Beaucoup ont pensé mal comprendre. Ont imaginé que Donald Trump changerait d’avis. Ou qu’il anticiperait sur un refus du Congrès. Et pourtant, les faits sont là : le futur 47e président des Etats-Unis a confirmé son intention de nommer Robert Kennedy Jr à la tête du ministère de la Santé américain. Ce sulfureux personnage, avocat spécialiste de l’environnement mais surtout antivax et complotiste notoire, aurait ainsi tous pouvoirs sur des institutions aussi importantes que la FDA (food and drug administration, l’agence responsable des médicaments et de la sécurité sanitaire des aliments), le NIH (National institutes of Health, en charge de la recherche biomédicale, à l’instar de l’Inserm en France), ou encore les CDC (Centers for Disease Control, équivalent des agences régionales de santé).
Il faut comprendre l’ampleur de la déflagration suscitée par cette annonce : en 2021, le neveu de John F. Kennedy a été classé parmi les 12 plus grands propagateurs de fausses informations en ligne sur le Covid par le Countering digital hate, ONG spécialisée dans la lutte contre l’obscurantisme digital. Il n’a eu de cesse de piétiner la science tout au long de sa campagne. “RFK” considère que les vaccins rendent autiste, que donner des antidépresseurs aux adolescents augmente le risque qu’ils s’adonnent à des tueries de masse, ou encore que la CIA a tué son oncle.
Une fois le choc passé, il faut s’interroger : quels seraient les effets concrets de cette nomination si elle devait être validée par le Congrès ? Pour répondre à cette question, il convient de faire avec Robert Kennedy comme beaucoup d’analystes le font sur d’autres sujets avec Donald Trump lui-même : le prendre au mot. En décortiquant ses annonces et ses déclarations, on trouve du catastrophique, du très inquiétant, du très mauvais, mais aussi, étonnamment, quelques idées intéressantes. Encore faudrait-il qu’il les mette en œuvre : le personnage s’annonce tout aussi imprévisible que Donald Trump.
Recrudescence des maladies infectieuses
Commençons par le pire : Kennedy, sceptique quant à l’intérêt de certains médicaments, est surtout un farouche opposant à la vaccination. S’il se dit favorable au “libre choix”, il a notamment appelé à résister aux recommandations en la matière concernant les enfants. L’adhésion à la vaccination étant un combat permanent pour les autorités de santé du monde entier, on imagine très bien les conséquences qu’aurait un ministre antivax à la Santé, et beaucoup d’experts anticipent déjà une recrudescence des maladies infectieuses aux Etats-Unis. Faut-il rappeler l’intérêt de ces injections ? Selon une étude de The Lancet, vacciner les enfants a permis de sauver 100 millions de nourrissons dans le monde ces cinquante dernières années.
Tout aussi inquiétant, Robert Kennedy Jr a déclaré sur les réseaux sociaux s’engager à “libérer les agences” (sanitaires, NDLR), notamment du “nuage étouffant de la mainmise des entreprises”. Si cela consiste à licencier, comme il l’a laissé entendre à de nombreuses reprises, tout personnel défavorable à ses thèses, la mesure s’annonce dramatique, tant les avis de ces agences sont scrutés à travers le monde, dans leurs champs de compétence respectifs. Les mettre au pas, faire en sorte qu’elles soient acquises à une idéologie dégraderait profondément la qualité de leurs évaluations. Si cela passe par renforcer “l’indépendance”, la “transparence” et “l’efficience” de la recherche, ce qu’il promet dans le même temps, quelques améliorations pourraient cependant voir le jour.
Encore faudrait-il que l’intendance suive : si Kennedy veut par exemple en finir avec la dépendance de ces institutions à l’argent privé, cette “corruption” qu’il voit partout, il ne dit pas où trouver l’argent manquant, qui représente parfois de 50 % à 75 % de leurs budgets. Et s’il veut simplifier l’organisation de la recherche, la débarrasser de sa paperasse, en réduisant par exemple le nombre d’instituts pilotés par le NIH, de 27 à 15, rien ne dit que ce n’est pas, surtout, à des fins idéologiques. Kennedy n’a par exemple jamais caché qu’il trouvait inutile de travailler sur les maladies infectieuses. Sans ces laboratoires, pas de vaccin contre le Covid-19, du moins pas aussi rapidement. C’est la santé publique mondiale tout entière qui pâtirait de cette décision, et pas uniquement celle des Américains.
