Pour avoir eu raison avant tout le monde (en alertant les Européens du danger russe), l’Estonie, les autres pays baltes et les Etats scandinaves sont aujourd’hui des voix écoutées en Europe. Il faut donc tendre l’oreille lorsque, avec un train d’avance, le ministre des Affaires étrangères estonien incite les Européens à se préparer à envoyer des troupes en Ukraine pour garantir la paix au cas où celle-ci adviendrait plus tôt qu’on ne le pense. “Pour l’Ukraine, la meilleure garantie de sécurité serait d’intégrer l’Otan, explique Margus Tsahkna au Financial Times. Mais si les Etats-Unis s’y opposent, les armées de l’UE devraient y déployer des soldats immédiatement après un éventuel cessez-le-feu afin de dissuader la Russie d’attaquer à nouveau”, explique l’Estonien.
En attendant, les Baltes et les Nordiques se préparent à tous les scénarios. Car les événements s’accélèrent sur le front russo-ukrainien, mais aussi en mer Baltique. En Ukraine, Joe Biden vient d’autoriser l’utilisation de missiles américains à longue portée (ATACMS) et de mines antipersonnel en réponse à l’envoi de soldats nord-coréens en Russie. En Europe du Nord, la guerre – hybride – s’intensifie aussi. Deux câbles de télécommunication sous-marins ont été sectionnés en mer Baltique à quelques heures d’intervalle au moment exact où un cargo chinois, le Yi Peng 3, commandé par un officier russe, passait par-là. La Navy danoise a arraisonné le navire. L’un des câbles de fibre optique concerné reliait l’Allemagne à la Finlande ; l’autre, la Suède à la Lituanie, où la connexion Internet a été brièvement interrompue. L’épisode rappelle les dégâts causés au gazoduc sous-marin Balticonnector entre l’Estonie et la Finlande en octobre 2023, attribués par Helsinki à “une puissance extérieure”.
“Les activités de sabotage se multiplient en Estonie et dans notre environnement proche”, constate l’ancien patron du renseignement estonien Kaimo Kuusk, aujourd’hui bras droit du ministre de la Défense. “Ce sont habituellement des petits incidents : l’année dernière, la voiture du ministre de l’Intérieur a été vandalisée par des petits malfrats et, de la même manière, des statues sont régulièrement abîmées par des délinquants payés par la Russie.” Ces incivilités s’inscrivent dans le cadre d’une guerre psychologique plus globale. “Il s’agit de générer de l’inquiétude en créant un climat d’instabilité”, explique Jonatan Vseviov secrétaire général du ministère des Affaires étrangères.
Les Russes sont en état de guerre permanent”
Voisins de la Russie et géographiquement proches de l’Ukraine, les pays baltes et nordiques subissent l’impact direct des initiatives de Vladimir Poutine dans une région qui fait l’objet d’une guerre de basse intensité depuis les années 2010, au moyen de violations de l’espace aérien et, aujourd’hui, de sabotages. Ce n’est pas un hasard si Stockholm vient de rééditer sa brochure de 32 pages, distribuée aux 5 millions de foyers suédois, qui dresse la liste des premiers réflexes et des produits de première nécessité à stocker chez soi en cas de guerre… “Il faut comprendre que les Russes sont en état de guerre permanent, reprend Kaimo Kuusk. Ils sont constamment en train de planifier un conflit quelque part. S’ils gagnent en Ukraine, les Russes cibleront ensuite la Moldavie, première sur leur liste”, prédit-il.
L’Europe du Nord est également dans le viseur de Moscou. En témoigne la réorganisation militaire en cours dans la “région militaire de Leningrad”, selon la terminologie soviétique ressuscitée par Poutine. “Juste derrière les frontières de l’Union européenne, l’armée russe procède actuellement à la modernisation de ses infrastructures en vue d’un renforcement prévu après la fin de la guerre d’Ukraine, explique l’analyste militaire finlandais Tomas Ries.” Cette réorganisation prévoit une augmentation de l’effectif, de 40 000 militaires actuellement à 100 000 soldats pour la prochaine décennie. On comprend mieux pourquoi l’Estonie, de son côté, augmente son budget de défense de 3 % du PIB à 3,7 % (en 2026) et vise à terme l’engagement de la Pologne : 4,1 % du PIB. “Poutine n’a pas varié dans son objectif, rappelle Jonatan Vseviov. Il veut toujours récupérer 100 % de l’Ukraine et redessiner l’Europe avec une zone tampon qui repousserait les frontières de l’Otan là où elles se trouvaient en 1997” [NDLR : avant l’adhésion de tous les ex-pays de l’Est]. Et une fois encore, l’Estonie voudrait qu’on l’écoute.
Source