C’est fou comme il suffit de prononcer un mot pour renvoyer à une décennie passée, avec ses modes vestimentaires, ses musiques, ses films emblématiques… Dites “yéyé”, par exemple, et aussitôt surgissent Johnny Halliday, Eddy Mitchell ou Dick Rivers, patronymes révélateurs de l’engouement des bien nommées sixties pour la musique venue des Etats-Unis. Pensez aussi au Minitel, aux patins à roulettes ou encore à la disquette ! Car c’est un fait : depuis toujours, la langue varie dans le temps et dit à sa manière la société dans laquelle elle s’inscrit.
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C’est à ce thème formidable que le linguiste Mathieu Avanzi, spécialiste de la variation du français*, consacre aux éditions le Robert dans un livre richement illustré : Le Fabuleux destin des mots**. Centré sur les soixante dernières années, il nous offre un étonnant panorama des évolutions de la France. En voici quelques exemples :
Les revendications féministes. Les mouvements de libération de la femme ont apporté plusieurs termes nouveaux à notre langue commune, à commencer par ceux désignant l’adversaire. “Machisme” est apparu en 1971via l’espagnol macho (du latin masculus, “mâle”),“sexiste” en 1970 (forgé sur le modèle de “raciste”). “Sororité” (lien de solidarité entre les femmes), un terme quasi oublié venu du moyen français, a été relancé avec un certain succès à partir de 1970. Il en est de même de “féminicide”, attesté dès 1855, mais dont l’usage ne se répandra véritablement qu’à partir de 1992.
La hausse du niveau de vie. L’équipement de la maison témoigne du formidable enrichissement qu’a connu la majorité des Français depuis l’après-guerre. Du “lave-vaisselle” (1969) au “four à micro-ondes” (1969) en passant par le “home cinema” (1995) et le “magnétoscope” (1961) – dont on apprend qu’il a “éliminé son concurrent vidéographe”…
La société de consommation… “Supermarché”, avec ses cousins “supérette” et “hypermarché”, témoigne de l’exaltation et, parfois, de la folie consommatrices auxquelles nous avons collectivement cédé depuis un demi-siècle.
… et des loisirs. Au fil du temps, de nombreux Français ont découvert les plaisirs du “schuss”, du “kite surf” ou du “paddle”. Un mouvement favorisé par l’essor des vacances (terme ancien) et des “RTT” (néologisme !).
La crise écologique. Les vocables formés à partir des préfixes “bio” – comme “biomasse” (1966) – et “éco” – comme “écoblanchiment”, “écosystème” et l’abréviation “écolo” (1970) – illustrent les préoccupations environnementales croissantes de l’opinion publique. Un mouvement qui se poursuit aujourd’hui, avec des mots à connotation négative comme “écoanxiété” ou “climaticide”, et d’autres porteurs d’espoirs tels “neutralité carbone” ou “surcyclage”.
Les conflits idéologiques. Qui se rend maître du récit gagne les guerres, dit-on. De là une floraison de termes nouveaux avec, par exemple, “mollarchie”, pour critiquer le régime des mollahs, ou “ethnocide” pour dénoncer l’anéantissement d’un groupe ethnique et de sa civilisation. Les combats qui déchirent le monde nous ont également apporté djihad (“effort”, en arabe) ou intifada (“soulèvement”) et – plus rarement – des concepts positifs comme perestroïka (“reconstruction”, en russe).
La crise économique . “Surendettement”, “mal-logement”, “microcrédit”, “précarisation”, “RMI”, “RSA”, “SDF”… L’envolée du chômage s’est accompagnée d’un essor néologique assez peu réjouissant pour décrire la pauvreté touchant une partie de la population, mais aussi les tentatives de réponses qui y ont été apportées.
L’informatisation. Le passage à l’ère numérique s’est accompagné d’une multitude de termes techniques, souvent en anglais (bug, cookie, webcam, e-sport), mais pas toujours (“formater”, “internaute”, “logiciel”, sans oublier “ordinateur”, souvent abrégé en “ordi”). Notre dépendance aux nouvelles technologies est telle qu’une maladie inconnue est apparue : la “nomophobie”, autrement dit la peur de devoir vivre quelques heures sans téléphone portable.
Les nouveaux contours de la famille. Entre la création du “Pacs”, l’explosion des familles “monoparentales” et le développement de l’”homoparentalité” (parfois à la suite d’un coming out), notre lexique illustre les incroyables transformations qu’a connues la famille au cours des soixante dernières années.
L’influence américaine. Depuis l’après-guerre, les Etats-Unis dominent l’univers mental des Français. La musique en est l’un des témoins, avec l’engouement pour le “rock” et la “pop” – on y revient. La télévision lui sert souvent de relais, qui multiplie talk-shows, sitcoms et autres breaking news, de préférence en prime time…
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* Il s’est fait connaître par ses livres inventifs consacrés aux régionalismes, notamment son Atlas du français de nos régions (Armand Colin) et son site Français de nos régions.
** Le Fabuleux destin des mots, sous la direction de Mathieu Avanzi. Le Robert.
À LIRE AILLEURS
Dis-voir comment tu parles !
