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Fermetures de classes dans les zones rurales : “Pour les ministres, ce n’est rien, mais pour nous…”


Sébastien Gouttebel, vice-président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), garde les yeux rivés sur sa calculette. Entre les effectifs prévisionnels de juin dernier et la rentrée de septembre 2024, son département du Puy-de-Dôme, qui n’échappe pas à la baisse démographique, a “perdu” 500 élèves de primaire. “Comme d’habitude, l’Education nationale va se contenter de faire une règle de trois sans tenir compte des particularités de notre territoire. D’après mes comptes, si l’on divise les 500 élèves en moins par 25 [NDLR : ce qui correspond, selon lui, au nombre d’élèves par classe], on risque d’avoir 20 professeurs en moins et, dans la foulée, d’être obligés de fermer des classes”, poursuit l’élu. Partout en France, l’inquiétude est de mise depuis l’annonce, le 10 octobre dernier, de la suppression de 4000 postes d’enseignants prévue dans le projet de loi de finances 2025. En particulier dans les communes rurales, où l’école joue un rôle central. “Pour les ministres, qui sortent de l’ENA et qui sont tous issus des grandes villes, une fermeture de classe, ce n’est rien ! Pour nous, ça risque de supprimer à terme un service public de plus et de provoquer une fuite des familles”, prévient Jean-Paul Carteret, premier vice-président de l’AMRF et maire de Lavoncourt, petite commune de moins de 400 âmes en Haute-Saône.

Ce sentiment de ne pas être entendus par les gouvernants parisiens revient en boucle chez les élus territoriaux et les habitants des petites villes. Depuis des années, la presse régionale se fait régulièrement l’écho de mobilisations destinées à empêcher les aménagements de carte scolaire qui rognent le nombre de classes. Un sondage Odoxa réalisé pour le réseau d’écoles Excellence Ruralités en janvier 2024 confirme cette impression d’abandon, puisque 73 % des habitants des zones rurales, bourgs et petites villes se sentent majoritairement délaissés par l’Etat, contre 57 % des citoyens des grandes villes. Si les premiers se disent plutôt satisfaits de leurs écoles primaires, 28 % d’entre eux se trouvent défavorisés en ce qui concerne les collèges, et 43 % quant aux lycées. Tandis que le taux d’insatisfaction dans les grandes villes est, respectivement, de 19 % et 26 %. “Le manque de choix et le temps moyen de trajet, qui ne cesse d’augmenter au fur et à mesure que l’enfant avance dans sa scolarité, font partie des points de crispation dans ces territoires. Plus on allonge les distances, plus on amplifie ce sentiment d’abandon”, précise Jean-Baptiste Nouailhac, cofondateur d’Excellence Ruralités.

Selon une enquête Insee publiée en 2022, un tiers des écoliers ruraux de 3 à 10 ans sont scolarisés hors de leur lieu de résidence, soit trois fois plus que les enfants urbains. Ils parcourent en moyenne 9,5 kilomètres pour rejoindre leur école. L’entrée au lycée augmente encore le parcours domicile-étude, puisqu’ils sont 94 % à se plier à des déplacements quotidiens de 23 kilomètres en moyenne. Ce qui entraîne inévitablement une fatigue plus importante. Enfin, les inégalités en matière d’orientation scolaire ne sont plus à démontrer. Les lycéens issus des territoires ruraux, particulièrement sujets à l’autocensure, sont moins nombreux à se diriger vers des cursus longs et sélectifs. La crise du logement, qui s’est accentuée ces dernières années, a tendance à dissuader encore davantage ces jeunes adultes de migrer vers les grandes villes à l’entrée du supérieur.

