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On savait sans savoir” : au coeur de la campagne angevine, une florissante “PME de la drogue

L’image a tout d’une carte postale. Sous le soleil radieux de ce début d’automne, un retraité remonte doucement les rues pavées du May-sur-Evre, une baguette fraîche sous le bras. Plus bas, quelques rares badauds traversent la place principale de la commune, se pressant à la boucherie avant l’heure du déjeuner ou au bureau de poste avant qu’il ne ferme ses portes, à 12h15 précises. A première vue, ce bourg rural de 3 800 âmes situé en plein cœur des Mauges, dans le Maine-et-Loire, ressemble à des centaines d’autres à travers la France : une mairie bien entretenue, un petit monument aux morts, une église datant du XVe siècle et un bistrot-PMU accueillant inlassablement une poignée d’habitués. Le 9 avril dernier, à 6 heures du matin, cette tranquillité rassurante a été ébranlée par la visite inattendue de plusieurs fourgons de gendarmes, dans le cadre d’une opération d’envergure lancée par la brigade de recherches de Cholet.

Après une longue enquête, plus de 120 gendarmes ont effectué une descente simultanée au May-sur-Evre et dans les départements voisins, afin d’interpeller 16 personnes soupçonnées de participer à un trafic de stupéfiants d’ampleur internationale. Depuis des mois, le cœur de ce réseau était implanté dans la petite commune angevine, et fonctionnait comme une entreprise d’import-export “classique” – à ceci près que son stock était principalement constitué de cocaïne et de cannabis. Ces produits stupéfiants, importés au May-sur-Evre depuis la région parisienne, les Pays-Bas, l’Espagne ou le Maroc, étaient ensuite revendus sur les réseaux sociaux ou via des messageries cryptées, avant d’être livrés à domicile par une équipe de coursiers pour les consommateurs “locaux”, et par colis postaux aux clients internationaux, vivant en Lituanie, en Belgique, en Italie, ou même au Mexique.

Au point que le procureur de la République d’Angers, Eric Bouillard, évoque à l’époque “une vraie entreprise du stup”, avec ses offres, ses promotions, ses conditions de livraison… et son nom, “Zanzi shop”. Au sein de ce “point de deal virtuel”, chacun tient un rôle très précis, les uns se chargeant de la comptabilité, du stockage ou de l’approvisionnement, quand les autres se spécialisent dans la publicité sur les réseaux sociaux pour séduire de potentiels clients. “Dans cette affaire comme dans d’autres, on retrouve ainsi des arguments et des codes marketing qui tournent autour des notions de plaisir et de fête. Ces trafiquants sont avant tout des commerçants, des chasseurs d’argent facile. Il y avait un business à se faire, et ils ont sauté sur l’occasion”, précise le procureur à L’Express.

Un vaste réseau de trafic de stupéfiants a été démantelé par les gendarmes.

“10 000 euros par semaine”

Entre Nantes, Angers et Cholet, ce “business” devient vite florissant, et la petite entreprise connaît un succès fulgurant. Durant les premières perquisitions de la gendarmerie, 41 kilos de cannabis, 760 grammes de cocaïne et 160 000 euros en liquide ont été saisis chez les différents suspects, ainsi que cinq véhicules et plusieurs armes, dont une carabine, un pistolet, et 150 cartouches de différents calibres. Mais le butin total estimé par les gendarmes et les douanes est bien plus important : “Une tournée pouvait rapporter 10 000 euros. On estime qu’une quantité de 60 kilos de drogue pouvait être écoulée en une semaine”, précisait au printemps dernier l’ex-vice-procureure de la République d’Angers, Sandrine Rousseau. Les enquêtes réalisées auraient par ailleurs permis d’évaluer à 1,5 tonne le poids de produits écoulés depuis la création de Zanzi shop, pour un bénéfice de plus de 1,2 million d’euros.

