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Les dessous de la “guerre hybride” de l’Algérie contre la France : renseignement, islam, immigration…


Le patron de la DGSI est ennuyé. En ce début d’année 2023, Nicolas Lerner, encore à la tête des renseignements intérieurs – il occupe aujourd’hui le même poste à la DGSE, les services extérieurs -, déjeune avec un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur. “Il m’expliquait qu’il n’avait plus de vrai flux d’information de la part de ses interlocuteurs algériens, se rappelle son convive. Que même ce canal, qui d’habitude subsiste malgré les hauts et les bas de la relation, ne fonctionnait plus tellement.” Malgré sa fin annoncée par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Gérald Darmanin, les répercussions de la “crise des visas” se font sentir dans le monde du renseignement.

En septembre 2021, la France a décidé de restreindre l’octroi de visas en Tunisie, au Maroc et en Algérie pour les pousser à des efforts en matière de lutte contre l’immigration illégale. Ce refus s’est traduit par une diminution des informations données par les pays concernés, notamment par l’Algérie. Une mauvaise nouvelle au moment où le gouvernement prépare fiévreusement les Jeux olympiques. “Les flux de renseignement sur les poussées terroristes étaient donc essentiels, poursuit notre interlocuteur. Ils le sont toujours : Beauvau a souvent la crainte de la décision française qui entraînerait la fermeture du robinet.” Les services secrets ont fini par reprendre langue, mais le soulagement a été de courte durée. Depuis l’été 2024, le canal d’information algérien s’est à nouveau tari. Le symptôme d’une nouvelle brouille, mais aussi du durcissement du régime. Secoué par des émeutes en juin, fragilisé par une élection présidentielle vue comme jouée d’avance, de plus en plus isolé à l’international, l’exécutif algérien n’hésite pas à utiliser la France comme bouc émissaire. Une attitude matérialisée par des manifestations d’hostilité sur différents sujets clés, pas si loin des méthodes de la “guerre hybride” que la Russie mène aux pays occidentaux depuis mars 2022.

“France macronito-sioniste”

Dernier épisode en date : Boualem Sansal, écrivain franco-algérien, placé en détention provisoire, accusé d’une série “d’atteintes à la sûreté de l’Etat”, depuis le 21 novembre. Cette arrestation s’ajoute à une succession de secousses entre Paris et Alger. Dans une lettre envoyée au roi Mohammed VI et rendue publique le 30 juillet, Emmanuel Macron reconnaît que “le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine”. Le jour-même, Alger rappelle son ambassadeur en France. Le ministre des Affaires étrangères dénonce un “pas qu’aucun autre gouvernement français avant lui n’avait cru devoir franchir”. Vent glacial sur la relation bilatérale. Fin octobre, Emmanuel Macron se rend en visite officielle au Maroc, réitère sa position sur le Sahara occidental. Le 16 novembre, Boualem Sansal “disparaît” à son arrivée à l’aéroport d’Alger.

Sidération et inquiétude à Paris, alors que l’écrivain Kamel Daoud, prix Goncourt 2024, est lui aussi poursuivi en justice en Algérie, accusé de s’être approprié l’histoire racontée par une patiente à son épouse psychiatre dans son roman Houris. Avec Boualem Sansal en prison, l’épisode dépasse la campagne de disqualification. L’auteur algérien a obtenu cette année la nationalité française – une demande directe d’Emmanuel Macron à Beauvau, a appris L’Express d’une source gouvernementale. Paris interpelle donc Alger sur le sort de son ressortissant. Réponse au vitriol de l’autre côté de la Méditerranée. “La France macronito-sioniste […] s’offusque de l’arrestation de Sansal à l’aéroport d’Alger”, cingle Algérie presse service. Au passage, l’agence de presse publique du pays, liée au régime, se moque du bronzage d’Emmanuel Macron après son voyage au Brésil, cible “le bottin anti-algérien et accessoirement prosioniste de Paris”.

“Rente mémorielle”

L’Elysée a bien tenté des gestes d’apaisement. Entre autres : la remise aux pays de 24 crânes de résistants décapités au XIXe siècle, ou encore la mission confiée à l’historien Benjamin Stora sur “la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie”. Le 1er novembre, Emmanuel Macron a aussi reconnu la responsabilité de la France dans l’assassinat du nationaliste algérien Larbi Ben M’hidi, comme il l’avait fait pour celles de d’Ali Boumendjel, avocat nationaliste algérien, et de Maurice Audin. Le président Abdelmadjid Tebboune devait lui venir en visite officielle à Paris en mai 2023 – la précédente venue d’un dirigeant algérien remontant à celle d’Abdelaziz Bouteflika en 2000. Repoussée sans cesse, puis programmée entre fin septembre et début octobre 2024, elle a finalement été reportée sine die par le chef de l’Etat algérien dans une interview télévisée. Dans cet entretien, Abdelmadjid Tebboune qualifie la colonisation française de “génocide”, demande réparation pour les tests nucléaires menés en Algérie dans les années 1950 : “Vous êtes devenus une puissance nucléaire, et nous avons eu les maladies.”

Une escalade verbale et diplomatique liée à la position française sur le Sahara occidental, d’une part. Mais aussi aux remous politiques internes à l’Algérie, le président Abdelmadjid Tebboune ayant été réélu en septembre avec 94,65 % des voix, dans un scrutin marqué, selon les candidats déçus des “irrégularités et contradictions dans les résultats annoncés”. “Le pouvoir algérien se durcit depuis 2020, observe Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie. Cela se traduit par la fermeture de journaux – Radio M et du journal électronique Maghreb Emergent en juin, par exemple -, l’emprisonnement de particuliers, mais aussi une dégradation des relations franco-algériennes.” La crise diplomatique actuelle est d’ailleurs la troisième en quatre ans. La première avait été provoquée par les déclarations d’Emmanuel Macron sur la “rente mémorielle” du “système politico-militaire algérien”. La seconde, par l’accueil en France de l’opposante Amira Bouraoui, qui avait quitté illégalement l’Algérie par la Tunisie.

