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“Personne ne veut revenir en arrière” : les codeurs en première ligne de la révolution IA


“Laissez les vannes de la culture nerd s’ouvrir en grand.” C’est un des slogans derrière le nouvel outil de GitHub présenté mardi 29 octobre, “Spark”, l’étincelle en français. Le principe : pouvoir donner vie à n’importe quelle idée d’application ou de programme grâce à l’intelligence artificielle générative. Pour piloter une soirée karaoké, par exemple, ou pour générer des QR codes, liste Thomas Dohmke, le patron de GitHub, sur la scène de l’événement “Universe”, organisé la semaine dernière par l’entreprise depuis l’ancienne caserne militaire de Fort Mason, à San Francisco. Il suffit de lancer le “prompt” – la commande – et Spark s’exécute. Dohmke tente, lui, une idée de jeu de morpion avec, en lieu et place des ronds et des croix, des canards et des hippopotames. Rien de très utile, certes, mais le résultat a le mérite de s’afficher illico (Dohmke gagne sa partie en direct). Le code, des “hiéroglyphes” pour les non-initiés, est invisible à la présentation. GitHub, service d’hébergement et de gestion de logiciel, espère susciter des vocations : elle vise d’ici plusieurs années un milliard de développeurs sur sa plateforme, soit dix fois plus qu’aujourd’hui.

Un humain sur huit, le pari peut paraître osé. A Fort Mason, un ingénieur de la société rachetée par Microsoft en 2018, indique être quelque peu “surpris” par ce projet peu ébruité en interne. Parmi les développeurs présents, certains se montrent carrément dubitatifs. “Bon courage pour installer ces programmes…”, souffle un confrère, soulignant la difficulté de passer de l’idée à la réalisation ; c’est un métier. Des problèmes de sécurité ou de bug peuvent facilement survenir. Mais la démocratisation de ce genre d’outils n’est, au fond, pas surprenante, vu la manière dont ils se sont imposés chez les professionnels. Neuf développeurs sur dix utilisent l’IA pour coder, d’après GitHub, dont la solution pro, Copilot, est leader du marché. Il y a un an, un tiers du Fortune 500 – les plus performantes entreprises américaines – y avait recours, ou à un concurrent (Cursor, CodeWhisperer, TabbyML…). “C’est devenu quasi obligatoire de l’utiliser tous les jours afin de rester compétitif”, dit Anan Kulkarni, CEO de Crowdbotics, rencontré à Universe, cette grand-messe de développeurs qui fêtait cette année ses 10 ans. Particulièrement dans la course à l’IA. Ce n’est pas un hasard si Python, le langage de programmation le plus utilisé pour coder des applications d’intelligence artificielle, est récemment devenu le plus populaire sur GitHub.

“S’en passer est devenu un risque”

Les plus grandes compagnies sont déjà accros. “Plus d’un quart de tout le nouveau code de Google est généré par l’IA, puis examiné et accepté par les ingénieurs”, a déclaré le mois dernier Sundar Pichai, son directeur général. Amazon a de son côté informé qu’il économisait 260 millions de dollars grâce à l’IA générative appliquée au code. A Universe, le spécialiste du logiciel SAP a effectué son retour d’expérience. Sur 23,6 millions de suggestions de code réalisé par l’IA, quelque 6 millions sont validées (25 %). A titre individuel, KPMG, sur 1500 licences, évoque 5,7 heures de gains de temps par employé et par semaine. Sur dix de ses développeurs, huit s’estiment plus productifs.

Un ressenti que beaucoup de professionnels croisés à Fort Mason partagent, sans toujours mettre des statistiques dessus. “Cela m’aide à regarder mon travail sous d’autres perspectives”, dit Dwane, travaillant pour Vonage, une application de télécommunications. “C’est comme si quelqu’un était toujours à côté de moi pour m’aider, parfois me confronter”. Alex, responsable au sein du concepteur de puces ARM, rappelle quant à lui que “ce qui rend chaque développeur unique, ce n’est pas la maîtrise d’un langage informatique en particulier, mais sa capacité à résoudre les problèmes. C’est là-dessus que l’IA permet de se concentrer”. “Y renoncer est devenu un risque”, complète Mark-Christian, développeur chez Postman. Quelque chose d’anachronique, comme un journaliste qui taperait ses articles à la machine à écrire.

Un responsable de KPMG dit de son côté que ces outils sont également un “argument” pour recruter des développeurs, au même titre qu’une couverture maladie avantageuse, ou des jours de télétravail. “A l’exception de quelques réfractaires, souvent très expérimentés et qui estiment ne pas en avoir besoin, je ne connais personne qui voudrait revenir en arrière après avoir testé ces outils”, note Colin, un grand blond codant chez Docker. “C’est l’objectif, estime Jonathan Carter, de GitHub Next. Je n’ai jamais eu à mesurer si le micro-ondes était plus rapide pour réchauffer un plat que le four. Avec l’IA générative pour le code, c’est tout aussi évident.”

