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Un traitement français contre la myopathie de Duchenne ? Récit d’une folle aventure scientifique

L’espoir, contre la myopathie de Duchenne, a désormais un prénom, Sacha. Petite bouille ronde, cheveux ondulés, gigantesque sourire quand le petit Alsacien accepte de venir s’asseoir à côté de sa maman, devant l’écran à travers lequel nous discutons depuis déjà une heure. Hélène a évoqué la découverte de la maladie de Sacha, par hasard, quand il avait seulement deux ans, sa dégradation dans les années qui ont suivi, les chutes, ses difficultés pour monter des marches, sa faiblesse musculaire, les balades impossibles, la conviction que le seul espoir de le sauver serait une thérapie génique alors que celle-ci n’était encore que de la “science-fiction”, le combat pour que Sacha soit inclus dans le premier essai clinique ouvert en France, et son bonheur indescriptible quand le petit garçon, 6 ans à l’époque, a reçu l’injection, le 7 décembre 2022. La suite, c’est Sacha qui la raconte. Avec son “sérum de super soldat, comme dans Captain America”, maintenant, il fait tout ce qu’il aime : “Jouer au foot avec Papa, faire du vélo, des grandes promenades à pied. Tout ça, c’est plus facile maintenant”. Les petites bêtises aussi, grimper les escaliers en courant, sauter sur le canapé, qui font tellement plaisir à ses parents.

Sacha est le tout premier enfant à avoir reçu une dose thérapeutique d’un produit développé par Généthon, le laboratoire financé par l’Association française contre les myopathies (AFM) grâce aux dons du Téléthon, dont la 38e édition se tiendra les 29 et 30 novembre. Deux ans après l’injection, sa maladie est devenue quasi invisible. Deux autres garçonnets ont aussi été traités, l’un dans le Nord, l’autre à Londres, et le médicament semble avoir, a minima, stoppé leur dégradation. La communauté scientifique écarquille grand les yeux devant cette première victoire contre cette myopathie, la moins rare des maladies génétiques rares (un garçon touché sur 5000), la plus connue aussi : c’est pour la combattre que des parents d’enfants “Duchenne” ont créé l’AFM en 1958, puis le Téléthon en 1987.

“Les résultats sont spectaculaires, meilleurs que ce à quoi nous nous attendions : ils écartent ces enfants, au moins pour le moment, de la trajectoire habituelle de la maladie. Il faut maintenant les confirmer dans un essai à plus large échelle : nous sommes juste au début du chemin, on parle de seulement trois enfants traités, mais c’est très encourageant”, résume Francesco Muntoni, professeur à University College of London et investigateur principal de l’essai. Si les questions et les incertitudes demeurent nombreuses, cet essai préliminaire n’en constitue pas moins une étape clef dans une aventure médicale et scientifique démarrée il y a près de 40 ans. “Dès la découverte du gène en cause, en 1986, les fondateurs de l’AFM ont eu l’espoir de réussir un jour à guérir cette pathologie par la thérapie génique”, rappelle Frédéric Revah, le directeur général de Généthon.

La thérapie génique ? Facile, sur le papier

Dans cette pathologie, un seul gène est muté : celui qui commande la production de dystrophine, une protéine normalement présente sous la membrane des cellules musculaires, pour les protéger des lésions causées par les contractions. En l’absence de cette dystrophine, tous les muscles du corps, y compris le cœur et le diaphragme, se dégradent, remplacés par du tissu cicatriciel (fibrose) et du gras, au point de ne plus pouvoir se contracter : les malades perdent d’abord de la force, puis la marche vers 10-12 ans, et décèdent aux alentours de la trentaine. D’où l’idée de recourir à la thérapie génique. Facile, sur le papier : puisque le gène de la dystrophine ne fonctionne plus, on va apporter aux cellules une version correcte de ce gène, elles se mettront à fabriquer la protéine, et la maladie disparaîtra. En pratique, cela s’avérera d’une infinie complexité. “La maladie de Duchenne est l’une des plus compliquée à traiter par thérapie génique”, insiste Serge Braun, le directeur scientifique de l’AFM.

Même si cette pathologie était toujours en toile de fond, les chercheurs, en France comme à l’étranger, se sont donc d’abord attaqués à d’autres affections. Depuis quelques années, les réussites s’enchaînent, contre d’autres anomalies musculaires, certaines formes de cécité, des pathologies du sang ou encore des défaillances immunitaires ou métaboliques… La myopathie de Duchenne, elle, restait ce graal que beaucoup pensaient inatteignable. Ces derniers mois, les sceptiques semblaient même l’avoir emporté. Une succession de mauvaises nouvelles est venue des Etats-Unis, où une poignée d’acteurs se sont aussi engagés dans cette bataille. Le géant Pfizer a jeté l’éponge après l’échec d’une thérapie génique en phase 3, à grande échelle. La biotech Solid biosciences, qui utilisait un produit proche, a annoncé revoir sa formulation – autant dire repartir de zéro ou presque. Sa concurrente Sarepta, elle, a obtenu une autorisation de mise sur le marché de la FDA, l’agence américaine des produits de santé, alors que son produit, en phase 3, n’avait démontré une efficacité que sur des critères intermédiaires (mineurs), suscitant une énorme polémique outre-Atlantique. Une année noire, jusqu’à ce que le sourire de Sacha ne vienne l’éclairer.

