukrainiens. Volodymyr Fessenko, politologue ukrainien, s’inquiète ainsi de “la présence de personnes ayant des opinions anti-ukrainiennes et pro-russes dans l’environnement immédiat” de Donald Trump, notamment son fils Donald Trump Jr. “En témoigne son fameux discours, dans lequel il mentionne que l’Ukraine n’existe plus, des millions de morts, des villes millénaires détruites avec des dômes dorés, une armée dont il ne reste que des enfants et des vieillards. Quelqu’un a versé toutes ces absurdités dans les oreilles de Donald Trump”, explique le politologue.

Course contre la montre

En attendant son arrivée à la Maison-Blanche, les Russes pourraient lancer cet hiver des missiles qu’ils économisent depuis des mois, prévient l’expert militaire Mykhaïlo Samous. “À l’heure actuelle, l’aide de Joe Biden est tout simplement vitale. Nous avons besoin d’un milliard de dollars chaque semaine”, poursuit-il. Seul 10 % de l’aide militaire allouée en juillet a été livrée.

Les Ukrainiens espèrent profiter des derniers mois de pouvoir de Joe Biden pour marquer des points. “Nous pouvons recevoir des armes à longue portée et des F-16 pour arrêter les bombes planantes russes, ajoute Mykhaïlo Samous. Et, bien sûr, l’autorisation de frapper le territoire russe.” La course contre la montre est lancée.




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