*.*.*.

UE-Mercosur, l’accord qui enflamme les campagnes françaises : manipulations, bras de fer et menaces


C’est une bataille sourde, sophistiquée, arithmétique qui se joue ces derniers temps à Bruxelles. Comme souvent dans ce genre d’affaires, il faut savoir sceller des alliances, tordre des bras, lâcher quelques concessions. Claquer des portes aussi, pour les rouvrir à bas bruit un peu plus tard, histoire de ne pas perdre la face. Cette bataille, c’est celle du Mercosur, ce traité de libre-échange négocié depuis plus de vingt ans entre l’Union européenne et cinq pays d’Amérique Latine, dont le Brésil et l’Argentine. Le plus large accord commercial jamais signé par les Européens. Un ovni ces temps-ci tellement le monde se barricade.

Donald Trump, bientôt de retour à la Maison-Blanche, promet de manier les droits de douane comme le cow-boy son lasso. La Chine, furieuse de s’être vue imposée de nouvelles taxes par Bruxelles sur ses voitures électriques, s’est lancée dans des enquêtes antidumping sur le cognac français, les produits laitiers ou le jambon espagnol. Avec le Mercosur, l’Europe ne doit pas seulement négocier avec l’impétueux président argentin Milei ou son comparse brésilien, le stratégique Lula : elle doit aussi montrer un front uni. Or, les 27 s’entredéchirent, l’affaire tournant même à l’affrontement entre l’Allemagne et la France. En l’état du texte peaufiné par la Commission, Berlin est pour. Mais Paris est contre : “Les contreparties sont encore insuffisantes, notamment en matière de protection de l’environnement”, souffle un ministre.

Onze Etats membres auraient déjà envoyé une lettre à la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, l’intimant de signer l’accord au plus vite, avant la fin de l’année. La France s’est donc lancée dans une course contre la montre, en vue de faire pencher les indécis. Pour décrocher une minorité de blocage au Conseil européen – le club des chefs d’Etat de l’UE -, il lui faut constituer un groupe de quatre pays minimum, représentant 35 % au moins de la population européenne. “On peut compter sur l’Autriche, la Hongrie et peut-être l’Irlande. La Belgique devrait s’abstenir, ce qui revient à voter contre. Reste à convaincre la Pologne, grand pays d’agriculture, et pourquoi pas les Pays-Bas dont la coalition gouvernementale ne tient qu’avec l’appui d’un parti paysan clairement hostile au Mercosur. C’est jouable”, veut croire un diplomate français au cœur des négociations. “Ne pas signer aujourd’hui cet accord serait une faute majeure sur le plan géopolitique. On ne peut pas céder à l’intoxication collective du lobby agricole”, tonne Pascal Lamy, l’ancien commissaire européen en charge du Commerce et ex-directeur général de l’OMC. Les agriculteurs français sont vent debout, laissant planer la menace de remonter sur leur tracteur comme au printemps dernier. “Il n’y a rien à négocier. C’est l’esprit même de cet accord de libre-échange que nous rejetons en bloc. Une question de valeurs”, martèle Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA, le puissant syndicat des campagnes.

Alors, info ou intox ? Pour dissiper le brouillard, il faut revenir aux chiffres. Le Mercosur, c’est un marché gigantesque de près de 300 millions de consommateurs avec lequel l’Europe affiche, certes, un excédent commercial, mais de moins en moins consistant au fil des années. L‘Europe exporte vers le Mercosur ses machines-outils, ses médicaments, ses produits de luxe et ses berlines, et importe essentiellement des produits agricoles. Sauf qu’au cours des vingt dernières années, la part de marché des produits européens dans la zone a été divisée par deux, passant de 35 à 17 %. Les importations agricoles latinos, elles, ont fait une percée redoutable. De là à craindre un raz de marée de poulets argentins et de steaks brésiliens…

Pas question de laisser les portes du continent grandes ouvertes, soutient-on à la Commission européenne. Pour les secteurs les plus sensibles, des quotas tarifaires ont été fixés : chaque année, 99 000 tonnes de bœuf, 180 000 tonnes de sucre de canne et 180 000 tonnes de volaille pourront accoster en Europe sans payer de droits de douane, ou alors lilliputiens. Au-delà, ce sont les taxes habituelles qui s’appliqueront. Des volumes ronflants sur le papier. Mais le quota de bœuf brésilien représente à peine 1 % de la consommation annuelle européenne. Tout juste 1,2 % pour celle de sucre. “Le problème, c’est l’accumulation de tous les quotas tarifaires, le Mercosur s’ajoutant à ceux déjà donnés dans d’autres accords de libre-échange. Là, ça fait déborder le vase”, s’inquiète Marie-Christine Ribera, la directrice générale du Comité européen des fabricants de sucre.

