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La Royal Navy en souffrance, symbole d’une défense britannique à la dérive


D’une cinquantaine de mètres de hauteur pour une longueur de 260 mètres, le “Devonshire Dock Hall” fait la fierté des habitants du port de Barrow-in-Furness, dans le nord-ouest de l’Angleterre. De ce grand hangar de couleur beige sortent, depuis des décennies, les sous-marins à propulsion nucléaire fabriqués par BAE Systems pour le Royaume-Uni. Dans la nuit du 29 au 30 octobre, l’emblématique bâtiment provoque cependant l’effroi des riverains. Alertés par des sirènes, ils voient de grandes flammes émerger de ses vastes portes coulissantes entrouvertes.

Qu’est-ce qui a provoqué ce feu spectaculaire, rapidement maîtrisé ? Aucune information n’a été donnée sur son origine, ni sur les dégâts occasionnés – deux personnes ont été blessées. L’épisode vient toutefois compléter la série noire que subissent les submersibles britanniques depuis plusieurs mois, symbole des déboires que rencontre la marine du roi Charles III et, plus largement, ses forces armées. Des difficultés d’autant plus dommageables qu’elles interviennent alors que les tensions avec la Russie s’accroissent et que la relation transatlantique pourrait être mise à l’épreuve par le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche.

Un manque de disponibilité opérationnelle

Cet été, les médias anglais se sont alarmés du manque de disponibilité opérationnelle des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) : aucun des cinq modèles de classe Astute, la plus moderne, n’avait pu réaliser la moindre mission depuis le début de l’année. Un de ces SNA, le HMS Hanson, poursuivait sa phase d’essais en mer avant sa mise en service, tandis que les quatre autres se trouvaient en réparation ou attendaient de l’être, parfois depuis plusieurs mois. Avec une double contrainte, récemment levée : un monte-navire pour sortir les sous-marins de l’eau hors service, en attente de réparation (son fabricant a mis la clé sous la porte), et une cale sèche en travaux.

Seul le HMS Triumph, dernier de la classe Trafalgar, armé il y a 33 ans, a pu réaliser une mission. Et encore, pas complètement, puisque ce SNA ancienne génération a dû rebrousser chemin, alors qu’il devait opérer en Méditerranée orientale. “La Royal Navy paye ses sous-investissements dans les infrastructures, mais c’est en train de s’améliorer pour les SNA, nuance Nick Childs, chercheur au groupe de réflexion IISS. A terme, l’accord AUKUS [NDLR : un pacte de sécurité entre lest Etats-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni] devrait aider à combler ce problème.” Ce partenariat prévoit en particulier la construction de sous-marins australien à propulsion nucléaire avec la collaboration de BAE Systems.

En attendant, le manque de disponibilité actuel à des conséquences en cascade. Il se traduit par moins de sorties en mer pour former les équipages – déjà difficiles à constituer – et les maintenir à niveau. Mais aussi pour assurer certaines missions cruciales, comme la chasse aux submersibles russes dans les eaux transatlantiques, en particulier lorsque les sous-marins lanceurs d’engins (SNLE), porteurs de missiles nucléaires, partent en mer pour assurer la dissuasion britannique.

Là encore, la Royal Navy se trouve dans une situation délicate. Comme la France, le Royaume-Uni dispose de quatre SNLE, pièces maîtresses de sa dissuasion nucléaire, grâce à ses missiles balistiques intercontinentaux équipés de bombes atomiques, les Trident II D5. À tout moment, au moins l’un d’entre eux doit être caché dans les mers, prêt à tirer sur ordre. Mais entre d’indispensables rénovations et réparations – prioritaires sur celles des SNA –, les missions ont été considérablement rallongées. Un record de 201 jours en mer a été réalisé par le HMS Vengeance en mars, surpassant les 195 jours du HMS Vigilant de l’année précédente.

“En France, c’est 60 à 70 jours en général, explique un ancien sous-marinier. J’ai du mal à imaginer comment maintenir l’attention d’un équipage pendant trois fois plus de temps : heureusement que nous ne sommes pas dans cette situation, ce n’est pas un record qu’il faut essayer de battre…” Les conditions de vie à bord s’en sont trouvées dégradées. Faute de réapprovisionnement en mer, l’équipage d’un de ces SNLE en mission longue a dû rationner ses réserves alimentaires, tandis que l’inquiétude montait face au manque de concentration des marins, poussant le personnel médical à distribuer des comprimés de caféine, a indiqué fin octobre le quotidien The Sun.

Le fossé se creuse avec l’armée française

La “Royal Navy” n’est plus la force de première classe qu’elle a été pendant des siècles sur les mers. Au point de voir la France lui passer devant au niveau opérationnel : “J’ai la chance d’avoir 75 à 80 % de disponibilité de mes frégates, s’est félicité récemment le chef d’état-major de la marine française, l’amiral Nicolas Vaujour, lors d’une audition par la Commission de défense de l’Assemblée nationale. Contre à peine 33 % pour les Britanniques, a-t-il pointé : “J’ai plus de disponibilité qu’eux, alors qu’ils ont plus de frégates que moi” (dix contre quinze). La faute, comme pour les sous-marins, à des problèmes d’infrastructures et de personnels pour le maintien des navires en condition opérationnelle.

La marine n’est pas une exception. On retrouve ces soucis aussi bien dans la “Royal Air Force” qu’au niveau des forces terrestres – la “British Army”. Ces deux armées comptent moins de militaires et d’équipements que leurs équivalents français. Pour autant, le budget de la défense britannique est bien plus élevé que celui de la France (74 milliards d’euros contre 64 milliards, selon l’Otan). “Les industriels de défense ont souvent plus d’influence sur les politiques publiques que ces dernières[sur les entreprises en questions], s’est ému Tom Sharpe, un ancien marin, dans l’une de ses chroniques du Daily Telegraph. C’est ainsi que nous nous retrouvons à dépenser beaucoup plus pour la Défense que, par exemple, la France, alors que celle-ci est plus puissante que nous dans presque tous les domaines.”

“L’armée britannique est à l’agonie et cela commence à se voir”, confie un haut gradé français. “Ils ont perdu la culture interarmes, certains officiers terrestres ne se sont jamais entraînés à manœuvrer avec un char, ce qui est impensable en France, s’étonne un autre. Ils ont baissé en gamme.” Cela n’a pas échappé à leur partenaire privilégié, les Etats-Unis. “Un haut général américain a déclaré en privé au secrétaire britannique à la Défense Ben Wallace son armée n’était plus considérée comme une force de combat de haut niveau”, révélait Sky News en 2023.

A peine arrivé au pouvoir, le nouveau gouvernement travailliste a donc lancé un examen des armées, dont les conclusions sont attendues pour le premier semestre 2025. Le Premier ministre, Keir Starmer, a réaffirmé son engagement à consacrer 2,5 % de son PIB à la défense (2,3 % actuellement). Cela sera-t-il suffisant pour redresser la barre, mais également contenter un nouveau président américain résolu à voir les Européens dépenser toujours plus pour leur défense ? Probablement pas, fait valoir l’ancien chef d’état-major de la Royal Navy, Lord Alan West, dans les colonnes de The Observer, en préconisant de monter à 3 %, pour “montrer l’exemple”. “Ce serait une grande avancée, veut-il croire. Donald Trump serait de notre côté.”





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