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La Méditerranée victime du réchauffement climatique : “La région a été chanceuse, mais c’est terminé”


Les images des rues boueuses et dévastées de plusieurs villes de l’agglomération de Valence, en Espagne, ont fortement marqué les esprits après les violentes inondations du 29 octobre qui ont tué 210 personnes, selon un bilan toujours provisoire. L’ampleur de la catastrophe pourrait cependant s’avérer minime face aux menaces futures qui guettent le bassin méditerranéen en raison du changement climatique. Alors que la COP29 organisée à Bakou, en Azerbaïdjan, entame sa deuxième semaine, 55 experts du réseau MedECC, venant de 17 pays, publient ce lundi 18 novembre un état des lieux des risques climatiques et environnementaux affectant les zones côtières en Méditerranée.

Vagues de chaleur marine en augmentation, pollution plastique, élévation du niveau de la mer encore trop négligée… Les risques courus par les Etats riverains de cette mer intercontinentale sont nombreux et toujours plus intenses. “À mesure que le réchauffement global progresse, les écosystèmes côtiers, terrestres et d’eau douce atteindront leurs limites d’adaptation, particulièrement dans les scénarios à 3 °C au nord, et encore plus tôt au Sud et à l’Est”, préviennent les auteurs. Le diplomate italien Grammenos Mastrojeni, secrétaire général adjoint de l’Union pour la Méditerranée (UpM), met lui aussi en garde : “Nous sommes au début d’un cycle qui risque de connaître une accélération exponentielle, non seulement dans la violence des événements, mais surtout dans leur imprévisibilité.” Entretien.

L’Express : La Méditerranée est un point chaud du changement climatique mondial. Le dernier rapport spécial du MedECC dresse un état des lieux inquiétant de tous les risques autour du bassin, et de leur gestion qui sera de plus en plus difficile. Des scénarios comme les récentes inondations de Valence, en Espagne, vont-ils devenir une nouvelle normalité ?

Grammenos Mastrojeni : Permettez-moi de commencer par un fondement : nous sommes qui nous sommes à cause de la présence de cette mer. La Méditerranée, cette grande masse d’eau qui n’est pas océanique, a eu le rôle de stabilisateur de climat pendant des milliers d’années. Elle nous a assuré un environnement favorable à la productivité et a garanti la prévisibilité des cycles climatiques. Ce sont certaines des raisons pour lesquelles la révolution la plus importante de l’histoire, la révolution agricole, s’est principalement passée dans notre région. C’est seulement dans un endroit où l’on sait plus ou moins quand il va pleuvoir que l’on peut commencer à concevoir l’agriculture, à organiser le territoire, etc.

Cette fonction de la Méditerranée est désormais inversée. Au lieu d’être un moteur de stabilité, elle devient un moteur de chaos. Elle est la mer qui se réchauffe le plus vite au monde. Les conséquences sont donc très graves. Vous avez parlé de nouvelle normalité. Malheureusement, ce serait bien si c’était une nouvelle normalité. Mais nous sommes juste au début d’un cycle qui risque de connaître une accélération exponentielle, non seulement dans la violence des événements, mais surtout dans leur imprévisibilité. L’agriculture va en pâtir, mais pas uniquement : la distribution de l’eau aux centres urbains, la planification des infrastructures…

Les événements extrêmes vont se multiplier sur les côtes méditerranéennes à cause du changement climatique. Le pire est-il à venir ?

Ils sont ce qui attire l’attention du public. Mais il y a quelque chose de bien plus dangereux, je le répète, même si cela ne fait pas forcément de victimes dans l’immédiat : le climat est de moins en moins prévisible. Sans cela, nous avons du mal à organiser notre production, nos sociétés. Il y a ce côté très violent des phénomènes extrêmes qui vont frapper, mais le côté imprévisibilité est tout aussi impressionnant. Il est même très dangereux pour notre identité. Nous sommes les gens de la révolution agricole. Notre région a été plus chanceuse – et c’est peut-être pour cela que nous avons été historiquement un peu plus visibles que la moyenne – mais cette chance est terminée. C’est le mauvais côté. Il y en a un bon : la menace est tellement grave qu’elle commence à faire bouger les choses. Parmi les menaces, je voudrais d’ailleurs en souligner une que je trouve particulièrement négligée : comme la Méditerranée est la mer qui se réchauffe le plus vite, elle est aussi celle dont le niveau monte le plus rapidement.

