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Education sexuelle à l’école : “Laisser les enfants s’informer par le porno, c’est de la barbarie moderne”


Comment informer les enfants et les adolescents sur la sexualité ? Depuis trente ans, le professeur Israël Nisand se rend dans les collèges et les lycées pour parler aux élèves de leur rapport au sexe, du danger des valeurs et des images véhiculées par la pornographie, des violences sexuelles ou de la notion de consentement. Alors que la pornographie n’a jamais été aussi accessible, sur les sites spécialisés ou les réseaux sociaux, et que les adolescents visionnent, parfois très jeunes, des vidéos d’une “rare violence”, le gynécologue se bat pour mettre des mots concrets sur ce que ressentent ces adolescents, définir correctement les pratiques sexuelles, réduire les clichés sexistes ou homophobes qui les entourent, et protéger les jeunes contre les violences sexuelles dont ils pourraient être victimes.

Alors que le nouveau programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars) à l’école proposé par le gouvernement est déjà vivement critiqué par l’extrême droite et une partie des milieux conservateurs, ainsi que par le ministre délégué à la réussite scolaire Alexandre Portier, le médecin, auteur de Parler sexe : comment informer nos ados (Grasset, 2024), insiste sur la nécessité “d’informer des enfants et adolescents qui seront, dans le cas contraire, éduqués par la pornographie et les violences sexuelles”. Entretien.

L’Express : Le nouveau programme Evars prévoit une intervention sur les sujets de vie affective et sexuelle dès la maternelle, pour apprendre notamment à nommer les parties de son corps ou à accepter et refuser certaines situations, jusqu’au lycée, avec des réflexions plus poussées sur la sexualité. Pourquoi ces séances sont-elles nécessaires dès le plus jeune âge, selon vous ?

Israël Nisand : Parce que quand il n’y a pas d’information sur la vie sexuelle et affective, les enfants et les adolescents sont les premiers à payer l’addition. En premier lieu, dans un pays où 20 % des enfants sont victimes de violences sexuelles, ne pas les éduquer à prononcer les bons termes en parlant de leur corps, y compris en parlant de leur sexe, ne pas leur apprendre à dire “non, tu n’as pas le droit de me toucher ici, ni de me laver comme ça entre les fesses”, c’est une faute grave. À l’adolescence, ce sont les jeunes femmes qui paieront ensuite très chèrement l’absence d’informations sur la pratique sexuelle : ce sont elles qui passeront les portes d’un hôpital pour faire une IVG ou faire constater un viol. En l’absence d’information sur la vie sexuelle, comme c’est le cas actuellement, les jeunes font avec ce qu’ils ont à portée de main. C’est-à-dire des informations biaisées ou le modèle de la pornographie. Les laisser s’informer par ce biais, c’est de la barbarie moderne.

Qu’entendez-vous par “barbarie moderne” ?

On a aujourd’hui un “effet de ciseaux” entre deux lois non appliquées : la loi sur l’information à la vie affective et sexuelle, mise en place depuis 2001 mais très peu appliquée dans les faits dans les écoles, et la loi sur la protection des mineurs, dans le sens où il n’a jamais été aussi simple pour un enfant ou un adolescent de se connecter sur un site pornographique ou de visionner des vidéos et images de la sorte sur les réseaux sociaux. Il n’y a pas besoin de connaître les plateformes ou d’être initié par qui que ce soit : sur un moteur de recherche, vous tomberez sur des images pornographiques au bout de quelques clics. Les enfants se les partagent dans la cour de récréation, peuvent y être confrontés dès 9 ou 10 ans.

Si je parle de “barbarie moderne”, c’est parce que ces images sont souvent d’une violence inouïe : les businessmen du porno ont bien compris que les images les plus transgressives étaient celles qui marchaient le mieux, et vont toujours plus loin pour convaincre leur public de les acheter. On parle ainsi de vidéos qui mettent en scène le viol, le viol collectif, l’inceste, la zoophilie. De pratiques sexuelles très violentes, sans aucune notion de consentement. C’est ainsi que des adolescents ont pu me demander si les femmes aimaient ce genre de pratique, et quand je leur réponds qu’elles n’aiment pas ça, ils rétorquent : “Ce n’est pas vrai Monsieur, il faut voir le bruit qu’elles font quand elles le font”. C’est aussi comme ça que je me retrouve avec des jeunes filles dans mon cabinet qui me disent qu’elles ont vu un film porno avec “leur keum” durant le week-end, et qu’il a voulu faire tout ce qu’il y avait dans le film alors qu’elles ne le souhaitaient pas. Ou qui me demandent, angoissées : “Monsieur, est-ce que je dois le faire ?”.

Quel est le rôle des parents dans l’éducation de leurs enfants sur le sujet ?

Il est primordial, évidemment. Mais la plupart des adolescents ne vont pas confier à leurs parents ce qu’ils ont vu sur des sites pornographiques, ils les protègent. De même qu’ils ne parlent pas à leurs entourages des violences sexuelles qu’ils ont pu subir dans l’enfance ou dont ils ont entendu parler de la part de leurs camarades. Il y a une absence de dialogue sur ce qu’ils voient et ce qu’ils ressentent : le porno peut engendrer un choc, mais aussi une vraie excitation, accentuée par le sentiment d’interdit – trois sentiments qui favorisent d’ailleurs l’addiction.

Quand un adolescent consomme du porno trois heures par jour, il ne va pas se confier à ses parents sur le sujet, ni d’ailleurs à sa professeure de SVT. Ceux-ci font d’ailleurs très bien leur travail pour parler des infections sexuellement transmissibles ou de la reproduction, mais n’auront pas les réponses à ses questions bien plus profondes sur la sexualité. On n’aborde pas en SVT ou avec tous les parents les questions comme : “Qu’est-ce que l’orgasme ? Qu’est-ce que la virginité ?”. Elles sont pourtant nécessaires, qu’on le veuille ou non.

Dans un tel contexte, comment rétablir le dialogue à l’école sur ces questions ?

Déjà, je voudrais rappeler que les adolescents sont bien plus demandeurs qu’on ne le pense sur ces sujets. Parlez à un adolescent, vous verrez qu’il veut sincèrement savoir comment faire plaisir à une fille, ce que les femmes aiment ou pas, tout comme une adolescente se demandera comment plaire à un garçon. On est très loin des simples conseils sanitaires sur les IST, et l’école a pleinement son rôle sur ces sujets.

En revanche, vous ne pouvez pas informer des enfants et adolescents si vous êtes vous-mêmes mal à l’aise avec ces sujets ou dans votre propre sexualité : vous risquez de tomber du cheval à la première ruade du rodéo… Il y a donc une nécessité de formation, évidemment. Je le clame depuis 2001 : si nous avions commencé à former les professionnels dès cette époque, et que nous nous étions souciés de les recruter, nous n’en serions pas là aujourd’hui. Mais les cours d’information à la sexualité ont été bloqués dans les faits par les parents les plus religieux et conservateurs ou une certaine frange politique, comme c’est le cas aujourd’hui. Je le souligne encore une fois : c’est une faute. Il me semble que ce n’est pas les parents qui hurlent au scandale aujourd’hui qui éduqueront le mieux leurs enfants sur le sujet, avec les bons exemples et les bons mots. Idem pour ceux qui utilisent les théories de genre – qui, je le rappelle, ne sont pas dans le programme Evars – pour tenter de bloquer ce dernier.




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