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Les scientifiques face à Donald Trump : “Les budgets ont augmenté au cours de son premier mandat”


Retrait de l’accord de Paris ou de l’OMS, déni de la pandémie lors de son premier mandat, critiques contre les universités et les grandes institutions scientifiques pendant la campagne… Le retour de Donald Trump au pouvoir a de quoi inquiéter la communauté scientifique. Spécialiste des politiques de recherche depuis plus de trente ans et journaliste au sein de la rédaction de la prestigieuse revue Science, Jeffrey Mervis a eu besoin de vingt-quatre heures pour se remettre du “choc” de cette élection avant d’accepter de répondre à L’Express. Fin connaisseur des arcanes de Washington, il relativise toutefois les conséquences de ce deuxième mandat, notamment en matière budgétaire : “Chez nous, le président propose, mais le Congrès dispose.” Entretien.

L’Express : Vous côtoyez de nombreux scientifiques. Quelle est l’ambiance dans les laboratoires, quelques jours après l’élection de Donald Trump ?

Jeffrey Mervis : La plupart des chercheurs sont très inquiets. Ils n’ont pas soutenu les politiques du président Trump lors de son premier mandat, et ils craignent que certaines des mêmes politiques soient répétées lors de ce nouveau mandat, voire que davantage de politiques qu’ils considèrent comme extrêmes soient adoptées. Ils sont également préoccupés par la rhétorique de la campagne. Donald Trump et le vice-président élus J.D. Vance ont sévèrement critiqué l’enseignement supérieur en général. Dans la mesure où les chercheurs sont affiliés à des institutions académiques, ces attaques contre les universités les inquiètent. Et puis, bien sûr, ils s’inquiètent des niveaux de financement, car c’est toujours une préoccupation majeure. Aux États-Unis, le président n’a pas le contrôle effectif du budget, mais il peut jouer un rôle important dans la détermination des niveaux de dépenses.

Le premier mandat de Donald Trump a-t-il vraiment eu un impact négatif sur la recherche scientifique ?

Cela dépend du domaine, il est donc difficile de généraliser. Le retrait de l’accord de Paris sur le climat a été très mal perçu par les scientifiques. Mais en même temps, cela n’a pas empêché la recherche sur l’impact du changement climatique de se poursuivre, car ces travaux sont financés par des agences fédérales qui ont maintenu leur budget. Bien sûr, pendant la pandémie, la Maison-Blanche a diffusé beaucoup d’informations erronées. Les scientifiques ont tenté de les réfuter et certains d’entre eux, comme Anthony Fauci, sont devenus des cibles de l’administration Trump. Il était plus difficile pour le public d’obtenir des informations exactes. Mais cette même administration a su accompagner et soutenir le développement des vaccins, qui ont été disponibles dès la fin de 2020 et nous ont permis de lutter contre la pandémie. Beaucoup lui en reconnaissent le mérite.

Mais aujourd’hui, les inquiétudes semblent beaucoup plus fortes, en raison de la rhétorique anti-science de Donald Trump, de sa façon de remettre en cause les faits établis….

Sur le changement climatique, bien sûr, beaucoup se demandent si Donald Trump et la nouvelle administration vont continuer à prétendre que les preuves scientifiques du réchauffement n’existent pas. Cela dit, il est important de comprendre comment fonctionne le gouvernement américain. En ce qui concerne les budgets annuels, le président propose, mais le Congrès dispose. C’est le Congrès qui a l’autorité et la responsabilité de décider du montant des dépenses : le gouvernement n’obtient pas nécessairement ce qu’il demande. Au cours de son premier mandat, Donald Trump a présenté plusieurs budgets prévoyant des réductions substantielles pour la recherche. Mais chaque année, le Congrès a annulé ces réductions et, dans certains cas, a accordé des augmentations significatives et dans d’autres, de petites augmentations. Dans l’ensemble, les dépenses de recherche ont augmenté sous l’administration Trump. Bien sûr, la plupart des scientifiques affirment que ce n’est pas à cause de Trump, mais en dépit de Trump.