Déficit de développeurs

En vérité, tout n’est pas si parfait. Une étude d’une société d’analyse, Uplevel, n’a quant à elle noté aucune amélioration de la productivité des codeurs boostés à l’IA. Pire, la technologie a introduit plus de 40 % de bugs supplémentaires dans leur travail. Des critiques entendues lors de l’événement Universe. “Il faut toujours se méfier des technologies qui promettent de tout faire à votre place”, considère Alex. “Je n’ai pas encore confiance dans l’IA”, livre Forester, architecte logiciel chez IBM. Dwane, de Vonage, a lui une devise : “Trust but verify” (“aie confiance, mais vérifie). Les concepteurs de ces outils ne disent d’ailleurs pas le contraire. “Les voitures autonomes ne sont pas les meilleurs conducteurs. Mais elles sont meilleures que la moyenne des conducteurs”, aime à rappeler Thomas Dohmke. Et cela suffit.

Car la technologie permet de combler, en partie, le déficit de main-d’œuvre spécialisée, pour répondre aux besoins croissants de développement informatique, ce qui est vrai dans tous les secteurs. Une agence statistique publique américaine évaluait en 2020 le manque de travailleurs qualifiés à 40 millions, mais en prévoyait le double d’ici 2030. C’est notamment le cas dans le domaine automobile, où les mises à jour quotidiennes des logiciels qui facilitent la conduite (et qui visent même l’autonomie) sont désormais monnaie courante. A L’Express, le patron de GitHub évoque aussi sa visite l’an passé à la Société Générale, à Paris : “C’est une banque, mais elle nécessite du cloud, de l’IA, du logiciel, sans quoi elle se ferait distancer.” Il y a urgence à coder toujours plus, et toujours plus vite. C’est ce que permettent les outils d’IA générative depuis désormais plus de trois ans. Codex, la première version de Copilot, pourtant basé sur le même modèle que ChatGPT (GPT-3), est sortie plus tôt, à la mi-2021. Si celle-ci se contentait de proposer, parfois, de compléter du code (autocomplétion), les dernières fonctionnalités balayent une multitude de tâches : détection de bugs, génération de tests, restructuration… Soit la panoplie complète du développeur moderne. Et à moindre coût : entre 19 et 39 dollars l’abonnement mensuel à l’IA générative codeuse.

Le code, plus prévisible que le langage

Reste à savoir pourquoi les progrès sont-ils plus rapidement visibles dans le code qu’ailleurs ? “Le langage de programmation est beaucoup plus prévisible que le texte”, explique prosaïquement l’Allemand Thomas Dohmke. Le résultat est ainsi globalement plus fiable comparé au langage, où l’IA ne s’est pas encore rendue incontournable. “Le boom des modèles de qualité en 2024”, a selon Dohmke, accentué l’écart. Sa solution, Copilot, offre désormais la possibilité de choisir entre plusieurs LLM selon ses contraintes, à l’image de ceux d’Anthropic (Claude) ou de Google (Gemini), en plus de ceux d’OpenAI (ChatGPT). Chacun ayant particulièrement soigné leurs sections “codage”. Pas vraiment pour le plaisir de la science. Mais parce qu’elles constituent un segment prometteur, financièrement.

GitHub revendique à lui seul 300 millions de revenus annuels récurrents et un taux de croissance de ses utilisateurs de 180 %. Si les coûts de calcul demeurent élevés, l’horizon de rentabilité semble plus proche qu’ailleurs. L’automatisation appelle a toujours plus… d’automatisation. D’un point de vue sécurité, nombre d’observateurs jugent que l’IA sera bien utile afin de parcourir les milliards de lignes de code aujourd’hui datées, parfois obsolètes et par conséquent vulnérables aux cyberattaques. Nul doute que des compagnies paieront le prix fort pour ce service. Enfin, se déploient dès à présent dans le logiciel les “agents”. Soit des automates prenant en charge tout ou partie de tâches, l’IA planifiant et opérant diverses actions reliées. Promettant toujours plus de vélocité et d’efficacité, l’humain étant davantage placé ici comme un chef d’équipe, un superviseur.

Pour toutes ces raisons, Jonathan Carter pense que “les développeurs sont à l’avant-garde de l’IA générative”. Ils découvrent “tout son potentiel” avant les autres secteurs. En effet, ils en tirent déjà des effets réels. Cela se traduit par une plus grande rapidité d’exécution et une augmentation de la productivité. Toutefois, cette dépendance croissante à la technologie pourrait entraîner, à terme, une perte de compétences humaines. En tout cas, ce n’est peut-être pas un hasard si le nom “Copilot”, qui ne désignait au départ que le générateur de code de GitHub, a été repris par Microsoft pour baptiser l’ensemble de sa suite IA. Le code semble, à sa manière, tracer la voie.




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