A l’entendre, le général Mark Milley vit dans un camp retranché. Cet ancien chef d’état-major des Armées, nommé par le président Trump en 2019, a fortifié sa maison contre un éventuel attentat en installant des vitres à l’épreuve des balles et des rideaux conçus pour bloquer une explosion. Depuis qu’il a pris sa retraite l’an dernier, il a reçu “un barrage non-stop de menaces de mort”, qu’il attribue aux attaques violentes de Donald Trump contre lui, témoigne-t-il dans le dernier livre de Bob Woodward, l’illustre journaliste du Washington Post. D’où les mesures de sécurité. Et la réélection du républicain l’inquiète beaucoup. Il craint qu’une fois au pouvoir, Trump ne se venge en le traduisant devant une cour martiale pour “déloyauté”.
Les deux hommes ont entretenu des rapports tendus pendant les un peu plus d’un an de leur coexistence. Dans les derniers mois, alarmé par l’instabilité croissante du président américain, le général Milley a appelé deux fois son homologue chinois pour le rassurer et lui promettre que les Etats-Unis ne déclareraient pas la guerre à Pékin. Donald Trump, furieux, l’a accusé d’avoir outrepassé son autorité alors que les coups de fil avaient été coordonnés par le ministre de la Défense. Il a qualifié son acte de “trahison” et a suggéré qu’il méritait le peloton d’exécution. Cette discussion est “si scandaleuse”, a-t-il écrit sur son réseau social “que, dans le temps, la punition aurait été la MORT !” Les relations se sont encore envenimées depuis la publication du livre de Bob Woodward dans lequel Milley traite l’ancien président de “fasciste total”, “la personne la plus dangereuse pour ce pays”.
Il n’est pas le seul à redouter des représailles de la part de la future administration. Et leur anxiété est légitime. Donald Trump n’a cessé de clamer, depuis des années, qu’il allait prendre sa revanche sur “ses ennemis” – adversaires politiques, médias, critiques républicains… Après avoir été jugé coupable lors de son procès à New York, en mai, il a déclaré : “Parfois, la vengeance peut se justifier.” La liste de ses bêtes noires est très longue. Il a menacé de lancer des poursuites contre Joe Biden, Kamala Harris, les leaders démocrates, Barack Obama, des agents du FBI, et bien sûr les procureurs et les juges impliqués dans ses différents procès.
Les défenseurs du futur occupant du bureau Ovale assurent que ces attaques ne sont qu’une figure de style pour mobiliser ses partisans. Mais Mark Milley et les autres victimes de son courroux sont sceptiques. Une fois au pouvoir, Donald Trump aura quasiment carte blanche puisque la Cour suprême lui a accordé une vaste immunité contre des poursuites pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions. En outre, étant limité à un mandat, il n’aura pas à se préoccuper des réactions de l’opinion publique. Et si l’on en juge par les individus qu’il a nommés jusqu’ici dans son gouvernement, rares sont ceux qui vont s’opposer à sa vendetta.
Plusieurs outils de représailles
“Il n’y a pas d’équivalent dans l’histoire américaine, estime Stephen Gillers, professeur de droit à la New York University. Les présidents jusqu’ici, à l’exception peut-être de Richard Nixon, ont respecté l’indépendance du ministère de la Justice et n’ont pas cherché à influencer ses décisions. Le but de Trump est de le neutraliser pour pouvoir agir à sa guise. C’est très inquiétant.” Et il n’aura pas besoin de mettre ses adversaires en prison. “Un président a toutes sortes de façons de leur rendre la vie misérable sans qu’ils aient beaucoup de recours”, poursuit Stephen Gillers. Il peut diligenter par le biais du Congrès ou du ministère de la Justice des enquêtes et des poursuites sans même aller jusqu’au procès. Plus elles s’éternisent et plus c’est stressant et ruineux en frais d’avocat. Il y a aussi les représailles plus discrètes. Il peut transférer des fonctionnaires au fin fond du Montana, leur supprimer des financements ou encourager l’IRS, le fisc américain, à leur coller un audit financier. James Comey, l’ancien patron du FBI ennemi juré de Donald Trump en a fait les frais. Finalement, l’IRS a déterminé que c’était l’Etat qui lui devait de l’argent !
