* . * . * .

Etudiante iranienne dévêtue : la “mollahrchie” ne peut plus tenir un peuple éduqué, par Abnousse Shalmani


La jeune étudiante en sous-vêtements qui arpente le parvis de l’université Azad de Téhéran restera dans l’Histoire. Parce que son geste d’une transgression inouïe dit non seulement l’étouffement d’un peuple, mais aussi la voie de sortie de la mollahrchie comme sa fin inéluctable. La marche solitaire et têtue de cette jeune femme dit l’impossibilité de poursuivre une vie seulement intérieure, une vie cachée. La mollahrchie a installé une schizophrénie généralisée qu’illustrait si justement l’ouverture du film Syriana (2005, Stephen Gaghan) : une jeune femme maquillée, en robe et talons hauts, retire son maquillage et recouvre ses cheveux d’un voile et son corps d’un jogging informe puis d’un long tchador noir avant de quitter une maison où retentit encore le son d’une musique festive.

Durant de trop longues années, le peuple iranien a vécu une vie libre à l’intérieur (non sans graisser quelques pattes corrompues) où l’alcool, la drogue, la danse, la musique et le sexe circulaient abondamment et une vie sous cloche faussement vertueuse à l’extérieur, espérant à chaque arrivée d’un pseudo-réformateur un peu plus de liberté, un peu plus d’air, un peu moins de l’obscurité qui présidait à leurs vies coupées en deux, des vies à moitié. La première conséquence de l’assassinat de Mahsa Amini fut un électrochoc : la liberté ne se négocie pas, elle n’est pas donnée comme compensation, elle doit être prise comme un trophée. La marche altière de l’étudiante dit que la mollahrchie ne peut plus tenir un peuple éduqué – par ses soins, délicieuse ironie de l’Histoire -, un peuple avide de vivre – nationalistes et orgueilleux, les Persans ne supportent plus d’être de sombres épouvantails -, un peuple sensuel – on ne récite pas Omar Khayyam, Hafez et Rumi du berceau à la tombe impunément, on finit par être habité par le velours du vin, le frisson des peaux nues, l’absolu de l’amour.

Le coeur du tabou

Le geste de l’étudiante en sous-vêtements, point de lumière dans le gris téhéranais, raconte la longue histoire de l’émancipation du corps des femmes. Car le corps féminin a toujours été, de tout temps, de toutes les géographies, de toutes les religions, de toutes les normes, de toutes les censures, le cœur du tabou. Corps de la honte car corps du désir, corps de la tentation car corps de la beauté, corps social car corps de la maternité. En retirant ses vêtements, en affichant sa nudité, la jeune étudiante de l’université Azad porte noblement sur sa peau l’histoire des femmes. Elle promène avec elle Phryné, l’une des plus riches et plus célèbres hétaïres de la Grèce antique – les hétaïres, ce sont les courtisanes antiques, les seules femmes, comme les courtisanes plus tard, mariées ou non, bourgeoises ou prolétaires, qui avaient le droit de posséder de la terre, des biens ou un compte en banque. Modèle de Praxitèle, elle fut jugée pour avoir introduit une religion étrangère à Athènes et dévoyé les jeunes filles. Alors que tout semblait perdu, son amant et avocat Hypéride lui demanda de se dénuder devant la cour, et, face à tant de beauté, les jurés athéniens la déclarèrent innocente, car seuls les dieux peuvent offrir une telle perfection.

La fierté de Colette

La jeune étudiante n’est pas folle, elle a la fierté de Colette qui se dénude sur scène en 1905, marquant ainsi son premier pas vers l’indépendance, elle a la superbe d’Huda Sharawi, intellectuelle égyptienne engagée contre la colonisation qui, en 1923, retire son voile en signe d’émancipation et marque la naissance du féminisme arabe. Elle est l’admirable Aube, l’héroïne du magnifique roman de Kamel Daoud Houris : “Mi-homme mi-femme, mi-morte mi-vivante, mi-muette mi-bavarde, mi-égorgée mi-souriante, je m’amuse et savoure ce millénaire d’ironie pure qui m’installe entre Dieu et nos sexes.”

Nous n’avons pas encore de certitude sur le nom de cette jeune femme. Je le connais : c’est celui qui se lève au miroir de toute femme qui, depuis la nuit des temps, s’est débarrassée, dans un sublime geste de vérité, du voile de la honte et de la pudeur. Celui de toute femme qui dit un “non” cinglant à toutes les tentatives de l’emprisonner dans la prison de la frustration et de la morale. Celui de toute femme qui célèbre la chair pour ce qu’elle est : une liberté et un cri de jouissance.




Source
Exit mobile version

.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . %%%. . . * . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - . . . . .