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“Son bilan sera le nôtre” : Laurent Wauquiez, le faux ami de Michel Barnier


Annecy. Son lac, son château et… ses braqueurs. Ce 12 septembre, les députés de la Droite républicaine (DR) célèbrent dans la cité savoyarde leur retour aux affaires, quelques jours après la nomination de Michel Barnier à Matignon. Une télévision locale est venue couvrir le hold-up de la droite, auréolée de gloire malgré une énième débâcle électorale. Olivier Marleix est d’humeur taquine. Il se penche vers Laurent Wauquiez. “C’est sur cette chaîne que tu as soutenu la réforme des retraites ?”

Sa discrétion lors des débats parlementaires lui avait été reprochée en 2023. Lui ne souhaitait pas s’abîmer dans un débat éruptif. Et puis, il n’était pas député et n’a jamais considéré l’Assemblée comme une rampe de lancement présidentielle. “Personne ne regarde ce qui s’y passe”, glisse-t-il avant la dissolution à un député LR. Une décision d’Emmanuel Macron et tout s’ébranle. La droite retrouve des couleurs, Bruno Retailleau sature l’espace médiatique. Et si l’Assemblée s’invitait dans les foyers ?

Chapeau l’artiste ! Le 11 novembre, Brice Hortefeux se fend d’un SMS élogieux à Laurent Wauquiez. “Je ne sais pas comment tu as fait, mais bien joué.” Le patron du groupe DR vient d’annoncer au 20 Heures de TF1 une revalorisation partielle des retraites au 1er janvier 2025, à rebours du gel des pensions prévue par le projet de loi de finances. Un chèque de 500 de millions d’euros signé par un simple député, la chose n’est pas banale. La Ve République est décidément souple. L’élu a négocié cet accord avec le ministre du Budget Laurent Saint-Martin et Jérôme Fournel, le directeur de cabinet de Michel Barnier. Le Premier ministre lui a laissé la primeur de l’annonce. Ce sera donc le premier JT d’Europe. Rien n’est trop solennel pour le candidat officieux à la présidentielle.

Dès le lendemain, Laurent Wauquiez demande à ses députés de porter la bonne nouvelle auprès de leurs électeurs âgés. Que sa victoire se répande dans les villes et les campagnes ! Laurent Wauquiez ne compte pas sur les députés Ensemble pour la République (EPR) pour jouer le rôle d’ambassadeurs. Eux s’étouffent devant ce “coup”, digne de “l’ancien monde politicard”. S’indignent de “l’humiliation” infligée par leur allié, qui a étrillé leur bilan sur TF1. Le député de Haute-Loire jouerait-il une carte individuelle ?

“Le bilan de Barnier sera le nôtre”

On découvre la lune en Macronie. Laurent Wauquiez a faim de gains personnels. La nomination de Michel Barnier l’a certes contraint à entrer en coalition avec ses rivaux. Mais l’ancien ministre refuse en réalité d’être dilué dans le “socle commun”, ersatz supposé du macronisme. Il s’en tient à distance, soucieux d’incarner l’alternance en 2027. Et saisit la moindre occasion pour attaquer l’héritage du chef de l’Etat. “Le bilan de Michel Barnier sera le nôtre. Il est hors de question que celui d’Emmanuel Macron le soit”, confie-t-il. Laurent Wauquiez, le solitaire, obligé à l’aventure collective. Les larmes du camp présidentiel le feraient presque sourire. Gabriel Attal, hostile à toute hausse des charges patronales, attend encore sa becquée ? Qu’il soit moins gourmand ! A un député DR, un ministre confie : “Gabriel négocie avec beaucoup d’exigence. Wauquiez est moins exigeant, il obtient plus vite.”

Chacun chez soi et les vaches seront bien gardées. L’ex-patron de région refuse tout “intergroupe” avec les députés de la coalition, au grand dam de ses pairs. Pas plus qu’il n’a honoré l’invitation lancée par Gérald Darmanin pour sa rentrée politique à Tourcoing. Et ne lui parlez pas des législatives partielles ! Le drapeau LR sera planté partout. “Il n’y a pas de députés sortants concernés par ces scrutins”, affirme-t-il le 12 novembre lors d’une réunion autour de Michel Barnier. Tant pis pour Gabriel Attal, qui espère reconquérir deux circonscriptions abandonnées par Renaissance au RN et au NFP cet été.

