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Mohammed VI ou le culte du mystère : ce que révèle la stratégie de communication du roi du Maroc


Le 28 octobre 2024, Emmanuel Macron arrive au Maroc pour une visite d’État, accueilli par le roi Mohammed VI, marquant ainsi la fin de plusieurs années de tensions diplomatiques. Derrière les gestes protocolaires et les discours, c’est la manière dont le roi communique qui attire l’attention. Dans un monde où l’immédiateté est la norme, Mohammed VI choisit de rester discret et de limiter ses apparitions. Cette approche, loin de le rendre absent, renforce son image et lui permet de garder un certain contrôle sur son message. À la tête d’un Maroc oscillant entre traditions millénaires et ambitions modernes, Mohammed VI adopte une posture singulière qui défie les conventions de la communication moderne. Tandis que le royaume déploie une stratégie active de nation branding – avec un accent sur le tourisme, le sport et l’ouverture culturelle – le roi, lui, choisit le mystère et la retenue. Contrairement à d’autres chefs d’État qui inondent les réseaux sociaux, multipliant interviews et déclarations instantanées, il préfère une approche rare et minutieusement contrôlée, où chaque mot posé dans un discours, chaque silence même, résonne avec gravité.

Dans les rares occasions où il s’adresse à la nation – la Fête du Trône, la Marche Verte – le roi n’offre pas seulement un discours, il impose un rythme, une vision qui contraste avec le rythme médiatique, comme pour mieux affirmer son ancrage au cœur de la vie des Marocains. Il est tentant de voir dans cette stratégie une “communication zéro risque” un rempart contre les soubresauts du débat médiatique. Ce choix délibéré intrigue et fascine : comment un chef d’État moderne, qui se tient à distance des standards de communication actuels, parvient-il à maintenir une telle emprise sur la scène publique et à susciter l’adhésion populaire ? Ce choix soulève un paradoxe : comment rester proche sans être accessible, inspirer sans s’exposer ? Mohammed VI semble avoir trouvé une formule de proximité distante, où la rareté confère à chaque apparition un impact renforcé.

Mais, comme toute stratégie, celle-ci comporte des fragilités. Dans les moments de crise, comme lors du récent tremblement de terre, le silence qui protège peut devenir le silence qui isole. Là où l’attente grandit, l’absence de réponse immédiate peut nourrir l’inquiétude, voire l’impatience. C’est là toute la complexité d’une communication fondée sur la rareté : être proche sans céder à l’instantanéité, inspirer sans se plier aux exigences de l’immédiateté. Mohammed VI marche sur un fil, et chaque silence, chaque apparition, renforce un peu plus la densité de son mystère.

La parure vestimentaire, un élément clé

La communication de Mohammed VI ne se fait ni par interviews ni par conférences de presse, mais repose sur un art ancien et subtil : celui de la communication non verbale. Dans le cadre de cette monarchie séculaire, chaque détail, chaque geste, chaque apparence porte un sens. Le souverain, fin stratège, a parfaitement intégré cet élément à son mode de gouvernance, et son apparence publique devient une manière de dire sans parler. La parure vestimentaire du roi s’impose comme un élément clé de son image, où le choix de ses tenues, souvent plus décontractées lors de ses sorties privées, va bien au-delà de la simple mode personnelle. Elles traduisent un désir d’humaniser la fonction royale, d’offrir une image de proximité avec son peuple, et de rappeler que, derrière le trône, Mohammed VI est aussi un homme du quotidien.

À la différence de ses homologues comme le roi Abdallah II de Jordanie, l’émir Tamim ben Hamad Al Thani du Qatar, ou encore Mohammed ben Salmane d’Arabie saoudite, qui misent sur une présence active et visible sur les réseaux sociaux pour soigner leur image et atteindre directement la population, Mohammed VI adopte une stratégie de communication plus traditionnelle et indirecte. Absence de site Internet, de comptes Instagram ou X : la rareté de ses apparitions publiques, toujours soigneusement choisies, participe à la construction d’un message où l’absence et la discrétion deviennent des outils de pouvoir. Cette méthode semble avoir fait ses preuves, au Maroc, où chaque geste du roi, chaque détail vestimentaire, chaque photo fait l’objet d’une attention particulière et d’une interprétation implicite. Ce choix de communication, tout en étant moins transparent, offre une dimension mystérieuse à la figure du souverain, laissant au public le soin de décrypter son sens.

Dans cette démarche mesurée, la communication royale délivre également un message subtil de continuité et de stabilité. Les apparitions de plus en plus fréquentes du prince héritier Moulay El Hassan aux côtés du roi, notamment lorsqu’il l’assiste pour s’asseoir lors du dernier discours du Trône, sont loin d’être anodines. Ce sont probablement des signes pensés pour rassurer le peuple marocain, notamment face aux questionnements autour de la santé du roi. Dans un royaume où l’institution monarchique demeure solidement ancrée dans ses traditions, ces gestes apparaissent comme une affirmation que le futur est déjà en marche, et que la monarchie, au-delà de sa figure actuelle, continue de représenter un pilier de stabilité et de progrès pour le pays.

