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Agathe Demarais : “Le Mercosur est un bouc émissaire facile pour occulter les vrais problèmes de l’agriculture française”


Alors que la colère gagne les campagnes, Emmanuel Macron ne cesse de répéter que la France ne signera pas le Mercosur, l’accord commercial actuellement en discussion entre l’UE et les pays d’Amérique du Sud. Reste que le président français n’a pas vraiment les soutiens suffisants au sein du Conseil européen pour faire capoter ce traité de libre-échange. Surtout, loin d’être une catastrophe annoncée pour l’Europe, il pourrait être globalement positif pour l’économie du Vieux Continent. Pour L’Express, l’économiste et chercheur au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR) à Londres, Agathe Demarais, décortique les idées reçues et dissipe les fantasmes entourant cet accord.

L’Express : L’accord de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur suscite une vive opposition en France. Cette inquiétude est-elle réellement justifiée ?

Agathe Demarais : On peut toujours pointer les insuffisances – réelles, surtout sur le volet environnemental – de ce type d’accords. Mais posons-nous une question : pourquoi la quasi-totalité de nos voisins européens de l’Allemagne, en passant par l’Italie, l’Espagne ou les Pays-Bas, sont prêts à le signer ? Pourquoi ce sujet ne fait l’objet d’aucune polémique dans les autres pays européens ? Dans tout accord, il y a toujours des gagnants et des perdants mais le résultat en net pour l’économie européenne sera positif, comme le démontrent à peu près toutes les études d’impacts qui ont été réalisées.

C’est le cas aussi dans de nombreux secteurs agricoles comme la filière porcine, le secteur laitier ou celui des vins et des spiritueux. Certes, l’élevage bovin et la filière volaille vont souffrir. Mais là encore, il peut être utile de prendre un peu de hauteur. Les quotas tarifaires – c’est-à-dire les volumes de viande qui entreront en Europe à droits nuls ou réduits – représentent seulement 1,6 % de la consommation annuelle totale de l’UE en viande de bœuf et 1,2 % de celle de volaille. Cela représente environ deux burgers et deux filets de poulet par an et par Européen. En outre, l’UE importe déjà de la volaille et du bœuf des pays du Mercosur : il ne s’agit donc pas de se battre pour éviter d’ouvrir la porte à des produits de moins bonne qualité, qui sont déjà dans les rayons. Il faut absolument remettre les choses dans leur contexte.

D’ici à 2032, l’impact des accords de libre-échange prévus avec les pays du Mercosur, l’Australie et la Nouvelle-Zélande devraient réduire la production européenne de bœuf et de poulet de moins de 1 %. Si les agriculteurs traversent une crise profonde, ce n’est pas lié au libre-échange, mais, du point de vue économique, au niveau élevé des prix de l’énergie et des engrais, et aux variations de taux de change. L’accord avec le Mercosur est un bouc émissaire. Le rejeter ne permettra pas de résoudre les problèmes des agriculteurs français.

Quels sont alors les arguments à opposer à ceux qui dénoncent cet accord ?

Ils sont de deux natures. Partons d’abord du champ économique. Quel est l’un des enjeux principaux de toutes nos économies au cours des décennies qui viennent ? Réussir la transition énergétique et climatique. Or, les pays du Mercosur détiennent de vastes réserves de matières premières cruciales pour la transition énergétique verte. C’est une excellente nouvelle pour Bruxelles, étant donné l’objectif de l’Union européenne de réduire sa dépendance à l’égard de la Chine pour ces matières premières.

Le Brésil, par exemple, possède environ 20 % des réserves mondiales de graphite, de nickel, de manganèse et de terres rares. Autant d’éléments cruciaux pour les équipements de technologie propre. Le pays détient également 94 % des réserves mondiales de niobium, un métal utilisé dans le secteur aérospatial et figurant sur la liste des matières premières critiques de l’UE. L’Argentine possède les troisièmes réserves mondiales de lithium, un élément également essentiel des batteries des véhicules électriques.

Le deuxième argument d’ordre économique est lié à la volonté européenne de réduire notre dépendance économique à la Chine. D’une part, il nous faut trouver de nouveaux débouchés alors que le marché chinois, qui pèse très lourd dans de nombreux secteurs industriels, est en train à la fois de se refermer et de ralentir. Les Italiens sont très soucieux de cette dépendance. Or, aujourd’hui les produits européens sont frappés de droits de douane à l’entrée dans le Mercosur de 18 % dans la chimie et de 14 à 20 % dans les machines et équipements industriels. Cet accord ouvre de nouvelles perspectives pour l’industrie européenne, au moment même où la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine va pousser les groupes chinois à réorienter leurs échanges vers l’Europe. D’autre part, les entreprises européennes sont très présentes en Chine. L’accord avec le Mercosur pourrait les inciter à ouvrir des chaînes de production en Amérique Latine plutôt que sur le sol chinois.

La géopolitique entre-t-elle aussi en jeu dans cet accord commercial ?

C’est une évidence. Si l’Europe ne signe pas cet accord, c’est la Chine qui prendra sa place en Amérique latine. Et là, sur le volet environnemental, il est clair que la Chine n’imposera aucune condition alors que nous, Européens, aurions pu nous servir de l’accord avec le Mercosur pour bâtir un échange plus approfondi sur le plan de l’environnement.

La Chine est d’ores et déjà le premier destinataire des exportations du Mercosur. Et Pékin va dépenser en investissements directs étrangers dans la zone près de 250 milliards de dollars cette année. Enfin, regardons la réalité. L’Europe est mal vue dans une grande partie des économies en voie de développement car elle est accusée de donner des leçons sur une multitude de sujets, tant sociaux qu’environnementaux. A ce titre, cet accord est regardé de très près par d’autres pays, l’Inde notamment. Si l’Europe ne signe pas, le développement de nos relations avec les pays en voie de développement ne partira pas d’un bon pied alors même que la réélection de Donald Trump rend une telle stratégie impérative.

La France a-t-elle le pouvoir à Bruxelles de faire capoter cet accord ?

Ce sera très difficile. La France joue un peu le rôle du voisin pas content dans une réunion de copropriétaires mais la plupart de nos 26 copropriétaires européens semblent peu enclins à suivre nos positions. Il y a donc un risque que nos gesticulations ne servent pas à grand-chose, si ce n’est à éroder notre crédibilité vis-à-vis de nos partenaires européens, alors même que l’union paraît importante pour se préparer au deuxième mandat de Trump.

Comment expliquez-vous cette méfiance de la France envers le libre-échange ?

Cela paraît difficile à expliquer alors même que la plupart des études économiques montrent que la libéralisation des échanges au niveau global a permis de réduire la pauvreté. Peut-être faut-il y voir un sentiment “d’exceptionnalisme” de la France – encore plus dans le secteur alimentaire ! A quelques singularités près, la couverture médiatique de ces négociations commerciales et de leurs impacts paraît également biaisée, surtout vu de l’étranger. Vu ce qui est dit et écrit, il paraît compréhensible qu’une large partie de la population française soit contre l’accord alors que c’est un non-sujet ailleurs en Europe. Il me semble que nous devons regarder froidement les impacts de cet accord : l’Europe, dans son ensemble, a beaucoup à y gagner.




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