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“Il n’est pas adapté à l’époque” : Michel Barnier, une attitude trop vintage face au risque de censure


Je vous parle d’un temps… Le lundi 25 novembre, Michel Barnier reçoit Marine Le Pen, accompagnée du député Jean-Philippe Tanguy. Il y a le feu au lac, mais le Premier ministre préfère évoquer la neige sur la montagne. Le voilà qui, comme souvent, déroule son CV, ce qui prend un certain temps : le conseil général de Savoie, sa présidence, puis la Commission européenne, ses portefeuilles ministériels, jusqu’à une parenthèse plus personnelle sur sa famille en Martinique. Le RN n’a pas été impressionné. Dimanche soir, le parti considère que le gouvernement “a mis fin à la discussion” sur le budget de la sécurité sociale. En cas de recours lundi au fameux article 49.3, le chemin de la censure paraît tout tracé.

L’avenir du Premier ministre ne tient qu’à un fil, après tout lui-même se réfugie si souvent dans le passé. Le mardi 26, au 20 heures de TF1, Michel Barnier remet à l’honneur un mot que Raymond Barre utilisait avec jubilation – c’était tout de même il y a près de cinquante ans : haro sur le “microcosme”. On a les références de ses artères. Il aime citer Emmanuel d’Astier de la Vigerie, dont il dévorait les écrits dans son lycée d’Albertville – qui lit encore aujourd’hui ce héros de la Résistance qui fut ensuite une figure de ces fameux “gaullistes de gauche” ?

Et qui vibre toujours aux exploits du skieur Jean-Claude Killy, co-organisateur des Jeux olympiques d’hiver de 1992, la grande fierté de Michel Barnier ? Le sportif lui a enseigné l’art de la ponctualité, cette politesse des rois : “Arrivez à l’heure.” Le chef du gouvernement a transmis ce précepte à ses ministres. Avec une mise en garde : il a un réseau d’informateurs assez dense pour s’assurer de son respect. Michel Barnier, plus Guy Roux que Didier Deschamps. Un – jeune – ministre s’amuse : “Bien sûr, il n’est pas surconnecté, mais ce n’est pas le vieux papy gentil.”

Il aura 74 ans en janvier. Il est l’homme de son époque, qui n’est pas toujours le présent. Mais quand le présent est fou, quand la censure menace, quand “la tempête” approche, est-ce un atout salvateur ou une faille fatale ? En arrivant à Matignon, Michel Barnier a le téléphone de Jean-Michel Baylet, l’ancien président des Radicaux de gauche âgé de 78 ans, qu’il appelle en quête de personnalités de gauche, mais pas celui de Marine Le Pen. Les réseaux sociaux ne sont pas son pain quotidien. Dans un premier temps, il ne voit pas les déclarations d’Emmanuel Macron appelant, en Amérique du Sud, à la “stabilité” en France, il faudra qu’un de ses conseillers les lui montre.

C’est entendu, il a une expérience longue comme le bras et pourtant… Le 19 septembre, quand il réunit pour la première fois tous les dirigeants des partis qui constituent le socle commun, il leur lance : “Je dois vous dire que j’ai été surpris d’avoir assez peu entendu parler de la France et des Français” – jusqu’alors tous ont plus parlé des hommes et des femmes qui allaient devenir ministres que des idées à appliquer. Un ange aux allures gaulliennes passe dans la pièce.

Quelques jours plus tôt, Laurent Wauquiez tombe de sa chaise. Il rencontre Michel Barnier à Matignon. Enfin. Voilà quelques jours que son téléphone a cessé de sonner, lui qui a œuvré à sa nomination. Parfois, le silence est préférable. “Je ne suis amené à tenir mes engagements que dans les limites de l’intérêt supérieur de la France”, croit entendre le patron des députés de la Droite Républicaine (DR). La formule ampoulée l’agace. “Le niveau de prégnance des petites ambitions frappe énormément Michel Barnier, malgré cinquante ans de vie publique”, défend un proche du chef de gouvernement.

Pas la même langue qu’Emmanuel Macron

C’était mieux avant ? Le 17 septembre, lorsqu’il consulte un par un les partis, il est agréablement surpris d’entendre, comme à la grande époque du général, les communistes tendre la main quand les socialistes ou les Insoumis, par exemple, lui ont fait un bras d’honneur, en refusant même de se déplacer. “Il y a des sujets sur lesquels on peut travailler avec vous, l’industrialisation du pays bien sûr, mais aussi la sécurité”, avance Fabien Roussel. “Je ne m’attendais pas du tout à ce que vous me disiez cela !”, répond le chef du gouvernement.