“Je t’aime moi non plus”

“La discussion se joue en permanence sur qui montrera le plus ses muscles, observe Hugues Besancenot, ancien directeur de l’immigration à la direction générale des étrangers en France. La moindre contrariété que vit Alger est transformée en tracasserie administrative pour les Français qui vont et travaillent en Algérie.” La pérennité de certains échanges économiques est elle aussi remise en cause par la crise actuelle. “Le régime algérien nous provoque pour tester nos réactions. Est-on capable de répondre, d’établir un rapport de force avec eux ?”, s’interroge Xavier Driencourt.

Ces dernières années, les inquiétudes se concentrent sur le dossier migratoire, source d’éternelles tensions entre Paris et Alger. La question des visas est notamment au cœur de toutes les préoccupations, les Algériens constituant l’un des plus gros contingents de demandes en France. En dix ans, le nombre de visas annuels demandés par les Algériens a été multiplié par trois, de 200 000 en 2007 à plus de 600 000 en 2017. Sur la même période, les dossiers acceptés par Paris sont passés de 100 000 à 400 000, avant d’atteindre 128 690 en 2022, d’après les chiffres de la direction de l’immigration. Cette année-là, les Algériens ont été la deuxième nationalité à laquelle la France accorde le plus de visas, derrière le Maroc. “Les refus de visas contribuent à alimenter un discours à Alger selon lequel : ‘Vous voyez, les Français ne nous font pas de cadeau’, observe Fernand Gontier, ancien directeur central de la police aux frontières de 2017 à 2022. Chaque décision française est interprétée comme un signe de faiblesse, ou d’arrogance. Notre relation est un ‘je t’aime moi non plus’ totalement polluée par notre passé.”

Enquêtes ralenties

De l’autre côté de la Méditerranée, Paris se heurte à des difficultés à obtenir d’Alger des laissez-passer consulaires, sésames nécessaires pour exécuter les obligations de quitter le territoire français (OQTF). D’après un rapport de la Cour des comptes datant de janvier 2024, 58 700 OQTF ont été décidées par les préfectures pour des ressortissants algériens entre 2019 et 2022. Seules 2 600 ont été suivies d’effet, avec un sévère ralentissement depuis la pandémie. “Le ministère de l’Intérieur algérien est inféodé à celui des Affaires étrangères, ce qui implique que les questions d’immigration soient totalement conditionnées à la relation diplomatique de nos deux pays”, observe Fernand Gontier.

Même dans les périodes de détente, il se rappelle d’enquêtes ralenties. “Nos policiers ne pouvaient pas travailler directement avec leurs homologues. Il fallait que tout passe par l’échelon central du ministère algérien qui, souvent, ne répondait pas à nos sollicitations de renseignement dans le cadre d’enquêtes”, reprend-il. L’exécutif a dû s’impliquer pour mettre de l’huile dans la machine. En 2018, la France a négocié plusieurs mois pour expulser vers l’Algérie le djihadiste Djamel Beghal, condamné notamment association de malfaiteurs terroriste. Dans certains cas, Emmanuel Macron lui-même a dû téléphoner à son homologue pour obtenir des laissez-passer consulaires dans des dossiers similaires. La crise de cet été n’aurait pour l’instant pas eu d’effet significatif sur la délivrance des laissez-passer consulaires, sans toutefois que le nombre de retours forcés en Algérie soit jugé satisfaisant à Beauvau.

Malaise à Beauvau

Soucieuse de “ne pas jeter de l’huile sur le feu” – selon les termes d’un haut fonctionnaire de l’Intérieur – pour ne pas fragiliser la coopération, la France fait ainsi souvent le choix de ne pas relever certaines réactions algériennes. En juin 2023, les déclarations du ministère algérien des Affaires étrangères ont fait grincer des dents à Paris. Dans la foulée des émeutes ayant suivi la mort de Nahel, adolescent tué après un refus d’obtempérer lors d’un contrôle policier, Alger n’a pas manqué de faire part de son “choc” et de sa “consternation”. S’inquiétant des “circonstances particulièrement troublantes et préoccupantes” ayant conduit à la mort du jeune homme d’origine algérienne – mais né à Nanterre. Une “provocation”, s’agace encore aujourd’hui une source proche de l’exécutif.

Autre sujet de vexation : en mai 2024, à la veille des élections européennes, la réception de Rima Hassan à la Grande Mosquée de Paris (GMP) a été mal perçue au ministère de l’Intérieur français. L’échange entre le recteur Chems-eddine Hafiz et celle qui n’était pas encore eurodéputée de La France insoumise, fondatrice du collectif Action Palestine France, avait été relaté par un communiqué enthousiaste, conclu par le slogan “Solidarité Palestine Gaza”. Malaise à Beauvau, où l’on perçoit dans cette réception une prise de position aiguillée par son principal mécène – la GMP dépend largement des liquidités algériennes -, la cause palestinienne étant portée au plus haut niveau de l’Etat. “Il s’agissait sans doute d’un rééquilibrage dans sa communication, le recteur s’étant affiché aux côtés du grand rabbin Haïm Korsia après l’attaque du 7 octobre. Mais nous n’avions même pas été mis au courant de cette réception”, confie un proche de Gérald Darmanin. Ou l’art de manier le chaud et le froid diplomatique.




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