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Les vignerons bourguignons à la conquête du Languedoc


L’esprit du lieu agite le monde du vin et des spiritueux. Partout en France, les vignerons ne se lassent pas d’explorer la richesse et la diversité de leurs terroirs. A l’instar des Champenois qui s’émancipent du dogme de l’assemblage pour glorifier leurs parcelles, quand les élaborateurs de crémant appuient leur succès sur la typicité de leurs appellations reconnues dans l’Hexagone. La connaissance et la compréhension des origines demeurent le meilleur moyen d’être… original.

Contrairement à une idée reçue, les vignerons bourguignons ne s’arc-boutent pas sur leurs climats millénaires : ils aiment bien changer de paysages viticoles lorsqu’ils en ont l’occasion. Ils se sont ainsi implantés dans le Beaujolais, en Ardèche, dans le Jura, en Afrique du Sud, ou encore par-delà l’Atlantique – en Oregon ou au Chili… Certains ont traversé la France d’est en ouest et ont trouvé leur bonheur dans le Languedoc, une terre où de nombreux terroirs restent encore à défricher, et où la multitude de cépages – on en compte près de 60 autorisés – offre un terrain de jeu inédit pour nos forçats du pinot noir et du chardonnay.

Laroche, le précurseur

Michel Laroche fut sans doute l’un des premiers Bourguignons à s’intéresser de près à ce vignoble sudiste. Alors propriétaire d’une maison de négoce à Chablis, il cherchait à étendre son savoir-faire pour produire des vins à la fois fins et charnus. Au milieu des années 1980, il penche pour le Languedoc, l’une des plus vastes régions viticoles mondiales avec ses quelque 230 000 hectares de vignes, qui lui offre, compte tenu de la diversité de terroirs, l’opportunité d’en sélectionner les meilleurs et d’y planter les cépages les mieux adaptés. Il sort en 1985 sa première bouteille de L Chardonnay, issu d’un assemblage de plusieurs provenances, avant de proposer une large gamme de vins. En 1996, il achète le Mas la Chevalière, situé aux portes de Béziers, que le domaine Laroche, passé en 2009 dans le giron de la famille Jeanjean, continue aujourd’hui encore à exploiter et développer.

Delaunay, pour la diversité des cépages

Laurent Delaunay est un Bourguignon pur jus, dont l’arrière-grand-père, Edouard, avait fondé une maison de négoce à Nuits-Saint-Georges. Il a sauté le pas, en 1995, lors de la cession de l’entreprise familiale. “Je sentais qu’il se passait quelque chose d’important et d’excitant dans le Languedoc, explique-t-il. C’était le temps de l’émergence des vins de cépages et de nombreux acteurs du monde entier commençaient à s’y intéresser sérieusement.” L’occasion pour lui de se frotter à d’autres cépages que le chardonnay et le pinot noir. Fort de sa culture de négociant, il n’imaginait pas pour autant acheter des vignes. Avec son épouse Catherine, également œnologue, ils vont à la rencontre de vignerons et de coopératives, les persuadent de leur céder une partie de leur récolte et de leur laisser la vinifier dans leurs installations. Ainsi, naissent les vins Les Jamelles.

“On a reçu un accueil incroyable, les Languedociens se sont montrés très ouverts à notre projet. Ils ont tout de suite compris que nous allions les aider sans leur faire prendre de risque.” Dix ans plus tard, en 2005, le couple Delaunay a l’opportunité de racheter une petite maison de négoce haut de gamme, Abbots, à laquelle ils accolent leur patronyme. “On y pratique un travail à la bourguignonne, en développant des vins de terroir à forte identité”, poursuit Laurent. Pour compléter le tout, la structure achète 150 hectares de vignes. Désormais, ce sont 1 200 hectares que le couple, rejoint par leur fille Jeanne, vinifie dans le Languedoc. Une réussite indéniable !

Limoux, l’autre pays du chardonnay

Les motivations de Christian Collovray et Jean-Luc Terrier sont un peu différentes de celles de Laurent Delaunay. Les deux fondateurs du domaine Deux Roches, dans le sud du Mâconnais, entrepreneurs dans l’âme, se rendent à Limoux, dans le secteur Haute-Vallée, où ils découvrent une exploitation en sommeil qu’ils décident de reprendre en 1997. Limoux s’impose bien entendu comme le royaume du chardonnay, de quoi ravir les deux associés. “Sur ce terroir, les nuits restent fraîches, ce qui permet d’obtenir de beaux équilibres. On y produit des vins au style proche de celui du Mâconnais”, éclaire Pierre-Alexis Terrier, le fils de Jean-Luc, désormais chargé de la vigne et de la cave.

Mais c’est aussi l’occasion pour nos deux compères de vinifier d’autres cépages. “Le duo bourguignon reste bien sûr majoritaire, mais nous cultivons également du chenin, du sauvignon, du mauzac pour le blanc, et du merlot, de la syrah, du grenache, du malbec et du cabernet-franc pour les rouges. Nous avons même lancé des essais avec le savagnin.” Comme en Bourgogne, les raisins sont vinifiés en parcellaires, même si, concède Pierre-Alexis Terrier, les surfaces sont ici beaucoup plus vastes : “Le domaine s’étale désormais sur une centaine d’hectares, découpés en quatre zones homogènes, et produit environ 600 000 bouteilles. Nous l’avons renommé “Altugnac “, du nom ancien du village d’Antugnac où il se situe.”

Un travail à quatre mains

Divineo, dont Gauthier Girardon est le directeur général, suit pour sa part un chemin original. Après avoir racheté 20 hectares du vignoble de Clodéric Prade, du domaine d’Eriane, à Saint-Mamer-du-Gard, l’entreprise choisit de vinifier les raisins chez des partenaires vignerons en Bourgogne. “C’est une expérience inédite, observe Gauthier. Nous leur laissons carte blanche, à la seule condition qu’ils laissent parler le terroir.” Aussitôt vendangés, les raisins partent chez les cinq vignerons, respectivement implantés à Chambolle-Musigny, Chorey-lès-Beaune, Pommard, Maranges et Buxy. “Nous les avons choisis parce que nous aimons leurs vins. Ils peuvent libérer leur créativité et proposer des cuvées où s’expriment à la fois le terroir et leur identité.” Divineo propose aujourd’hui sept cuvées en Vin de France, pour environ 30 000 quilles. A terme, la maison espère pouvoir pousser jusqu’à 100 000 bouteilles.

Un vin, deux régions

Avoir un pied en Bourgogne et l’autre dans le Languedoc permet aussi de produire des cuvées atypiques. C’est un peu contraint par le millésime 2021, largement décimé par le gel en Bourgogne, que Pierre-Alexis Terrier a eu l’idée de vinifier une partie de ses chardonnays de Limoux dans des fûts bourguignons contenant des lies de saint-véran et de pouilly-fuissé. Une cuvée astucieusement baptisée “Plan B”. “Cette initiative a rencontré un joli succès, ce qui nous a conduits à prolonger l’expérience sur des vins où nous assemblons des raisins de Limoux et de Bourgogne. Bien entendu, les bouteilles se trouvent commercialisées en Vin de France”, détaille Pierre-Alexis.

Certes, le Languedoc n’a pas attendu les Bourguignons pour produire de jolies cuvées, mais cet intérêt porté par une région dont les vins sont les plus recherchés par les amateurs donnera, sans aucun doute, un coup de projecteur bienvenu sur ces formidables terroirs de l’Hérault, de l’Aude, du Gard et des Pyrénées-Orientales.




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