“L’époque où on louait une chambre de bonne pour que son fils aille poursuivre des études à Paris, Lyon ou Toulouse est révolue car les grandes métropoles sont devenues inaccessibles pour les milieux modestes”, explique le géographe Christophe Guilluy. Pour lui, la solution serait de décentraliser l’offre d’enseignement supérieur pour, par exemple, “former des ingénieurs en zone rurale qui travailleront plus tard sur place dans un contexte de réindustrialisation”. Et, plus généralement, de repenser notre modèle d’aménagement du territoire jusqu’ici essentiellement concentré sur les métropoles. “On a trop tendance à penser les zones rurales, les petites et les villes moyennes, bref ce que j’appelle la France périphérique, comme des marges, alors qu’elles représentent au contraire l’avenir”, insiste Christophe Guilluy, pour qui le mouvement est en train de s’inverser avec le départ des familles des grandes villes, à commencer par Paris.

Un “manque d’équité”, pour certains élus

Compliqué à l’heure des restrictions budgétaires tous azimuts. “A la rentrée 2025, on estime qu’il y aura à peu près 100 000 élèves en moins. Qu’est-ce que la bonne gestion de l’argent des contribuables ? Est-ce que c’est de considérer que le budget d’un ministère doit être systématiquement en hausse à la fois en moyens et en effectifs, ou est-ce que c’est de s’adapter à la réalité du besoin du service public ?”, interrogeait le ministre du Budget Laurent Saint-Martin le 11 octobre dernier. Au ministère de l’Education nationale, on se défend de ne raisonner que selon une logique comptable. “La répartition des moyens se fait selon trois critères que sont la démographie, les grandes orientations nationales qui visent, par exemple, à ouvrir des unités locales pour l’inclusion scolaire, mais aussi les caractéristiques sociales et géographiques de chaque territoire”, explique Caroline Pascal, la directrice générale de l’Enseignement scolaire. Plusieurs mesures sur l’école ont été annoncées dans le cadre du plan France ruralités, lancé par le gouvernement en juin 2023. Comme la création du label Internat d’excellence – ruralité visant à faciliter l’accès des adolescents à des formations rares.

De nouvelles instances de dialogue baptisées “observatoires des dynamiques rurales” ont également été installées dans la plupart des départements. Le but : réunir le préfet, le directeur académique des services de l’Education nationale (Dasen) et des élus afin d’avoir une visibilité à trois ans de l’évolution démographique, de la carte scolaire, des mesures politiques de transport ou d’accompagnement des familles. “Pour l’instant, nous n’avons eu qu’une seule réunion l’an passé lors de laquelle les discussions ont été très animées”, raconte Patrick Carayon, premier magistrat de Rayssac, petite commune du Tarn. Et l’élu de raconter les craintes d’un maire voisin à l’idée de perdre une nouvelle classe l’an prochain et de devoir entrer dans un dispositif de regroupement pédagogique intercommunal (RPI), qui consiste à réunir des écoles sur un seul ou plusieurs sites.

Beaucoup d’élus ruraux dénoncent également un manque d’équité face à certaines réformes récentes comme le dédoublement des classes de grande section de maternelle, CP et CE1 en réseau d’éducation prioritaire. “Ce dispositif, qui permet de réduire les effectifs à 12 élèves par classe, concerne essentiellement les villes et les banlieues. Pourquoi ne pas en faire bénéficier les territoires ruraux également en grande fragilité ?”, interroge ainsi Sébastien Gouttebel, pour qui la baisse démographique devrait être l’occasion d’améliorer les conditions d’enseignement et “non pas servir de prétexte pour supprimer des postes”. “En primaire, la moyenne nationale est de 21,4 élèves par classe. En zones rurales, le chiffre baisse à 20,9, et à 19,9 dans les communes qui sont les plus éloignées. Le taux d’encadrement y est donc meilleur”, répond Caroline Pascal.

Jean-Baptiste Nouailhac, lui, réclame une révision des critères de classement des établissements REP et REP+, plus avantageux pour les villes selon lui. Une inégalité de traitement que réfute le ministère. Les réponses de l’exécutif apaiseront-elles le malaise d’une partie des habitants des petites communes ? Pour Christophe Guilluy, il est aujourd’hui urgent de réconcilier métropoles et territoires périphériques “aujourd’hui complètement divisés”. “Sinon on sait ce que ça donne, ajoute-t-il. Je ne vous fais pas un dessin…”




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