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Il y a dans la victoire de Donald Trump une fatalité rageante, et pourtant… Par Abnousse Shalmani


En 2016, dix jours après la victoire de Donald Trump, l’historien des idées et professeur à Columbia Mark Lilla publiait une tribune dans le New York Times : “Ces dernières années, la gauche américaine a cédé, à propos des identités ethniques, de genre et de sexualité, à une sorte d’hystérie collective qui a faussé son message au point de l’empêcher de devenir une force fédératrice capable de gouverner.” S’il se désolait de la victoire de Donald Trump, il espérait y voir la fin de la “gauche diversitaire”.

Il aura fallu près de dix ans et une seconde victoire pour que… rien ! Mark Lilla, né à Détroit en 1956, père ouvrier, mère infirmière, étudiant boursier à Harvard, centre gauche assumé, plume acérée au vitriol – “la politique identitaire, c’est du reaganisme pour gauchiste” – a certainement passé ces dix dernières années à se demander pourquoi les démocrates se sont enfoncés chaque jour davantage dans la stérile synthèse identitaire qui les a emmenés vers une défaite encore plus cuisante que la première (Donald Trump a cette fois aussi gagné le vote populaire). Et comment les commentateurs, aux Etats-Unis comme en France, peuvent continuer à broder sans ciller sur le racisme et la misogynie qui a empêché la victoire de Kamala Harris – qui s’est juste contentée de faire une très mauvaise campagne – sans remarquer le pourcentage d’Afro-Américains, de latinos, d’Asiatiques, de jeunes et de femmes qui ont voté pour le républicain outrancier, grossier et très certainement dangereux pour la démocratie libérale.

La bascule de l’Amérique

Le spectacle est fascinant : une grande partie de l’élite médiatique, politique et intellectuelle (ne te méprends pas cher lecteur, j’en suis, j’y participe, je ne me dédouane pas ni vire populiste opportuniste) se réunit la mine grave, la larme à l’œil, la voix s’égarant dans les aigus hystériques, pour décrire la bascule de l’Amérique viriliste-masculiniste-raciste-ultralibérale dans le fascisme le plus flagrant. Il est rare d’entendre un mince filet de voix, intimidé par tant d’unanimité no pasaran, remarquer discrètement, sans insister, que l’origine sociale a certainement davantage joué que l’origine raciale, ethnique ou sexuelle. Il est encore plus rare de rappeler l’analyse au cordeau et les propositions constructives d’un Yascha Mounk, qui constatait, il y a un peu plus d’un an, que “le piège de l’identité sape des valeurs importantes, dont la liberté d’expression. Ses applications malavisées se sont révélées contre-productives, comme pour l’éducation. Elles ne posent pas les bases d’une société plus juste et plus tolérante, mais celle d’une compétition à somme nulle entre les groupes identitaires mutuellement hostiles”.

Qu’a répété Elon Musk, soutien tapageur et omniprésent de Trump, sur la liberté d’expression ou, ad nauseam, sur les dérives éducatives et sécuritaires, pointant la dissolution de la communauté américaine au profit de groupes disparates ? Qu’a fait Donald Trump, si ce n’est s’adresser aux Américains, à tous les Américains, en leur parlant de leur portefeuille, de leur quotidien, de leur avenir et de leurs peurs ? Le candidat républicain est parvenu à imposer son authenticité (fabriquée, mise en scène, artificielle) face à une démocrate alignant stars hollywoodiennes et pop stars millionnaires qui, si elles sont appréciées pour leurs œuvres, n’exercent absolument aucune influence sur les angoisses d’un citoyen qui cumule trois emplois sans parvenir à mettre de côté de quoi envoyer ses enfants à l’université.

Il y a dans la victoire éclatante de Donald Trump une fatalité rageante. Tout était pourtant disponible – l’analyse du phénomène qui de symptôme se transforme sous nos yeux ébahis en un libertarisme d’Etat sous la puissante influence d’Elon Musk et de Peter Thiel, les idées pour le juguler, les perspectives politiques qui incluaient les questions qui hérissent bêtement la gauche (sécurité, immigration, minorités, inflation) – pour écrire une nouvelle page de l’universalisme libéral puissamment inclusif. Les démocrates ne peuvent que constater que le parti républicain est devenu le parti populaire et multiethnique, alors qu’ils se sont installés dans un entre-soi bourgeois et moraliste. Que reste-t-il aux démocrates occidentaux, outre leurs larmes pour pleurer ?




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