Le nouveau monde est terra incognita pour lui. Il ne parle pas la même langue qu’Emmanuel Macron. Le Premier ministre a été surpris de l’état dégradé des relations entre l’exécutif et les corps intermédiaires, si mal traités depuis sept ans par le président : pour le Savoyard, il est inconcevable de gouverner contre eux, pire sans eux. Première incompréhension. Le “en même temps”, vertu suprême ? Deuxième incompréhension. L’ancien commissaire européen a vu partout (sauf en France) la droite se montrer résiliente, même en cas de défaites électorales. Aussi n’a-t-il jamais cru que le macronisme serait autre chose qu’un produit de circonstance, aussi brillant soit-il. Etre et avoir été… Quand Michel Barnier a fait souffler à l’automne un vent de fraîcheur sur la classe politique, c’est Emmanuel Macron qui a tiqué, vexé d’être dépassé, lui, la figure du dépassement.

Dès 2021, il tente de refermer la “parenthèse” macroniste. Son échec à la primaire des Républicains lui ferme la porte. Eh bien, il passera par la fenêtre. Début janvier 2024, Michel Barnier déjeune avec Gabriel Attal. Emmanuel Macron cherche à remplacer Elisabeth Borne, usée par deux ans aux manettes. Alors il plaide sa cause auprès du jeune ministre de l’Education. N’est-il pas capable de mettre en œuvre une coalition avec la droite ? Lui seul peut offrir à la France une majorité absolue, vestige de l’ancien monde. Raté. Son interlocuteur rafle la mise quelques jours plus tard. Beau joueur, Michel Barnier envoie un message de félicitations à Gabriel Attal.

Il n’utilise pas la même grammaire que son prédécesseur, il suffit de se remémorer leurs premiers échanges. Le jeudi 5 septembre, juste avant la passation des pouvoirs sur le perron, Michel Barnier : “On ne se tutoie pas, n’est-ce pas ?” Gabriel Attal : “Oui, je te confirme qu’on va se vouvoyer.” Ce jour-là, il ne demande aucun conseil à celui qui pourrait être son fils. Tout juste s’enquiert-il… de son domicile.

Ils ne se comprennent guère. Dès la formation de l’exécutif, Michel Barnier s’étonne du droit de regard exercé par Gabriel Attal sur les ministres macronistes. Le président des députés Ensemble pour la République (EPR) étrille la raideur du diplomate, baptisé en privé “l’huissier de justice”. Le malentendu est abyssal. Dans chef du gouvernement, il y a “chef”. Oui, mais sans majorité absolue, le patron perd de sa superbe. En septembre, on s’explique. Michel Barnier : “On n’est pas sous la IVe République.” Gabriel Attal : “On n’est pas tout à fait sous la Ve non plus.” Un trait d’union générationnel, vite. Cela tombe bien, Jean-François Copé est proche des deux hommes. Il joue au diplomate, passe un coup de fil à chacun avant un déjeuner à Matignon. “Vous avez un intérêt à vous entendre”, leur explique-t-il à l’envi.

“Je ne me suis pas roulé par terre pour être Premier ministre”

L’âge camoufle bien des défauts, souvent prêtés aux plus jeunes. L’orgueil devient respect des usages. La raideur, rectitude. “Pourquoi voulez-vous qu’à 67 ans, je commence une carrière de dictateur ?”, professait de Gaulle. “Pourquoi voulez-vous que l’ambition me dévore à 73 ans ?”, pourrait ajouter Michel Barnier. L’intérêt général, c’est lui ! Le Savoyard joue de son image “vintage”. Il se pose en miroir inversé d’une classe politique forcément rongée par l’ambition. “Je ne me suis pas roulé par terre pour être Premier ministre”, répète-t-il comme un slogan. Sa fonction n’est pas une ligne de CV supplémentaire, mais un sacerdoce. De cette Assemblée émiettée ne peut surgir que de la souffrance. L’ancien ministre de la Mer Hervé Berville devrait même le remercier de l’avoir congédié. “Je vous fais peut-être une faveur en ne vous nommant pas”, lui glisse-t-il en lui annonçant la nouvelle.

