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Iran : les méthodes glaçantes du régime pour faire passer les opposants pour des “fous”


Grimer le courage en folie. Pour s’être déshabillée au milieu du campus de l’université Azad de Téhéran, le 2 novembre, après avoir été harcelée sur sa tenue, Ahou Daryaei, une étudiante en littérature française et mère de deux enfants, a été transférée dans un “centre de soins spécialisés”, selon un communiqué de l’ambassade iranienne à Paris. Les images de cette femme de trente ans, défiant le régime en sous-vêtements, pieds nus, ses longs cheveux sombres dégringolant dans son dos ont fait le tour du monde. Deux ans après la mort de la jeune kurde iranienne Mahsa Amini, tuée en détention pour un voile mal porté, elle est devenue l’un des nouveaux visages du mouvement “Femme, Vie, Liberté”. Mais pour le régime islamique et ses relais, son geste s’expliquerait par une “fragilité psychologique”.

Avant elle, il y a eu l’actrice Afsaneh Bayegan, condamnée à deux ans de prison avec sursis en juillet 2023 et forcée de se rendre dans un “centre psychologique” une fois par semaine pour “traiter son trouble mental de la personnalité antifamiliale”. Elle s’était montrée en public sans se couvrir la tête. La comédienne Azadeh Samadi, quant à elle, s’est vu attribuer par les juges un “trouble de la personnalité antisociale”, contrainte de suivre une “thérapie”. Elle avait arboré un chapeau plutôt qu’un voile lors d’un enterrement. Malgré les appels de professionnels de la santé internationaux dénonçant l’instrumentalisation faite par le régime du champ de la psychiatrie, il y en a eu d’autres. Roya Zakeri, Azam Jangravi… Des femmes, mais aussi des hommes comme Saman Yasin, un rappeur kurde arrêté pour avoir apporté son soutien aux manifestants anti-régime et interné à l’hôpital psychiatrique d’Aminabad à Téhéran où il aurait été torturé et contraint de se confesser.

“Détourner et abuser des établissements, des expertises ou de la pratique psychiatrique n’est pas une tactique nouvelle dans les systèmes politiques qui cherchent à annihiler les droits fondamentaux des individus”, analyse le Dr Noshene Ranjbar, professeure agrégéede psychiatrie à la faculté de médecine de l’Université de l’Arizona. “Bien que cela tende à disparaître dans nos démocraties occidentales, l’instrumentalisation de la santé mentale est un moyen courant de réprimer la dissidence dans l’Iran post-révolution islamique. Mais avec le mouvement ‘Femmes, Vie, Liberté’, ces atrocités sont davantage portées à la connaissance du monde entier”.

Véritables enjeux de santé mentale

“Une méthode de régime totalitaire”, commente de son côté la professeure de sociologie franco-iranienne et directrice du Centre d’enseignement, de documentation et de recherches pour les études féministes de l’Université Paris Cité, Azadeh Kian. “Comme à l’époque soviétique, cette pathologisation de l’opposition a pour but de marquer la différence entre ceux qui seraient ‘normaux’, donc en accord avec les idées du régime islamique, et les autres”. Souvent des femmes, précise-t-elle, car en Iran, “ce sont les principales cibles des normes imposées par le régime patriarcal des mollahs. Considérée comme inférieure, manipulable, une femme qui désobéit – et elles sont de plus en plus nombreuses – ne peut qu’être ‘folle’ aux yeux du pouvoir”.

Selon Azadeh Kian, cette hystérisation de l’opposition serait d’autant plus lourde de conséquences que les enjeux de santé mentale sont réels en Iran. “Mais par une peur compréhensible d’apporter de l’eau au moulin du régime et sa propagande pathologisante, peu de travaux sérieux sont menés dans le pays sur l’impact de la répression que subissent les Iraniens et les Iraniennes sur leur état psychologique. Or, être les cibles d’autant de pressions et de violences quotidiennes comporte de nombreux risques établis sur le plan scientifique”, alerte-t-elle. “En Iran, les professionnels de la santé et les journalistes ne sont pas autorisés à étudier ouvertement la contribution des actions et des politiques du régime à l’augmentation des problèmes de santé mentale et des suicides chez les enfants et les adultes. Cela reviendrait à remettre en question les autorités et donc se mettre potentiellement en danger”, complète le Dr Ranjbar.