Même s’ils n’ont rien fait d’illégal, beaucoup d’anciens membres de l’administration reconnaissent “avoir peur”. Certains pensent aller faire un tour à l’étranger temporairement, d’aucuns déposent des demandes de nationalité dans un autre pays et examinent la possibilité de transferts de fonds dans des banques non américaines. Tous mettent de l’argent de côté pour payer les futures batailles légales. Ils consultent également des avocats spécialisés tels que Mark Zaid. Personne ne sait si le prochain chef de l’Etat va réellement lancer des représailles mais il vaut mieux se tenir prêt, explique-t-il dans une interview au magazine Politico. Il a recommandé à un petit groupe de gens susceptibles d’être arrêtés de “prendre des vacances à l’étranger au moment de l’investiture juste pour voir ce qui va se passer”. Pour beaucoup d’autres cas, “il n’y a pas grand-chose à faire préventivement”.
Olivia Troye, la conseillère à la sécurité du vice-président Mike Pence devenue une supportrice de Kamala Harris a raconté dans le New York Times qu’elle envisageait d’émigrer dans un autre pays. Elle craint non seulement des poursuites, la perte d’emploi de son mari, mais surtout elle s’angoisse pour sa sécurité. Elle a peur d’être la cible de trumpistes violents et a suspendu pour le moment, dit-elle, ses projets d’adoption d’un enfant. “Nous nous préparons au pire scénario”, affirme-t-elle. Dans un entretien à un autre média, Stephanie Grisham, ex-porte-parole de la Maison-Blanche sous Trump et autrice d’un livre critique sur son ancien patron, reconnaît étudier aussi un déménagement dans un pays sans traité d’extradition. “C’est terrifiant”, avoue-t-elle en expliquant qu’elle “économise” pour financer les factures potentielles d’avocat.
La chasse aux sorcières
La chasse aux sorcières se prépare déjà au Pentagone. Donald Trump, qui s’est constamment querellé avec ses généraux décidés à le freiner, veut faire le ménage. Ses équipes ont créé une liste d’officiers impliqués dans le retrait calamiteux d’Afghanistan en 2021 dans le but de les traduire en cour martiale. Selon le Wall Street Journal, elles préparent également la création d’un “conseil guerrier” composé de militaires à la retraite chargés d’établir une liste de généraux manquant “des qualités requises pour commander”. Le futur président a promis de limoger les haut gradés “woke”, qui ont par exemple promu un recrutement plus diversifié. Rachel VanLandingham, ex-officier de l’Air Force et spécialiste de justice militaire à Southwestern Law School croit “peu probable” que le général Milley ou d’autres passent en cour martiale. Elle s’inquiète en revanche des commissions d’évaluation. “Je n’ai rien contre l’idée d’une sorte de conseil chargé d’évaluer l’aptitude des généraux. Certains ont fait de terribles erreurs et ont été quand même promus.” Mais ajoute-t-elle, “il faut que les critères d’évaluation soient justes et transparents. Or il semble que cela va être plutôt basé sur un pur test de loyauté”. L’effet “réfrigérant” de ces rumeurs s’est fait déjà sentir, poursuit-elle. “Tout le monde a bien reçu le message : ne dites jamais non à Donald Trump.”
Ce n’est pas la première fois que le futur président parle de vengeance. En 2016, il a passé son temps à attaquer Hillary Clinton, “la ripou”, avec le slogan repris en meeting par ses partisans : “Mettons-la en taule”. Une fois au pouvoir, il n’a pas mis ses menaces à exécution. Mais il a poussé à des enquêtes fédérales contre des agents du FBI chargés de l’affaire sur l’ingérence de la Russie dans les élections et contre John Kerry. Il accusait l’ex-secrétaire d’Etat d’Obama d’avoir violé la loi parce qu’il était resté en contact avec des diplomates iraniens au moment où la Maison-Blanche se retirait de l’accord sur le nucléaire. Il a aussi exigé qu’un amiral et un général à la retraite, auteurs de deux articles très critiques sur sa présidence, soient rappelés sous les drapeaux et traduits en cour martiale. Ses conseillers ont réussi à l’en dissuader. Craignant cette fois qu’il n’ait plus de garde-fous, certains appellent Joe Biden à gracier préventivement avant son départ les “ennemis” les plus à risque. Donald Trump l’a fait en 2020 pour Steve Bannon, son ancien conseiller, dont le procès pour arnaque financière n’avait pas encore eu lieu. Une protection utile qui n’empêchera pas cependant les poursuites au civil ou un audit de l’IRS.
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