Le même Mathieu Avanzi a lancé l’application Dis voir !, plateforme participative qui met en lumière la richesse des variétés du français pratiqué en Suisse romande, où il enseigne désormais. Cette initiative inédite invite les utilisateurs à enregistrer leur voix pour alimenter un atlas sonore, à deviner des mots typiquement romands et à tester leur capacité à reconnaître des accents régionaux. Un blog de vulgarisation, où sont publiés de courts articles sur des phénomènes linguistiques propres au français parlé en Suisse, accompagne le projet.
Du poilu au métavers
“Aéroport”, “hypermarché”, “minijupe”, “rap”… Sur un thème proche de celui traité par Mathieu Avanzi, les éditions Larousse ont eu la bonne idée de sélectionner 300 entrées qui, chacune à leur manière, révèlent les évolutions de la France depuis 1905. Un ouvrage collectif à la fois ludique et intelligent.
Du poilu au métavers. Larousse.
L’Arcom s’oppose à une radio 100 % bretonne
Radio Breizh avait déposé, en mars 2024, un dossier auprès de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) pour obtenir une fréquence et créer une station à 100 % en langue bretonne. Mais l’Arcom lui a préféré un autre projet, ce qui a fait réagir la coordination associative culturelle de Bretagne Kevre Breizh, qui souligne que les radios en langue française “sont très nombreuses”. En s’appuyant sur différentes conventions internationales qui établissent les droits humains fondamentaux dans le domaine linguistique, elle envisage des recours juridiques contre décision.
“Il ne reste qu’une génération pour sauver le corse”
“Dans vingt-cinq ans, il existera encore des gens capables de parler corse. Mais je pense sincèrement qu’il ne nous reste plus qu’une génération avant que le corse ne soit plus une langue vivante.” Telle est l’analyse pessimiste de Marceddu Jureczek, agrégé de corse, qui note néanmoins un très fort désir des insulaires de le parler et de l’apprendre. “Cette langue vient combler un vide, celui de l’identité, poursuit-il. La langue est une clef pour entrer dans la communauté.”
Du latin à l’école !
Le latin permet de mieux maîtriser le français. Le latin permet de maîtriser plus facilement le portugais, l’italien, le catalan et toutes les langues romanes. Le latin n’est plus langue maternelle et présente donc l’avantage de la neutralité. Voilà quelques-uns des arguments de ce plaidoyer en faveur du retour de la langue de Cicéron dans le tronc commun de l’enseignement secondaire en France.
Du latin à l’école !, par Thibaut Sallenave, Luigi-Alberto Sanchi et Cécilia Suzzoni. Fayard.
Non, le sarthois n’est pas mort
Qui connaît le parler sarthois ? Pas grand monde. Et pourtant… L’association Heulâ, qui œuvre à sa promotion, a recueilli plusieurs dizaines de textes rédigés sur le thème de la fête par des locuteurs passionnés de cette langue d’oïl qui souffre de sa proximité avec le français.
Heulâ !… C’est la fête, collectif. Libra Diffusio.
Frédéric Mistral et l’école
Tel sera le thème du colloque organisé l’Association pour l’enseignement de la langue d’oc (AELOC) le 7 décembre à La Penne-sur-Huveaune (Bouches-du-Rhône). Dans le cadre de l’année Mistral, des conférences, des débats et des expositions seront consacrés au grand poète provençal.
Le Grand Quiz de la langue française
Doit-on écrire “cauchemar” ou “cauchemard” ? “Misogynie” ou “mysoginie” ? “Dionysos” ou “Dyonisos” ? Voilà quelques-unes des centaines de questions conçues par Julien Soulié pour ce grand quiz de la langue française.
Le Grand Quiz de la langue française, par Julien Soulié. Le Figaro littéraire
À ÉCOUTER
Langue à langue, le podcast littéraire qui fait le tour du monde
Chaque langue ouvre sur une culture et un rapport au monde particulier. Le podcast Langue à langue, de Margot Greillier, va à la rencontre de ceux qui, par leur métier, naviguent en permanence entre deux langues. Un exemple ici avec Michel Volkovitch, traducteur du grec, mais aussi locuteur du français, de l’anglais et du russe.
À REGARDER
Mistral, superstar mondiale… sauf à Paris
Encore aujourd’hui, Frédéric Mistral est lu, traduit et étudié dans le monde entier. Du Japon au Brésil, de l’opéra au cinéma, Frédéric Mistral – qui, de son vivant, échangeait avec le président des Etats-Unis Théodore Roosevelt – est une superstar mondiale. Et, finalement, c’est sans doute à Paris qu’il est le plus ignoré. Cent vingt ans après son prix Nobel de littérature et cent dix ans après sa mort, le grand poète provençal, acteur décisif de la renaissance de la langue d’oc au XIXe siècle, fait l’objet d’un très mérité reportage de l’émission Viure al País.
Les origines gauloises des noms de nos cours d’eau
Le Rhône, “le grand courant”. La Loire, “l’eau limoneuse”, mais aussi l’Ain, le Var ou le Doubs… De nombreux fleuves, rivières et ruisseaux portent des noms issus du gaulois, explique ici Jacques Lacroix, professeur agrégé, docteurs ès lettres et civilisations et fervent défenseur de notre héritage celte.
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