Les femmes “particulièrement vulnérables”

En 2022, deux doctorantes d’origine iranienne de la British Columbia University, Shayda Swann et Bahareh Azadi, publiaient un article sur le site du Pôle de recherche sur la santé des femmes de l’institution, intitulé “How Oppression in Iran Impacts Women’s Health” (“comment l’oppression en Iran affecte la santé des femmes”). Reprenant les estimations d’une étude parue en 2014 dans l’Iranian Journal of Public Health, selon lesquelles 25 % des femmes iraniennes souffriraient de troubles mentaux (jusqu’à 36 % à Téhéran), les auteures jugeaient que “les femmes iraniennes sont particulièrement vulnérables aux troubles de la santé mentale en raison de facteurs sociaux et culturels, notamment leur statut social inférieur, leurs droits inférieurs et les lois strictes qui régissent leur vie quotidienne”.

Dans son rapport sur la santé mentale de 2022, l’OMS rappelait en effet que les personnes exposées à des “conditions défavorables” telles que la pauvreté, la violence, ou encore des inégalités ont plus de risques d’avoir des problèmes de santé mentale. Or de l’obligation de porter le hijab sous peine de répression violente, à l’autorité parentale, qui est la prérogative des hommes, jusqu’au divorce (la femme peut le demander si elle en a reçu le droit lors de son mariage), en passant par le droit de garde, que la mère ne peut obtenir que jusqu’aux sept ans de son enfant, les injustices et la violence gangrènent la vie des Iraniennes. “Sur le plan professionnel, ça n’est guère mieux. Les employeurs préfèrent embaucher des hommes car ce sont eux qui sont censés assurer le niveau de vie du foyer. Elles n’ont donc aucun moyen d’être maîtresses de leur vie”, précise Azadeh Kian. En Iran, la proportion de femmes éduquées a dépassé celle des hommes pour la première fois en 2016 – sur l’ensemble des diplômés en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques, 70 % sont aujourd’hui des femmes. Et pourtant, fin 2023, le Centre iranien des statistiques signalait un taux de chômage de 27,8 % pour les femmes contre 13 % pour les hommes sur l’année précédente.

Les femmes ne sont pas les seules à subir les effets de la répression du régime. “La santé mentale des Iraniennes est évidemment affectée, car leur comportement leur est imposé et leurs libertés sont bafouées au quotidien. Mais, comme dans tous les pays où la population est opprimée de manière systémique, l’apparition de symptômes tels que la dépression, l’anxiété et les troubles de stress post-traumatique ne se limitent pas aux femmes”, explique le Dr Noshene Ranjbar.En clair : la santé et le bien-être des hommes en pâtissent également. “Les femmes et les jeunes filles sont si mal traitées, tandis que les hommes sont privés de modèles masculins sains, étant donné que le régime tolère la violence à l’égard des femmes… Tout cela laisse des traces sur le sens de l’identité et la santé mentale des hommes. Nombre d’entre eux ont du mal à exprimer ou à traiter leurs propres émotions de manière saine, développent des toxicomanies, des problèmes de colère ou se renferment sur eux-mêmes pour tenter de faire face à la situation. Les personnes LGBTQIA+ souffrent encore plus, et la plupart du temps en silence, car il n’y a pas de place pour sortir des cases ‘approuvées'”.

Système de santé désastreux

Soulager le mal-être, mais comment et à quel prix ? “Le système de santé iranien, en particulier en ce qui concerne la santé mentale, n’est pas équipé pour faire face à l’explosion de la crise de la santé mentale”, déplore la psychiatre. “Beaucoup de gens n’ont pas les moyens de consulter un spécialiste, et il est peu probable qu’ils trouvent le soutien dont ils ont besoin dans les cliniques communautaires, où les budgets sont dérisoires et où de nombreux médecins et autres professionnels de la santé quittent leur emploi ou quittent carrément le pays. De toute façon, face à la pathologisation de la dissidence par le régime, de nombreux Iraniens ont peur de chercher de l’aide. La situation ne fait donc qu’empirer au fur et à mesure que le temps passe et que la répression s’intensifie. C’est pourquoi nous constatons de plus en plus de suicides chez les jeunes, et plus encore chez les femmes et les personnes LGBTQIA+”.

Difficile de chiffrer avec précision cette réalité. Mais une récente étude intitulée “Characteristics of suicide attempts in Northwestern Iran : a five-year population-based survey”, publiée dans la revue BMC Psychiatry en janvier 2024, a établi une tendance à la hausse du taux d’incidence des tentatives de suicide dans la province d’Ardabil, au Nord-ouest de l’Iran, entre 2017 (99,49 pour 100 000 habitants) et 2021 (247,41 pour 100 000 habitants). Soit le taux le plus élevé parmi les pays du Moyen-Orient. Pendant ce temps, le régime des mollahs poursuit sa sordide pathologisation des voix dissidentes.




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