Il n’existe pas de ministère de la Science au sein du gouvernement américain, ni de “budget de la recherche”. Lorsque le président soumet un budget, celui-ci est divisé en 12 parties et 12 sous-comités examinent chacune de ces demandes. Il est donc possible que le budget d’une agence augmente, que celui d’une autre diminue et que celui d’une troisième reste inchangé. Chaque gouvernement a ses propres priorités. Lors du premier mandat de Trump, l’intelligence artificielle et le quantique étaient des priorités. Son administration a donc demandé à plusieurs reprises de fortes augmentations dans ces domaines, et exigé des coupes dans d’autres domaines qu’elle ne soutenait pas, comme la recherche sur le climat. Mais en fin de compte, c’est toujours le Congrès qui décide.

Mais cette fois-ci, Trump semble avoir moins de freins et de contre-pouvoirs que lors de son premier mandat ?

En réalité, nous ne le savons pas encore. Les républicains ont gagné la majorité au Sénat, mais il n’est pas certain qu’ils la conservent à la Chambre des représentants. Si c’est le cas, il sera beaucoup plus facile de légiférer que sous le mandat actuel. Mais ce ne sera pas automatique, car même les membres du Congrès appartenant au parti du président ne se plient pas toujours à ses souhaits.

Par exemple, Donald Trump a déclaré vouloir supprimer le ministère de l’Education. Cela peut sembler très étrange à vos lecteurs, mais aux États-Unis, nous avons un système éducatif décentralisé. La majeure partie du financement de l’éducation provient de sources locales et étatiques. Toutefois, le président ne peut pas supprimer unilatéralement le ministère de l’Education, car il a besoin de l’approbation du Congrès. Et même si les républicains contrôlent les deux chambres, de nombreux élus, républicains et démocrates, pensent que ce serait une très mauvaise idée de supprimer ce ministère. Le président ne peut pas agir seul.

Il en va de même pour les questions d’immigration, autre sujet crucial pour les scientifiques ?

Les chercheurs d’origine étrangère ont beaucoup contribué à la force de la science américaine, et il y a de grandes inquiétudes à ce sujet. Le président peut prendre un décret pour modifier les règles concernant les personnes admises et la facilité ou la difficulté d’obtenir un visa pour venir étudier aux États-Unis ou pour y rester une fois les études terminées. Mais pour aller plus loin et rendre ces changements permanents, il devrait modifier les lois sur l’immigration – les décrets, quant à eux, peuvent toujours être modifiés par l’administration suivante. Or, depuis quarante ans, le Congrès n’a jamais réussi à se mettre d’accord sur une réforme de l’immigration. Il n’a jamais été possible de séparer le débat sur la manière d’augmenter l’immigration de personnes hautement qualifiées, c’est-à-dire titulaires de diplômes supérieurs, de celui sur la manière d’empêcher les personnes d’entrer illégalement dans le pays. Il n’y a pas de consensus, donc rien ne se passe.

Qu’en est-il de Robert Kennedy Jr., à qui Donald Trump semble vouloir donner des pouvoirs importants dans le domaine de la santé ?

Ce n’est pas encore le cas ! Donald Trump n’a jamais dit clairement qu’il le nommerait au gouvernement, et s’il le faisait, il lui faudrait l’approbation du Sénat. Mais Robert Kennedy Jr. est un personnage très controversé, avec beaucoup de casseroles. S’il a une quelconque influence, ce sera probablement en tant que conseiller, bien que cela ne soit pas du tout certain à ce stade.

Finalement, tout cela semble beaucoup plus rassurant qu’on ne l’imagine de ce côté-ci de l’Atlantique…

Je ne sais pas si c’est rassurant, mais oui, il y a des contre-pouvoirs. Au Congrès, historiquement, les deux partis ont toujours soutenu la recherche fondamentale. Aujourd’hui, cependant, la pression est forte pour réduire les dépenses en général. Et historiquement, quand on réduit les dépenses globales, on réduit aussi les budgets pour la science…

L’élection de Trump pourrait-elle encourager le départ des scientifiques américains vers d’autres pays ?

La chasse mondiale aux meilleurs cerveaux a toujours existé, et il ne fait aucun doute que si l’un ou l’autre de nos chercheurs les plus accomplis veulent partir, ils trouveront un pays pour l’accueillir. Mais au-delà, il est difficile de savoir ce qui pourrait se passer. Il ne me semble pas que les pays européens aient les possibilités d’emploi ou la volonté d’accueillir une migration massive de scientifiques américains. Le vrai problème est notre capacité à établir des collaborations internationales. Ce sont ces échanges qui ont rendu la recherche américaine si forte, et si Trump rend ces collaborations plus compliquées, l’effet sera très négatif. C’est là que réside leur principale préoccupation.




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