Duchenne, la maladie la plus difficile à traiter

Si la maladie est aussi difficile à traiter, c’est qu’elle touche tous les muscles, soit la moitié de la masse de l’organisme : le traitement doit donc être capable de se diffuser très largement – rien à voir avec l’injection d’une thérapie dans la rétine, par exemple. Des quantités importantes sont d’autant plus nécessaires que les cellules musculaires se renouvellent, et qu’on veut en traiter suffisamment pour éviter une dilution de l’efficacité au fil du temps. Mais plus les volumes injectés sont conséquents, plus le risque de réaction immunitaire est élevé. Sans oublier que les muscles abîmés, fibreux, gras et inflammés, compliquent la pénétration du traitement.

Et ce ne sont là que quelques-uns des casse-tête auxquels les scientifiques se sont heurtés. “Nous avons franchi les étapes les unes après les autres”, raconte Serge Braun. En 2001, ce scientifique avait été le premier à montrer qu’en injectant un gène thérapeutique dans le muscle d’un malade, il était possible d’induire la production de dystrophine. Il travaillait alors pour une société de biotechnologie, sur un programme financé par l’AFM. “Les quantités obtenues étaient bien trop faibles, mais c’était important de démontrer que lorsque l’on amenait un gène de l’extérieur, il pouvait s’exprimer, et que la protéine allait au bon endroit. Nous avions décroché la lune, tout en sachant que nous devions aller sur Mars”, se souvient-il.

La maladie de Sacha est devenue invisible.

Il a donc fallu trouver le bon transporteur, capable d’aller apporter le gène thérapeutique au plus grand nombre possible de cellules. Pour cela, il existe des vecteurs tout trouvés : les virus, qui ont évolué pendant des millions d’années pour nous infecter en envahissant nos cellules. Des virus désarmés bien sûr, transformés en enveloppes vides, dans lesquelles on peut ensuite introduire la séquence d’ADN thérapeutique. Encore fallait-il identifier le bon, celui qui cible principalement les muscles, car tous n’ont pas les mêmes affinités pour les différents tissus de notre organisme. Après des années d’efforts, les scientifiques ont fini par dénicher la perle rare : les “AAV”, des virus inoffensifs très communs. Doués pour infecter les cellules des muscles, mais… petits. Beaucoup trop petits pour contenir le gène de la dystrophine qui a pour particularité d’être le plus grand gène du génome humain. Autant tenter d’expédier une encyclopédie dans une enveloppe kraft : impossible.

Réaction immunitaire gravissime

Un chercheur britannique, Georges Dickson, et un américain Jeff Chamberlain, ont alors chacun de leur côté décortiqué le gène, pour en proposer une version minimale. Plus courte, mais dotée des briques suffisantes pour permettre quand même la production de dystrophine. Un pari, qui fonctionne chez l’animal, y compris chez certaines races de chiens naturellement atteintes par la myopathie de Duchenne. Encourageant, même si le passage chez l’Homme n’est jamais exempt de surprises, bonnes ou mauvaises. En l’occurrence, pour Généthon, la toute première injection a failli tourner à la catastrophe. C’était en 2020, avec une dose plus faible que celle administrée à Sacha. Le premier petit garçon traité a fait une réaction immunitaire gravissime. “Un peu comme un rejet de greffe, mais là, il rejetait la protéine thérapeutique. On a failli le perdre et on n’arrivait pas à comprendre pourquoi”, se rappelle Serge Braun.

A force de discuter avec des spécialistes de la maladie de Duchenne un peu partout dans le monde, il finit par deviner que d’autres laboratoires ont rencontré les mêmes déboires. Initiative rarement vue dans l’univers très concurrentiel de la recherche biomédicale, les compétiteurs acceptent de se réunir et de partager leurs données, pour chercher l’origine du problème. Et ils la trouvent : les enfants victimes de ce “rejet” étaient tous porteurs de la même forme de mutation (les anomalies affectant le gène peuvent être variables selon les patients). L’essai de Généthon peut reprendre, en excluant les enfants à risque. Deuxième enfant traité, deuxième coup du sort : le petit garçon ne présente aucune amélioration – la dose, pourtant efficace chez les chiens, s’avère trop faible chez l’homme. Les chercheurs décident alors de passer plus vite que prévu à une dose plus élevée. Ce sera pour Sacha. Toutes les équipes restent marquées par les résultats de sa première biopsie musculaire après injection. Une image noire, remplie de petits cercles rouges. “Chaque point représente une cellule produisant de la dystrophine : cela voulait dire que la protéine était bien là, et en grandes quantités”, se souvient le Pr Vincent Laugel, chef de pôle à Strasbourg, investigateur de l’étude pour la France – et médecin de Sacha.

