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La dette, un défi pour Donald Trump : la périlleuse équation budgétaire du futur président


“Le prix de la liberté”. C’est ainsi que le secrétaire au Trésor Alexander Hamilton définissait la dette des Etats-Unis, en janvier 1790, à l’occasion du premier rapport sur le crédit public. Plus de deux siècles plus tard, la facture donne le vertige : la dette américaine dépasse les 35 000 milliards de dollars. A ce stade, sans dommages… Ce montant a beau avoir été multiplié par cinq en une vingtaine d’années, il n’effraie pas les investisseurs. “La dette américaine arrive à se placer grâce au statut unique du dollar et à un taux marginalement plus élevé”, remarque Vincent Mortier, directeur des investissements d’Amundi, le numéro un européen de la gestion d’actifs.

Pendant la campagne présidentielle, la question de la dette n’a pas été au cœur des débats, éclipsée par des préoccupations sur l’inflation ou la croissance. Pourtant, d’après le think tank Committee for a Responsible Federal Budget (CRFB) les programmes des candidats amenaient tous les deux à une nouvelle dégradation. Donald Trump, en droite ligne de son précédent mandat, a mis l’accent sur la baisse de la fiscalité. Au menu : la prolongation des dispositions temporaires comprises dans le Tax Cuts and Jobs Act (TCJA) – une réforme fiscale majeure de 2017 – qui étaient censées expirer fin 2025. En parallèle, le président élu a prévu une réduction de l’impôt sur les sociétés produisant aux Etats-Unis, qui passerait de 21 % à 15 %. Dans sa hotte, le père Noël républicain porte aussi la défiscalisation des heures supplémentaires et des pourboires ou encore la révision de l’imposition des Américains à l’étranger. Alors comment financer tout cela ?

Le principal levier évoqué par Donald Trump serait l’application de droits de douane sur les importations, à hauteur de 60 % pour la Chine et au moins 10 % depuis le reste du monde. Même si les ordres de grandeur sont loin de coïncider : “les importations américaines représentent 3 000 milliards de dollars, alors que l’assiette de taxation de revenus s’élève à 20 000 milliards”, rappelle Bruno Cavalier, chef économiste à Oddo BHF.

Recettes incertaines

Dans le cas où ce cocktail de mesures serait effectivement mis en place, c’est la santé financière américaine qui trinquerait. Le CRFB calcule, dans son scénario central, que le programme de Donald Trump alourdirait l’endettement fédéral de 7 750 milliards de dollars entre 2026 et 2035. Et les recettes fiscales seraient amputées de 3 000 milliards de dollars sur la prochaine décennie, d’après le modèle de la Tax Foundation. Néanmoins, “tout ce qui est lié au programme de Donald Trump est pour l’instant incertain. On ne connaît pas encore le nom du secrétaire du Trésor par exemple, pointe Samy Chaar, chef économiste de la banque suisse Lombard Odier. Si son approche sur les tarifs douaniers est plutôt transactionnelle, on ne sait pas quels revenus il pourra en tirer”. Il est en effet possible que les menaces protectionnistes de Trump servent surtout de moyen de pression pour obtenir des concessions commerciales de la part de ses partenaires. Elles pourraient donc être temporaires, limitées à la durée de négociations musclées.

En parallèle, le nouveau président mise sur un rabotage des dépenses grâce à davantage “d’efficacité gouvernementale”. Un département à part entière est dédié à cet objectif. A sa tête, le fidèle Elon Musk ne manque pas d’ambition. Lors d’un congrès fin octobre, le patron de Tesla s’est dit capable de couper 2 000 milliards dans les dépenses publiques, soit près d’un tiers du total. “Votre argent est gaspillé et le département de l’Efficacité gouvernementale va corriger cela”, avait-il clamé face à un public conquis. Si l’on en croit l’expérience Twitter, sa vision de l’efficacité rime avec licenciements massifs.