Le rapport pointe justement le fait que l’élévation future du niveau de la mer n’est pas suffisamment prise en compte dans les politiques de protection…

Exactement, et c’est très grave. On prévoit une élévation d’un mètre, voire un peu plus, avant la fin du siècle. Cet horizon temporaire nous paraît psychologiquement lointain, donc semble ne pas nous concerner. Mais on parle d’une hausse d’une vingtaine de centimètres dans une quinzaine d’années. Cela ne fait pas vraiment peur si on considère le problème uniquement comme de l’eau qui submerge quelques terres, sauf si on se préoccupe pour des villes merveilleuses et fragiles comme Venise ou Alexandrie. Or la situation est pire, puisqu’il s’agit d’eau salée submergeant les plaines côtières. Les Romains disaient que si on voulait soumettre une population, il fallait la vaincre lors d’une guerre ; et que si on ne voulait plus jamais en entendre parler, il fallait éparpiller du sel sur ses champs. C’est-à-dire stériliser les terres et les aquifères. C’est ce qui va arriver avec le changement climatique.

Dans les plaines côtières de la région méditerranéenne, une partie de la sécurité alimentaire est possiblement compromise. Il y a des endroits qui sont particulièrement délicats : les deltas des fleuves. On le sait en Italie dans le delta du Pô, aussi en Espagne, mais surtout en Egypte. La plupart de la sécurité alimentaire du pays est concentrée dans le delta du Nil. Une montée du niveau de la mer d’une vingtaine de centimètres pourrait y achever la productivité.

La croissance de la population sur les côtes va augmenter, selon le rapport, qui évoque même, d’ici à 2100, un risque de déplacement permanent pour 20 millions de personnes à cause de la montée du niveau de la mer. C’est énorme.

Et c’est un chiffre prudent, parce qu’il prend seulement en compte les déplacements directs. Mais un déplacement en cause un autre. Donc si on fait ce genre de calcul, c’est bien plus que 20 millions de personnes. Il y a tellement de problèmes qui sont liés à la montée du niveau de la mer : l’érosion, l’activité touristique, la conservation du patrimoine culturel… Les Grecs, par exemple, le savent très bien : il y a déjà des cas de submersion de patrimoine archéologique. Tout cela risque d’être une petite bombe géostratégique.

Ce rapport dresse également le triste constat que les actions sont très largement insuffisantes pour garantir le bien-être des populations et la durabilité des ressources.

En l’état actuel des choses, c’est la pure vérité. Un événement extrême tel que celui de Valence frappe les esprits, mais une dynamique qui n’est pas perçue au quotidien motive un peu moins à l’action… On le sait et on cherche à faire bouger les choses. L’Union pour la Méditerranée est en train d’établir un système intégré régional pour faire face à cette menace qui n’est pas vraiment intégrée dans les préoccupations.

Peut-on dire que la Méditerranée subit toutes les conséquences néfastes du changement climatique ?

Chaque région du monde dépend du climat à sa façon. Certaines, en ce moment, se retrouvent dans une position socio-économique encore plus grave. Par exemple la désertification dans le Sahel, avec le rétrécissement du lac Tchad : c’est absolument dévastateur pour la population locale. La montée de Boko Haram est très liée à cette situation. Dans la zone méditerranéenne, on a déjà pu voir des conséquences au-delà des faits climatiques en eux-mêmes. Les printemps arabes, par exemple, ont une composante climatique dans leurs causes. De même que la déstabilisation en Syrie. Donc oui, on subit notre part des conséquences du changement climatique, et elle est assez dure. Mais tout le monde en souffre.

La COP29 est en cours, et les discussions sont difficiles autour de la question de l’aide financière aux pays en développement. Le bassin méditerranéen, entre le Nord d’un côté et le Sud et l’Est de l’autre, ne représente-t-il pas en miniature les tensions globales autour du changement climatique ?

Oui et non. D’un côté, c’est vrai qu’il y a de grandes différences : la Méditerranée est une mer très asymétrique d’un point de vue économique, démocratique, etc. Parmi les membres de notre organisation, il y a évidemment des décalages qui se reflètent aussi dans les négociations. Mais on a tous reconnu une chose : même si c’est une mer où il y a des riches et des pauvres, des fragiles et des forts, personne n’a, à lui seul, les moyens suffisants pour faire face à une crise d’une telle envergure et d’une telle vitesse. Si on se rassemble, on se retrouve avec un éventail de solutions qui est bien plus large.

L’énergie est un cas emblématique. On a justement lancé une dynamique visant à intégrer les systèmes et les marchés de l’énergie autour du bassin. Le point de départ est une constatation très simple : l’Union européenne doit se décarboner d’ici 2050. Or cet objectif est impossible à réaliser sans compter sur le potentiel solaire du sud ou sur le potentiel hydraulique des Balkans. Sauf que ces derniers ne peuvent pas se développer et n’auraient pas suffisamment de financements en comptant seulement sur leur marché intérieur. Il y a des complémentarités intéressantes.

Cela vaut aussi pour les systèmes agroalimentaires. Dans quelques années, le sud de l’Europe va avoir le même climat que le sud de la Méditerranée – un climat auquel nous ne sommes pas adaptés et que nous ne savons pas gérer. On commence donc à assister à une espèce de mise de côté sectorielle : on discute, on se dispute sur plein de sujets, mais sur le climat, on sait bien qu’on a des intérêts communs et qu’il faut accélérer.




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