Avec la Macronie, le mariage est de raison. Et à durée limitée. Le député de Haute-Loire connaît encore mal les députés EPR, issus d’une autre génération politique. “Avant 2017, il y avait une aristocratie parlementaire qui ne touchait que du bout des doigts les députés de base. Il est dans cette logique, comme Gabriel Attal”, note un cadre EPR. Laurent Wauquiez organise en revanche chaque semaine un déjeuner avec une grappe de députés DR. Il maintient une frontière étanche entre son parti et ses alliés d’un jour. Comme lorsqu’il demande à ses troupes de l’informer des propositions de loi cosignées avec d’autres formations politiques. Ou quand il transforme les questions au gouvernement en vitrine de la droite. Les députés DR sont priés d’éviter les thématiques propres à leurs circonscriptions. Place à la politique nationale ! “Le groupe doit incarner une voix de droite qu’on entende”, assume un proche.

Cet esprit de corps est assumé. Faute d’accord avec Gabriel Attal pour offrir à DR la présidence de la Commission des affaires économiques, il laisse le 9 octobre la place à la députée insoumise Aurélie Trouvé. A-t-il oublié qu’il qualifiait fin août LFI de “plus grand danger politique pour notre pays” ? Avec Gabriel Attal, le ton monte. “Je ne suis pas ta force d’appoint”, lance-t-il à l’ex-Premier ministre. Laurent Wauquiez assume d’avoir “filé un coup de patte sur un sujet anecdotique” : “La politique, c’est aussi faire comprendre un rapport de force.” Ses députés louent ce “leadership” retrouvé, même si son intransigeance envers la Macronie divise. “Ceux qui lui reprochent d’être trop offensif sont les premiers à pleurer auprès de lui car ils n’ont pas obtenu le secrétariat de la 19e commission de l’exportation du maïs en Inde”, s’amuse le député Ian Boucard.

Laurent Wauquiez et Gabriel Attal ont noué une relation utilitariste, mélange d’intérêts communs et de confrontations. Cet été, ils s’accordent sans peine sur la répartition des postes clés à l’Assemblée. Le socle commun a parfois du bon. Quand Gabriel Attal recoupe des informations transmises par Laurent Wauquiez, elles se révèlent… justes ! Tous deux épinglent la raideur de Michel Barnier, si secret lors de la formation du gouvernement. Ce flirt estival a vécu. La confiance est rompue, même si les deux élus s’allient parfois pour épingler la “méthode” du Premier ministre. Et Laurent Wauquiez continue d’appeler son rival “Gabriel” devant ses ouailles. “Je ne suis pas sûr qu’ils aient découvert leurs turpitudes réciproques, sourit un pilier du socle commun. Mais ils peuvent parfois s’aider, se disant qu’ils ne sont pas sur le même créneau.”

“Il n’y a pas de place pour les frondeurs”

Michel Barnier n’a pas envie de sourire. Le Premier ministre juge en privé que seuls le MoDem et Horizons “jouent le jeu” de la coalition. Ô surprise, ces groupes ne sont pas dirigés par un présidentiable. A quoi joue Laurent Wauquiez avec le négociateur du Brexit ? Sa partition est subtile. Le député de Haute-Loire n’a aucun intérêt immédiat à affaiblir le chef du gouvernement, encore soutenu par le peuple de droite. L’échec du Savoyard rejaillirait sur l’ensemble de la droite républicaine. Il demande à ses troupes d’être “irréprochables” et se garde de toute expression publique hostile. “Il n’y a pas de place pour les frondeurs”, théorise-t-il en réunion de groupe. Qu’un député lui suggère de dévoiler ses propositions d’économies avant la déclaration de politique générale du Premier ministre, et la réplique tombe. “Cela ne serait pas poli envers Michel Barnier.” Il avale même des couleuvres idéologiques. Comme cette hausse de la fiscalité, longtemps dépeinte en ligne rouge par la droite.