A défaut de toucher aux programmes, tels que la sécurité sociale, sa marge de manœuvre s’annonce limitée. “Il ne faut pas espérer monts et merveilles du rôle de Musk car les dépenses publiques américaines comptent pour moins d’un quart du PIB et beaucoup sont presque sacralisées”, note Bruno Cavalier. Chef économiste de la société de gestion Candriam, Anton Brender rappelle que “Donald Trump avait déjà promis lors de sa précédente élection de réduire les dépenses budgétaires au rythme ‘modéré’ de 1 % par an – son ‘penny plan’. Il ne l’a jamais fait !”. Les dépenses de santé, qui pèsent lourd dans le budget, pourraient aussi être passées au crible par celui qui rêvait d’abroger l’Obamacare il y a quelques années. Un point peu développé durant sa campagne.

Pas de stress

En réalité, l’endettement américain est sur une pente glissante depuis plusieurs années. Au point d’avoir conduit l’agence de notation Fitch à retirer aux Etats-Unis leur précieux triple A en août 2023, reléguant la puissance mondiale à AA +. Quant à la charge d’intérêt de la dette, elle frôle les 900 milliards de dollars et ne cesse de grimper. En juillet dernier, le président de la Réserve Fédérale, Jerome Powell, résumait la situation en ces termes : “Notre niveau d’endettement n’est pas insoutenable, mais la voie sur laquelle nous sommes engagés l’est”.

Insoutenable ? Tout le monde ne se montre pas si alarmiste. Le scénario catastrophe d’un stress de la dette n’est pas prévu pour tout de suite. “Une crise de la dette de l’Etat fédéral est loin d’être certaine. Son poids est passé de 30 % du PIB au début des années 2000 à près de 100 % aujourd’hui… sans que la pression sur les taux des emprunts d’Etat ne monte”, constate Florence Pisani, directrice de la recherche économique à Candriam.

Samy Chaar, lui aussi, tempère les craintes. Il s’attache moins à l’ampleur de la dette qu’à l’utilisation qui en est faite. “Avec Joe Biden déjà, la dette a augmenté, mais au profit d’investissements, de grands projets d’infrastructures. Si Trump accroît la dette seulement pour des baisses d’impôt, la situation pourrait se détériorer. A moins qu’il mène des politiques permettant d’améliorer la compétitivité des entreprises et de générer de la croissance, ce qui serait une bonne utilisation de la dette”, nuance l’économiste.

Finalement, les marchés financiers seront les arbitres de la politique économique menée. “Une stimulation budgétaire excessive ferait craindre aux marchés une réaccélération de l’inflation. Ils anticiperaient des hausses de taux de la Réserve fédérale : détenir des titres à long terme du Trésor deviendrait moins attractif. Les taux d’intérêt à long terme monteraient… et la Bourse serait fragilisée”, analyse Florence Pisani.

L’avenir appartient à ceux qui modèrent les taux. Il n’est pas exclu que le président soit attentif à la réaction des marchés pour ajuster sa politique. “On se souvient que Donald Trump n’aime pas que la Bourse baisse. C’est donc peut-être la seule force de rappel qui puisse calmer ses ardeurs en matière budgétaire”, estime Anton Brender. Et si le scénario d’un retour de l’inflation ne se confirme pas ? Christopher Dembik, conseiller économique de la société de gestion Pictet AM, envisage l’hypothèse. “Une répétition du scénario de 2016 se traduirait par une hausse des taux longs jusqu’à l’été 2025, mais ils pourraient chuter ensuite, sans toutefois revenir aux niveaux d’avant élection”.

Pour l’instant en tout cas, les signaux de marché semblent au vert. Wall Street a applaudi à l’annonce de la victoire du républicain, témoignant de l’optimisme des investisseurs, qui gardent le souvenir de son bilan économique favorable avant la pandémie. “Si en même temps que les taux montent, l’imposition des entreprises est sensiblement réduite, la Bourse pourra tenir… un temps au moins”, conclut Anton Brender.




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