La plupart des économistes et des personnalités politiques s’accordent à penser que la suppression de la taxe d’habitation était une erreur. Pour être précis, c’était une erreur économique mais pas politique. Je revois les conseillers d’Emmanuel Macron, pendant la campagne présidentielle de 2017, m’expliquer qu’il fallait proposer aux Français une mesure populaire, simple et identifiable. Personne ne parlait de ses conséquences économiques et financières, c’eût été presque incongru. L’actuel président avait alors rejoint l’étiage de François Fillon dans les intentions de vote. La suppression de la taxe d’habitation était destinée à “tuer le match”, ce qui fut le cas. Cette décision consacra le triomphe de la tactique politique sur l’intérêt général.
La suppression de la taxe d’habitation était une erreur économique à deux titres, et non des moindres. D’abord, cette taxe constituait un revenu important pour nos communes, l’équivalent de 15 milliards d’euros par an environ. Elle a certes été compensée, en grande partie, par des dotations de l’Etat, mais on a substitué une ressource locale avec des taux de prélèvements décidés au plus près du terrain à des financements étatiques distribués selon des clés de répartition élaborées à Paris. En somme, il s’agit d’une opération de recentralisation là où, au contraire, nos collectivités locales, qui financent les trois quarts de l’investissement public en France, ont besoin d’autonomie et de responsabilité. Cette mesure illustre une tare majeure de notre système institutionnel : la possibilité pour l’Etat de prendre des mesures démagogiques sur le dos des élus locaux.
En France, la notion de déficit public n’existe pas…
La deuxième erreur, c’est évidemment de ne pas avoir financé cette baisse d’impôt par une baisse strictement équivalente de dépense, autre travers national. En France, c’est simple : la notion de déficit public n’existe pas… On peut à loisir augmenter les dépenses publiques sans augmenter les impôts, ou supprimer des impôts sans toucher aux dépenses publiques, la réalité ne compte pas. Malheureusement, elle s’impose à tous, à un moment ou à un autre. De fait, les communes ont compensé le manque à gagner par l’augmentation des taxes foncières. Et l’Etat a financé ce qu’il a compensé aux communes par du déficit. Et oui : supprimer un impôt sans baisser la dépense, c’est augmenter les autres impôts, d’aujourd’hui et de demain, sachant que les collectivités locales, elles, n’ont pas le droit de voter un budget de fonctionnement en déficit.
D’où une proposition récente qui a émergé sous des plumes aussi diverses qu’Eric Coquerel ou Jean-François Copé : rétablir cette fameuse taxe d’habitation. Intellectuellement, le débat n’est pas illégitime : l’Etat a fait une erreur, pourquoi ne pas revenir dessus ? Sauf que le moment n’est pas le bon : le gouvernement a rouvert la boîte de Pandore des impôts, et l’Assemblée nationale est devenue fiscalement hystérique. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que nous avons devant nous un grand et magnifique débat qui pourrait rassembler des gaullistes, des libéraux et des sociaux-démocrates : celui de l’organisation territoriale de notre pays et du financement des collectivités locales.
Pour un système de “fiscalité partagée”
Notre pays crève de la centralisation et il est logique que les communes, les départements et les régions disposent d’une certaine autonomie pour se financer, à charge pour les citoyens de sanctionner les élus le cas échéant. Une réforme utile consisterait à instaurer un vrai système de “fiscalité partagée”, comme c’est le cas, notamment, aux Etats-Unis, au Canada, en Suisse ou, dans une certaine mesure, en Autriche.
Dans un tel système, les territoires fixent un taux d’imposition sur les revenus des particuliers et les bénéfices des entreprises, ainsi qu’un taux de TVA, qui se rajoutent aux taux nationaux, dans certaines limites définies par la loi. Le système est relativement simple et la compétition fiscale entre les territoires le régule. Ainsi, aux Etats-Unis, les Californiens, écrasés par les impôts, déménagent vers le Nevada ou le Texas. Mais un changement aussi colossal ne s’improvise pas. C’est un projet présidentiel audacieux qui s’inscrit dans une transformation du pays et une vision de long terme. Un projet qui se prépare. Las, nos partis politiques sont devenus des clubs d’élus qui ne travaillent plus.
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