Cette attitude sacrificielle amuse ceux qui connaissent Michel Barnier. Elle n’est pas jugée insincère, mais se conjugue à un ego surdimensionné et une soif de reconnaissance. Il suffit de le voir, quasiment à chaque conseil des ministres, mettre un point d’honneur à prendre la parole après le président de la République quand sont évoquées les affaires internationales.

Il digère mal les défaites. Comme ce soir de décembre 2021, où il se fait attendre avant de rejoindre le QG de Valérie Pécresse après le premier tour de la primaire. Un interlocuteur régulier s’étonne de son obsession pour les régionales d’Auvergne-Rhône-Alpes de 2015, lors desquelles il a dû s’effacer derrière Laurent Wauquiez. Il sait pourtant gagner des élections. Quand l’eurodéputée Renew Valérie Hayer le croise début 2014, il lui vante aussitôt son score “extraordinaire” aux européennes de 2009. Sa nomination à Matignon est sa revanche sur un destin présidentiel fuyant. L'”homme d’Etat” Barnier a mené une habile campagne souterraine pour l’emporter, loin des radars médiatiques. Quand un élu LR lui affirme par SMS qu’il compte glisser son nom à la télévision, il acquiesce avec une fausse coquetterie.

La vie politique a changé

Cette personnalité n’est pas si “vintage”, après tout. Sa pratique du pouvoir l’est. “Hors du temps”, en tout cas. Il est chef d’un gouvernement dont il ne connaît pas un nombre important de membres. Dont il n’a pas choisi certains poids lourds. Le 20 septembre, Michel Barnier parle pour la première fois de sa vie avec Anne Genetet. Et c’est pour lui proposer de devenir ministre de l’Education ! Il ne l’a pas choisie, c’est Gabriel Attal qui la lui a imposée. Entorse à la lecture traditionnelle des institutions, il refuse d’être chef d’une majorité qui n’existe pas et qu’il ne connaît pas bien – cela fait beaucoup.

Cette absence d’autorité se mêle à un intense sentiment de liberté. Gabriel Attal note avec surprise ce trait de caractère, aux antipodes du chaudron politique. “Il se sent très fort, note un cadre EPR. Aussi puissant qu’un Premier ministre de majorité absolue.” Trop fort ? Des députés du socle commun s’étonnent de sa raideur et de son absence d’interlocuteurs réguliers à l’Assemblée. Une vieille connaissance résume : “Jamais on n’aurait pensé à lui en cas de majorité absolue. Il aurait dû être le roi du marchandage, et jouer le jeu qui a conduit à sa nomination. Il ne l’a pas fait par rigidité d’esprit. En ce sens, il n’est pas adapté à l’époque.” Le négociateur du Brexit était serein. Ses alliés n’oseront pas le censurer. Pourquoi s’embourberait-il dans des tractations boutiquières ? Il gère la France et parle aux Français.

Mais la vie politique a changé. On y fait des “coups”. On n’y respecte les “usages” que tant qu’ils vous servent. Michel Barnier découvre, comme chaque Français, les critiques du ministre de l’Economie Antoine Armand contre son budget dans Le Parisien. Allume sa télévision et voit Laurent Wauquiez faire une annonce à 500 millions d’euros. “Il n’a jamais fait de coups politiques, note un cadre EPR. Sa culture est à des années-lumière des modalités de faire de la politique depuis 2017.”

La vie politique a changé. Le Rassemblement national s’y est imposé comme force majeure. Les appels à la “stabilité” ou à “l’esprit de responsabilité” trouvent un écho mineur dans la formation d’extrême droite. Ils ne seraient qu’un instrument du “système” pour domestiquer les forces protestataires. L’irrationalité habite ce parti. Michel Barnier a attendu d’être acculé par Marine Le Pen pour lui faire des concessions. Non sans maladresse. Il annonce sur TF1 confier une mission sur la proportionnelle au politologue Pascal Perrineau, intellectuel de sa génération. Cela tombe mal, la patronne des députés RN (à qui il n’a pas donné le nom de l’expert lors de leur entretien de la veille) le déteste. L’opinion publique, qu’il brandit en étendard, ne lui est d’aucun secours. Sa survie ne se joue pas dans les villages français, mais bien à l’Assemblée nationale. “On n’est pas sous la IVe République”, disait-il. Peut-être que si. Michel Barnier, trop jeune pour le poste ?




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