Là réside le paradoxe Wauquiez. Son soutien officiel au Premier ministre se conjugue à une déstabilisation du “socle commun”, ciment politique de Michel Barnier. Lui montre patte blanche. A-t-il déjà attaqué “Michel” ? Matignon est plus sévère. Nous facilite-t-il vraiment la tâche ? Un interlocuteur récent de Michel Barnier dépeint un homme “scandalisé” par l’attitude du patron officieux de la droite. Il aurait dû dégouliner d’unité et jouer l’union sacrée avec des ex-macronistes, juge un cadre LR. Les Français auraient vu un homme de droite continuer gentiment son OPA sur le bloc central. Mais cet homme pense faux.”

Entre les deux hommes, la méfiance règne. Michel Barnier n’a jamais digéré l’investiture de Laurent Wauquiez aux régionales d’Auvergne-Rhône-Alpes en 2015, qu’il convoitait. Leurs relations s’enveniment dès la composition du gouvernement. Au goût du secret de Michel Barnier répondent les doléances de l’ex-patron de région. Le chef du gouvernement prétexte un veto d’Emmanuel Macron pour lui barrer la route de Beauvau. Etrange, une capture d’écran de conversation envoyée par l’Elysée raconterait une autre histoire. Il y a du soupçon de mensonge dans l’air… “Faux, rétorque un soutien de Michel Barnier. Emmanuel Macron n’a jamais voulu de Laurent Wauquiez.”

Le téléphone de Wauquiez sonnait avant la nomination du Savoyard. Son entrée à Matignon a provoqué une panne de réseau. Début octobre, le patron des députés DR se plaint de ce silence auprès d’un proche de Michel Barnier. Qui alerte aussitôt par SMS à Matignon : il faut vite calmer le jeu. Leurs relations se sont depuis normalisées. “Il soutient Michel Barnier car son groupe et l’opinion le demandent. Mais demain ?”, s’interroge un cadre DR.

Les regrets de Ciotti

Demain ? Michel Barnier et Laurent Wauquiez en ont une vision divergente. Michel Barnier souhaite que le “socle commun” débouche sur une candidature unique à l’élection présidentielle. Laurent Wauquiez rêve d’une simple parenthèse. Le député juge que la tripartition de la vie politique risque de conduire à une victoire des “extrêmes”, faute d’alternative républicaine. Ce “socle commun” entame surtout ses chances élyséennes. Laurent Wauquiez n’est pas au barycentre idéologique de cette alliance, dont il ne peut porter les couleurs. Ses sorties sur les cours suprêmes ou l’immigration l’y marginalisent. “Il n’a pas d’alliés”, note un centriste. Tout l’inverse d’Edouard Philippe, à l’aise dans le bloc central et promoteur d’une alliance “de la droite conservatrice à la gauche mitterrandienne”.

Laurent Wauquiez, lui, a des envies d’ailleurs. Il rêve d’une reconstitution d’un clivage gauche-droite, plus homogène. “La véritable opposition dans le pays n’est pas face au macronisme ou au Rassemblement national. Elle est face à une gauche […] déterminée à mener une politique multiculturelle de destruction”, théorisait-il en décembre 2023 dans Le Figaro. Un ancien “ami” reste sceptique. Eric Ciotti s’est allié en juin au Rassemblement national, convaincu de l’absence d’oxygène de la droite. “Si Laurent avait pris mon initiative, il aurait pu avoir 90 députés et se positionner de l’intérieur”, a-t-il confié à un élu LR. Après tout, l’ex-patron de région partage les convictions régaliennes du RN. Il ne lui oppose aucun discours de valeurs, même s’il insiste sur leurs désaccords économiques. Laurent Wauquiez n’a pas franchi le pas. Il s’astreint donc la tâche herculéenne de redessiner tout le paysage politique pour croire en ses chances. Et faire du “socle commun” un simple mauvais souvenir.




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