Vers une baisse du prix des médicaments ?
A l’inverse, et de façon très étonnante pour des partisans d’un libéralisme décomplexé comme Robert Kennedy et Donald Trump, les deux hommes semblent décidés à s’attaquer à certaines dérives bien réelles. “RFK” veut bannir la publicité pour les médicaments à la télévision, ce qui serait une avancée majeure dans un pays inondé par les produits pharmaceutiques, et notamment les antalgiques, un temps distribués en masse et responsable de la crise des opioïdes. Avec lui, dit-il, 50 % des budgets de recherche iraient à la prévention ou à des approches “alternatives”, comme l’étude de l’effet de certains régimes alimentaires, ou le développement de médicaments génériques.
Plus surprenant encore, sa position sur la question du prix des médicaments, et notamment des médicaments innovants, particulièrement coûteux. A la fin de son premier mandat, Donald Trump avait tenté de passer un texte pour plafonner les tarifs des produits de santé pris en charge par Medicare et Medicaid au niveau de ceux pratiqués sur les autres marchés mondiaux. Son propre camp s’y était opposé, mais RFK a récemment relancé l’idée dans une tribune au Wall street journal. Une telle proposition, si elle finissait par être adoptée, pourrait présenter, dans un premier temps, des effets favorables pour les Européens.
Aujourd’hui en effet, les laboratoires pharmaceutiques (dont les cours ont baissé après l’annonce de Donald Trump) lancent d’abord leurs médicaments sur le marché américain, à des tarifs pas ou peu négociés, qui servent ensuite de base de discussion dans le reste du monde, et notamment en Europe. Le point de départ étant très haut, les factures restent élevées de ce côté de l’Atlantique, y compris après négociation. Un changement de politique aux Etats-Unis pourrait donc indirectement avoir un effet positif sur les comptes sociaux du Vieux continent. Mais il y aurait sans doute aussi des effets indésirables : les Américains finançant aujourd’hui largement l’innovation pharmaceutique, celle-ci pourrait à moyen terme être ralentie par une telle décision.
Epidémie de maladies chroniques
Autre promesse de campagne, Kennedy promet de “renverser l’épidémie de maladies chroniques” (obésité, diabète…) dont souffrent les Américains. D’où ce slogan, qu’il n’a eu de cesse de répéter après s’être allié à Donald Trump : “Make America Healthy Again”. Dans les mots, le projet est ambitieux : “Je vais presser le président Trump pour qu’on fasse de ces pathologies une urgence nationale, comme on l’a fait pour le Covid-19”, a-t-il déclaré le 26 septembre dernier. L’homme politique est cette fois-ci, globalement en accord avec le consensus scientifique : Kennedy veut remettre l’Amérique au sport, la débarrasser de la malbouffe, lui faire à nouveau goûter aux joies de la lumière du jour, et de “tous ces atouts sanitaires qui ne peuvent pas être brevetés”.
Si on laisse de côté le plus farfelu, comme “licencier […] tous les scientifiques spécialisés dans la nutrition” travaillant pour l’Etat fédéral, il faut lui reconnaître quelques propositions intéressantes. Kennedy a par exemple proposé de s’aligner sur certaines normes européennes bien plus précautionneuses, notamment en matière d’additifs ou d’ingrédients potentiellement néfastes. Il voudrait faire en sorte que l’aide alimentaire ne puisse pas permettre d’acheter des sodas ou de la junk food et bannir la nourriture transformée des cantines. Une précaution souhaitable, selon les scientifiques : les transformations abîment les nutriments, et accentuent l’absorption du sucre ou du gras, présents en masse dans ce type de nourriture.
Kennedy a aussi promis de faire payer aux industriels de la malbouffe les coûts de l’obésité et du diabète, dont les soins sont particulièrement onéreux. Contrairement à la France par exemple, les Etats-Unis ne taxent que très peu les produits très sucrés. Or plusieurs expérimentations locales semblent montrer qu’en plus de permettre de récupérer de l’argent, de telles mesures pourraient avoir un effet dissuasif pour le consommateur. A Seattle par exemple, où le dispositif a été mis en place, la consommation de soda a baissé de 22 %. Pourtant pourfendeur de l’OMS à bien des égards, le voilà cette fois-ci aligné sur ses recommandations… Il n’est toutefois pas certain que cela suffise à contrebalancer les effets désastreux du reste de son programme.
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