Le paradoxe royal : proximité sans surexposition

Les choix de Mohammed VI, en matière de communication, témoignent de son ambition de démocratiser, dans une certaine mesure, la fonction royale, sans pour autant sacrifier le prestige historique de la monarchie. Lorsqu’il se prête au jeu des photos avec ses concitoyens ou s’affiche aux côtés de personnalités populaires telles que Teddy Riner ou DJ Snake, il s’adresse aux Marocains avec une simplicité déconcertante. En jouant sur cette proximité, il instaure une forme de démocratie de l’image qui, à première vue, pourrait surprendre. Mais au fond, cette stratégie semble avoir pour but de faire reculer la royauté des excès de la médiatisation, pour la recentrer sur ce qui reste fondamental : son lien privilégié avec le peuple marocain.

A l’heure où l’omniprésence médiatique est devenue un passage obligé pour les leaders, Mohammed VI choisit de s’en éloigner. Ce choix n’est certes pas unique à la monarchie marocaine, mais il incarne une stratégie particulière à Mohammed VI. Là où son père, Hassan II, cultivait une présence constante dans l’espace public et médiatique, le roi actuel privilégie la retenue. En refusant de céder aux sirènes d’une communication constamment active, il se distingue de ces dirigeants qui saturent l’espace public, risquant ainsi de diluer leur message dans le tumulte des informations incessantes. Loin de la frénésie des apparitions multiples, il nous rappelle que chaque geste, chaque discours royal, doit être un moment privilégié, porteur d’un sens profond, adressé directement à la nation.

Une stratégie risquée à l’ère de la transparence

La communication de Mohammed VI a connu l’une de ses épreuves les plus délicates lors du récent tremblement de terre qui a bouleversé le Maroc. Dans un pays où la figure royale porte à la fois espoir, réconfort et autorité, chaque parole du roi, chaque geste compte. Mais au-delà de son statut symbolique, Mohammed VI incarne aussi une règle tacite de la monarchie : le roi intervient en dernier, lorsque les tensions se sont apaisées, quand il est temps de rassembler et de donner une vision. Cette approche mesurée, presque méditative, témoigne de la prudence et de l’importance de chaque déclaration. Mais cette réserve, dans un contexte de crise immédiate, a des effets ambigus.

À la suite de cette catastrophe naturelle, nombre de Marocains et d’observateurs internationaux ont exprimé leur surprise, voire leur frustration, face au silence du palais dans les premières heures. Ce manque de réaction immédiate a laissé une place vacante dans l’espace public, un vide où se sont engouffrées rumeurs et interrogations. Le gouvernement, quant à lui, n’a pas su occuper cette place avec la clarté et l’assurance attendues. Alors, peut-on dire que ce silence du roi relevait d’une stratégie bien calculée, pour éviter toute précipitation et éviter une polémique médiatique qui aurait pu éclipser l’essentiel – l’aide aux sinistrés, la reconstruction, l’appel à la solidarité ? Cette retenue, si elle est l’un des traits de la communication royale, a ici révélé ses limites dans une société où l’instantanéité est devenue la norme.

En choisissant de parler en dernier, Mohammed VI s’appuie sur la sagesse de la distance, consciente de l’impact d’un message délivré au moment où les passions s’éteignent. Mais cette approche prudente, qui rappelle l’ancienne tradition monarchique du verbe rare, se trouve mise en tension face aux nouvelles attentes médiatiques et citoyennes. Car en temps de crise, un mot, même bref, une présence symbolique, peut suffire à apporter du réconfort, à apaiser l’angoisse. Il reste une question en suspens : dans des moments de vulnérabilité nationale, le choix du silence est-il encore viable, ou risque-t-il de créer une distance involontaire avec le peuple ?

Le tremblement de terre a montré la force et les limites de cette posture. Il a mis en lumière la difficulté pour une monarchie séculaire de trouver sa place entre tradition et modernité, entre le mystère de la fonction royale et l’urgence des émotions populaires. Plus que jamais, le défi pour Mohammed VI sera de jongler entre ces attentes contradictoires, de rester à la fois un roi proche et lointain, un guide dont le silence rassure, sans jamais devenir une absence. Le tremblement de terre, en révélant les limites de cette stratégie de réserve, soulève une question délicate pour la monarchie : dans une ère d’instantanéité, le silence est-il toujours une force, ou pourrait-il creuser une distance involontaire avec le peuple ?

Peut-on encore diriger en incarnant le mystère ?

Dans un contexte où les citoyens attendent une plus grande proximité avec leurs institutions, la communication du roi devient un vecteur essentiel pour renforcer le lien entre le peuple et la monarchie. La transparence, loin d’être un luxe, apparaît désormais comme un devoir, une condition nécessaire à l’exercice de la responsabilité, dans une ère où les attentes démocratiques redéfinissent les rapports entre dirigeants et gouvernés.

Mohammed VI semble avoir trouvé un équilibre délicat entre présence et retrait, mais ce modèle de communication, qui a ses vertus en termes d’autorité et de mystère, pourrait se heurter aux exigences croissantes de transparence. À l’heure où la démocratie se consolide, le roi doit prendre en compte cette évolution : dans un monde où l’information circule instantanément et où les citoyens sont de plus en plus demandeurs d’authenticité, la fonction de communication royale devient un pilier central du projet démocratique. La question demeure : peut-on encore diriger en incarnant le mystère, ou cette approche est-elle condamnée à se réinventer pour répondre aux nouveaux défis de transparence et de responsabilité qui façonnent le Maroc de demain ?

* Ismail Daoud est communicant et ancien élève de l’École Nationale d’Administration (Promotion Aimé Césaire)




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