Le mirage des clauses miroirs

Un argument que la Commission européenne balaie d’un revers de main. Dans le cas des quotas de bœuf accordés à un autre pays, le Canada, ce dernier ne les a même pas utilisés car les normes sanitaires imposées dans l’UE sont tellement strictes que les éleveurs canadiens n’ont pas essayé de créer une filière de bœuf sans hormones pour percer le marché européen. Surtout, la Commission se serait donné une règle : dans ces fameux secteurs agricoles sensibles, ne jamais dépasser un seuil de produits importés sans droits de douane – tous accords confondus – supérieur à 4 % de la consommation annuelle de l’UE.

“Ce n’est pas une question de tonnage mais de conditions de production”, s’agace Arnaud Rousseau. En clair, le grand écart en matière de normes sur le bien-être animal ou sur l’utilisation de tels engrais ou pesticides. Quasiment les trois-quarts des produits phytosanitaires utilisés pour la culture du maïs au Brésil et en Argentine sont interdits en Europe. “Les coûts de production des agriculteurs brésiliens sont deux fois moins élevés que les nôtres. Impossible d’être compétitifs”, se désole Franck Laborde, le président de l’AGPM, l’Association générale des producteurs de maïs. Pour tenter de calmer la colère agricole, la France essaie bien de brandir la carte magique des clauses miroirs : rien ne rentrera en Europe si ce n’est pas produit aux mêmes conditions que celles imposées aux agriculteurs européens. Sympathique sur le papier. Illusoire dans la réalité.

“Comment voulez-vous que ces pays acceptent de telles conditions alors qu’on leur a juste entrouvert le marché européen, en imposant des quotas tarifaires stricts ? Les Brésiliens nous rient au nez”, confie Jean-Luc Demarty, l’ancien patron de la Direction générale du commerce à la Commission européenne. Quand ils ne s’agacent pas sérieusement. “Deux partenaires stratégiques ne discutent pas par le biais de menaces, mais par le biais de propositions”, a lancéle président Lula Da Silva, en décembre dernier, lors d’un passage à Bruxelles.

Un enjeu stratégique

En attendant, si les agriculteurs européens se désolent, les industriels, eux, se frottent les mains. Les constructeurs automobiles, notamment, qui y voient la possibilité de continuer à vendre là-bas des moteurs thermiques, bientôt interdits en Europe… “C’est un accord stratégique du point de vue de la sécurité économique du continent. Nous devons réduire notre dépendance à la Chine qui se crispe et dont le marché se rétrécit”, explique Elvire Fabry, chercheuse à l’Institut Jacques Delors. L’accès au Brésil ou à l’Argentine, c’est aussi la possibilité de profiter des vastes réserves de matières premières essentielles pour la transition énergétique. Le Brésil détient à lui seul 20 % des réserves mondiales de graphite, de nickel et de manganèse. L’Argentine regorge, elle, de lithium. “Il ne faut pas tomber dans le piège de cet argument. Si le Mercosur est bien une zone géographique riche en minerais, l’accord en lui-même ne comprend pas de dispositions spécifiques à ce sujet”, tempère Sophie Primas, la ministre déléguée au Commerce extérieur.

Reste que derrière le micmac des flux commerciaux, les enjeux sont aussi géopolitiques. Tous les marchés qui ne seront pas pris par l’Europe seront gagnés par la Chine, qui va en profiter pour accroître encore son influence, plaide un diplomate français. Alors, dans la dernière ligne droite, comme condition éventuelle à son ralliement, la France tente de faire figurer dans le traité le respect de l’accord de Paris. Une “clause essentielle”, qui permettrait de tout stopper en cas de violation. Après tout, La Nouvelle-Zélande, avec laquelle l’Europe vient de signer un accord commercial, s’est pliée à la règle. Pas sûr que le président argentin Javier Milei, climatosceptique assumé, s’y résolve. Par sûr, non plus, que le totem de l’accord de Paris suffise à calmer les agriculteurs français.




Source

..........................%%%...*...........................................$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$--------------------.....