Un enjeu de souveraineté sanitaire

Reste maintenant à passer à l’étape suivante : un essai dit de phase 3, à grande échelle, pour apporter la preuve statistique de l’efficacité du produit. Une étape jamais gagnée d’avance dans la recherche clinique. “Cet essai est prévu sur 64 enfants, et nous sommes en train de tout préparer pour démarrer dans le courant de 2025, en France et à l’étranger”, indique Gérald Perret, directeur des programmes de Généthon. Avec un autre défi, économique cette fois : le laboratoire dispose encore de doses pour traiter quelques enfants, mais pas pour le programme complet. Pour cela, il faudra de l’argent, beaucoup d’argent : 120 millions d’euros. “Nous cherchons des partenaires pour le développement clinique, car nous ne pourrons pas le financer seuls, et il est hors de question de s’arrêter là”, insiste Frédéric Revah. L’enjeu de souveraineté sanitaire est tout sauf théorique. Des acteurs français offriraient à terme de meilleures garanties de pouvoir garder cette technologie sur notre territoire. Dans un passé récent, faute de financements, les thérapies géniques contre l’amyotrophie spinale et la myopathie myotubulaire, nées des travaux de Généthon, menés grâce aux dons des Français, sont passées dans des mains étrangères – le géant suisse Novartis pour la première et un laboratoire japonais pour la deuxième.

Impossible toutefois de dire si la thérapie française fonctionnera mieux que celle de ses concurrents. “Pfizer avait un vecteur et un gène thérapeutique différents. Le produit de Sarepta est plus proche de la construction retenue par Généthon, la différence viendra essentiellement de la capacité du produit à toucher un plus grand nombre de cellules. A ce stade, les données suggèrent un fort effet, mais il est trop tôt pour trancher”, indique Francesco Muntoni, qui a été impliqué dans les essais des différents laboratoires. Mais même en cas de succès, les scientifiques seront encore très loin d’être arrivé au bout de leur mission, tant les défis et les inconnues resteront nombreux. Par exemple : combien de temps le traitement restera-t-il efficace ? Chez le chien, des animaux traités voilà dix ans continuent de gambader encore aujourd’hui. Mais chez l’homme ? Nul ne peut répondre.

Encore beaucoup de questions…

Question plus délicate encore : si tant est que l’efficacité soit démontrée sur une cohorte plus large d’enfants, et que l’effet perdure, que peut-on réellement attendre à moyen et long terme d’une dystrophine tronquée, comme celles utilisées aujourd’hui par les laboratoires ? “Les données biologiques indiquent que l’on transforme une forme grave de la maladie en une forme beaucoup moins grave, appelée dystrophie musculaire de Becker”, note le Pr Vincent Laugel. Une pathologie où les pertes musculaires arrivent beaucoup plus tard, à l’âge adulte, et où l’espérance de vie est bien plus longue qu’avec la myopathie de Duchenne. Bien, mais il faudra faire mieux. A Généthon comme ailleurs dans le monde, les chercheurs s’y attellent. Une autre biotech américaine, RegenxBio, utilise un gène un peu plus long, et a commencé des essais préliminaires qui semblent aussi prometteurs. D’autres équipes travaillent sur des gènes entiers mais coupés en plusieurs morceaux et expédiés avec les instructions nécessaires pour s’assembler une fois arrivés dans les cellules, un peu comme un kit d’une célèbre marque suédoise. D’autres encore misent sur les ciseaux moléculaires Crispr-Cas9 pour aller directement réparer les gènes malades, au lieu de leur apporter des copies “thérapeutiques”.

Il faudra aussi trouver des solutions pour tous les enfants qui ne peuvent pas être injectés. Les vecteurs étant des virus communs, une part non négligeable de la population y a déjà été exposée, et a développé des anticorps contre eux. Impossible dans ce cas d’administrer la thérapie : leur système immunitaire détruirait immédiatement le médicament. Même chose pour les enfants inclus dans les essais et qu’il faudrait retraiter – tout de suite pour ceux chez qui le produit n’a pas été efficace, ou plus tard, en cas de perte d’efficacité. Avec l’injection, ces patients sont comme vaccinés contre le virus, et développent eux aussi des anticorps. “Dans une autre maladie, nous allons bientôt démarrer un essai qui inclura des patients immunisés contre le vecteur : chez eux, nous allons regarder si un traitement antirejet transitoire donne au virus la possibilité d’arriver jusque dans les cellules, et de délivrer son matériel génétique”, détaille Serge Braun.

La question des enfants plus âgés, où la maladie est déjà avancée, reste entière – il y a aujourd’hui une forme de consensus parmi les experts pour dire que la bonne fenêtre de traitement se situe probablement vers 6-7 ans. Avant, la croissance importante diluerait trop le traitement. Après, l’efficacité paraît plus difficile à démontrer, à la fois à cause de l’état des muscles des patients et de la durée de l’essai clinique qu’il faudrait mettre en place. “C’est frustrant pour les familles, mais il est important de dire que nous ne sommes pas encore au traitement universel de cette maladie”, insiste Vincent Laugel. Un premier pas, mais un premier pas qui compte.




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