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Un espion nommé Lionel Jospin, l’inspiration de Jean-Luc Mélenchon… La fascinante histoire du “Parrain rouge”


Il est des livres politiques qui se lisent comme des romans. Le Parrain rouge (Plon) du journaliste François Bazin tient de celui d’espionnage, avec ses mille et un soubresauts, temps de guerre ou de paix, de la Russie à Paris, avec ses agents secrets, agent double, triple, taupe, indic ou encore sous-marin. Trahisons, éliminations, prison… Ici, tout est vrai. L’histoire, ou plutôt l’épopée, de Pierre Broussel, dit Lambert, décédé en 2008, figure méconnue de la gauche française – dont il a dirigé l’une des franges les plus extrêmes, l’Organisation communiste internationaliste (OCI). Méconnue, mais influente jusque dans les arcanes du parti socialiste.

Lambert a formé toute une génération de militants de gauche, syndicalistes ou politiques, idéologiquement structurés et rompus au combat politique, mais aussi et surtout plus d’un socialiste, et pas des moindres : l’un deviendra Premier ministre (Lionel Jospin), l’autre Premier secrétaire du PS (Jean-Christophe Cambadélis) ou encore celui-ci qui dirige aujourd’hui la France insoumise, force motrice du Nouveau Front populaire, un certain Jean-Luc Mélenchon.

“Pierrot de Montreuil”

Pierre Broussel, c’est l’histoire d’un nom. De plusieurs, à vrai dire. Il préférait son autre “blase”, plus passe-partout, “Lambert”, quand ses premiers amis ne l’appelaient pas “Pierrot de Montreuil”. Et pour échapper à ses adversaires ou aux policiers de la Sûreté nationale du ministère de l’Intérieur d’avant-guerre qui traquaient les communistes et surveillaient les syndicalistes, il utilisait ses pseudos “Andréi”, “Lejeune” ou “Témansi”. Pierre Broussel, c’est l’histoire d’une force partisane, l’OCI, “conçue comme une armée, formée comme un bloc, soudée par la conviction tirée de textes sacrés que l’autre est un ennemi, ou pis encore un traître – d’où l’usage jugé légitime de la violence”, écrit François Bazin. Une organisation de révolutionnaires trotskistes aux petits pieds, mouvement confidentiel mais riche de militants actifs convaincus depuis des décennies que le “Grand Soir” doit se dérouler le lendemain – ou peut-être était-ce le surlendemain ? Ses partisans d’aujourd’hui l’attendent encore et toujours. Et ce leader des plus confondants, “un homme de principe et un manœuvrier, un dogmatique et un tacticien, retrace Bazin. Il était entièrement dévoué à l’idéal révolutionnaire auquel il a consacré son existence et cet idéal même autorisait ses accommodements, notamment dans le monde syndical.”

Un espion nommé Lionel

Pierre Broussel, c’est l’histoire de rendez-vous manqués. En mai 1968, il se refuse au mouvement de protestation qui lie pourtant ouvriers et étudiants. L’affaire lui est reprochée en interne. Alors, il purge ceux qui le critiquent, qu’importe qu’ils aient été ses proches, ses amis, ses soutiens, ses militants dévoués. La loyauté est un principe inaltérable. Jean-Luc Mélenchon s’en inspirera pour ses purges, celle de 2019 lors des élections européennes et les plus récentes, qui ont visé Alexis Corbière, Raquel Garrido et consorts à l’aube des législatives de 2024. François Bazin brise un mythe, largement entretenu par Jean-Luc Mélenchon lui-même : les deux hommes ne se sont jamais vraiment connus. Il n’empêche que le leader de LFI lui ressemble tant, dans la méthode plus que la ligne, dans la façon de gérer sa boutique politique à la manière “d’un petit patron, paternaliste et parfois acariâtre, qui certes pouvait frapper dur, écrit François Bazin, mais qui en général laissait à d’autres le soin de faire le ménage”.

L’autre grand rendez-vous manqué sera 1981. Car si Jean-Luc Mélenchon n’est ni son héritier, ni sa taupe au PS, on ne peut pas en dire autant de Lionel Jospin… Le passé “lambertiste” du grand Lionel a fasciné des générations de socialistes autant que de journalistes. Bref, l’ancien Premier ministre, candidat à l’élection présidentielle, était-il de ces aspirants révolutionnaires d’extrême gauche, sorte de taupe de Lambert, agent secret infiltré dans les rangs du PS, avant d’en prendre les rênes, puis d’atterrir au sommet de l’État, à Matignon ? François Bazin lève enfin le voile. En 1972, Lambert se charge d’être “l’officier traitant” de Lionel Jospin et l’envoie effectivement en mission au PS où il grimpe les échelons. Les deux continuent de se voir pour des comptes rendus, non pas au siège de l’OCI mais dans des “appartements discrets”. Au PS, certains proches de François Mitterrand s’étonnent de l’ascension fulgurante du jeune Jospin. Le futur président balaie d’un revers de main : “laissez-moi faire.” Mitterrand n’ignorait rien du pedigree du jeune homme. Lambert plastronne.

François Bazin rapporte que ce dernier s’attribuera même le succès médiatique de Lionel Jospin en avril 1980 dans les “Dossiers de l’écran” face au communiste Georges Marchais (que Lambert détestait). La légende, poussée par Lambert lui-même, raconte qu’il aurait glissé à Lionel Jospin la fameuse réplique à Marchais : “Moi, ce matin, je donnais des cours à mes étudiants. Vous, il y a longtemps que vous n’êtes plus allé en usine.” Mais lorsque Lionel Jospin accède à la tête de la “maison rose”, Lambert en perd son latin : la taupe se serait-elle retournée, devenant le premier des socialistes et plus vraiment trotskiste ? Nous sommes à la veille de 1981, de la victoire de François Mitterrand auquel Lambert participera, et pas vraiment à la veille de la révolution. L’impétrant Lionel Jospin n’aura fait qu’un choix de carrière qu’on ne saurait refuser, et Mitterrand aura autant utilisé Lambert qu’il l’aura piégé. À malin, malin et demi.

Avec Le Parrain Rouge, François Bazin, autrefois chef du service politique du Nouvel Observateur, raconte, au fil d’un livre aussi passionnant que truculent, riche et documenté, l’épopée d’un homme politique trop peu connu, gardien du temple prolétaire et révolutionnaire aujourd’hui disparu, qui a traversé le XXe siècle et ses bouleversements : les totalitarismes, la décolonisation, la chute des démocraties libérales et la montée des extrémismes religieux. Pierre Broussel dit Lambert, c’est aussi l’histoire d’un siècle de gauche en France.

*Le Parrain rouge. Pierre Lambert, les vies secrètes d’un révolutionnaire, par François Bazin, Plon




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