Surtout, l’affaire est tentaculaire : alors que dix personnes appartenant au réseau Zanzi shop ont été condamnées en juillet 2024 à des peines allant de douze mois avec sursis à six ans de prison ferme et à une amende douanière de 1,2 million d’euros, de nouveaux suspects impliqués dans le réseau ont été interpellés ce mardi 22 octobre, en Vendée et dans l’agglomération de Cholet. Selon nos confrères de Ouest-France, cette “branche” du réseau aurait écoulé “185 kilos de cannabis et quatre kilos de cocaïne” depuis le mois de mai dernier, livrant des stupéfiants dans le Maine-et-Loire, mais aussi en Vendée, en Loire-Atlantique, à Bordeaux ou à Poitiers.

Au May-sur-Evre, l’affaire et ses rebondissements ont durablement marqué les esprits. Les principales “têtes de réseau” de Zanzi shop ont pour la plupart grandi dans la commune, fréquenté l’école et le collège du coin, “sont issues de familles locales, jusque-là sans problème”, résume le maire Alain Picard, élu depuis 2008. “Personne n’aurait pu supposer qu’ils allaient déraper à ce point. On est dans un secteur où il fait bon vivre, très calme, avec un faible taux de chômage, un fort réseau associatif, mille et une activités proposées à nos jeunes… On n’est pas du tout dans ce qu’on peut voir dans certains quartiers de Grenoble ou Marseille”, souligne-t-il.

“Ça a jasé pendant des semaines”

Depuis quelques mois, l’édile gardait un œil attentif sur certains de ses administrés, notamment à la demande de la gendarmerie locale. Une caméra de surveillance supplémentaire avait été installée à un “endroit stratégique” du bourg, et Alain Picard “s’attendait à ce que quelque chose se passe, sans savoir que l’affaire prendrait une telle tournure”. En parallèle, certains habitants confirment des allées et venues “suspectes” des principaux concernés, et d’étranges signes extérieurs de richesse, loin de passer inaperçus dans les rues peu fréquentées du May-sur-Evre.

“Sans jamais avoir travaillé, l’un d’eux se baladait avec de très belles voitures, tandis qu’on en voyait un autre livrer des paquets en trottinette électrique, quasi tous les jours”, raconte ainsi un administré rencontré dans un bar du centre-ville. “En fait, on savait sans savoir”, confirme une commerçante, consciente que “des petits deals” se concluaient depuis longtemps “près de l’église”, sans penser “que des armes, une machine à compter les billets ou des kilos de drogues” seraient un jour retrouvés à quelques mètres de sa boutique.

“Evidemment, ça a jasé pendant des semaines. Tout le monde s’est posé des questions : moi par exemple, ça m’a convaincue de ne jamais installer TikTok sur le portable de ma fille de 11 ans !” s’exclame-t-elle. Si la majorité des Maytais rencontrés en cette fin de semaine se disent “soulagés” que le réseau ait enfin été démantelé, certains s’inquiètent d’une éventuelle “reprise” du trafic dans la commune ou dans les villages alentour. “Ces jeunes ont une amende à payer, sûrement des dettes à rembourser… On se demande comment tout ça va finir”, commente un sexagénaire en haussant les épaules.

“Explosion” du trafic en milieu rural

Le procureur de la République d’Angers, de son côté, ne sous-estime pas l’étendue de ce type de trafic dans les petites et moyennes communes. Depuis une dizaine d’années, il indique avoir vu le phénomène “exploser” en milieu rural, en même temps que la consommation de drogues dures et l’accès de plus en plus simplifié à de grosses quantités de stupéfiants sur Internet. “Il y a vingt-cinq ans, les petits trafiquants allaient aux Pays-Bas en mobylette pour se fournir, puis revendre autour de chez eux. Maintenant, en trois clics sur le dark Web, ils peuvent lancer leur propre point de deal et se faire un réseau en quelques jours”, regrette Eric Bouillard.

Dans un tel contexte, le rythme effréné des trafiquants reste difficile à suivre pour la justice et les forces de l’ordre. “On parle de sites hébergés par des pays qui ne répondent pas à nos sollicitations, de comptes bancaires créés à l’étranger, de flux financiers presque impossibles à tracer, de trafiquants aux moyens quasi illimités”, explique le procureur, appelant à former davantage d’enquêteurs spécialisés sur le sujet. Dans l’affaire Zanzi shop, la fine analyse du mode de vie des principaux accusés, des mouvements de leurs comptes bancaires et de leurs avoirs financiers s’est avérée décisive pour la réussite de l’enquête.




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