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Afshon Ostovar : “Une victoire des rebelles en Syrie ne bénéficierait ni à Israël, ni aux pays voisins”

L’offensive est aussi soudaine qu’impressionnante : en une poignée de jours, les groupes armés syriens d’opposition et des djihadistes se sont emparé d’une partie conséquente du nord de la Syrie, laissant les troupes loyales à Bachar el-Assad en déroute. Après Alep, deuxième ville du pays tombée en trois jours, les rebelles ont saisi Hama le 5 décembre et fondent désormais sur Homs, plus au sud. L’objectif : couper la seule route entre la capitale Damas et la côte de la Méditerranée à l’ouest, laissant le régime syrien avec ses alliés russes et iraniens dispersés et sur le flanc.

Après le Hezbollah et le Hamas, l’Iran voit un nouvel allié majeur chanceler au Moyen-Orient. La chute de Bachar el-Assad serait aussi l’échec de treize ans d’investissements massifs de Téhéran pour soutenir à bout de bras le régime de Damas. Afshon Ostovar, professeur à la Naval Postgraduate School en Californie, vient de publier Wars of Ambition : The United States, Iran, and the Struggle for the Middle East (Oxford University Press, 2024), dans lequel il décortique la montée en puissance de l’influence iranienne au Moyen-Orient ces dernières années. Selon lui, la série de revers que vient de subir l’Iran met le régime en difficulté, mais Téhéran garde des atouts régionaux dans sa poche. Entretien.

L’Express : La chute d’Alep et l’offensive fulgurante des rebelles contre le régime syrien constituent-elles avant tout un revers majeur pour l’Iran ?

Afshon Ostovar : Il s’agit d’une défaite majeure de Téhéran. L’Iran et ses alliés avaient mis quatre ans à reconquérir Alep lorsqu’elle était tombée une première fois aux mains des rebelles. Et leur succès, à l’époque, avait surtout été permis par l’écrasante puissance aérienne russe.

Alep n’est pas indispensable aux intérêts fondamentaux de l’Iran, qui peut très bien vivre sans en garder le contrôle. Mais cette montée en puissance du mouvement rebelle menace les intérêts iraniens en Syrie, et la chute d’Alep constitue à la fois une preuve éclatante de la force des rebelles mais aussi un symbole de la faiblesse des fidèles au régime.

Ce succès de l’offensive rebelle en Syrie est-il lié aux pertes importantes subies par le Hezbollah, allié clef de l’Iran et du régime syrien, ces derniers mois ?

Il est trop tôt pour l’affirmer. Toutefois, je peux imaginer que le moment choisi par les rebelles pour agir ne doit rien au hasard. Que le Hezbollah et l’Iran se trouvent en difficulté et distraits par leur guerre contre Israël a certainement aidé les rebelles.

L’ensemble de “l’Axe de résistance” mis en place par l’Iran est-il en péril ?

Non, l’axe iranien reste fort. Les proxys de l’Iran en Irak et au Yémen, par exemple, peuvent opérer librement dans le cadre de leur État. Mais la présence iranienne au Levant – et donc sa capacité à menacer Israël depuis un pays limitrophe – risque clairement de se dégrader et de s’affaiblir encore davantage.

Comment le régime iranien va-t-il aider Bachar el-Assad ?

L’Iran se trouve dans une situation difficile parce que son conflit avec Israël ne cesse de prendre de l’ampleur et que Washington s’apprête à augmenter la pression sur Téhéran dès le retour du président Donald Trump à la Maison-Blanche. L’Iran ne peut donc pas juste transférer des forces en Syrie. Avec le Hezbollah en difficulté au Liban, l’Iran devrait se tourner vers ses proxys en Irak pour fournir le gros des troupes de renfort en Syrie.

Les Irakiens aussi veulent arrêter l’offensive des rebelles en Syrie car ils perçoivent leur avancée comme une menace pour leur propre sécurité nationale. Il est possible que l’Iran fournisse également des troupes et des armes à la Syrie, comme il le fait depuis des années, mais ces renforts seront limités par la menace israélienne et par les propres réticences iraniennes à perdre des hommes dans un pays étranger.

A quel point Bachar el-Assad est-il important pour Téhéran ?

Le régime Assad est vital pour les intérêts de l’Iran au Levant, notamment pour soutenir le Hezbollah au Liban mais aussi pour faire pression sur Israël.

Les autorités israéliennes ont-elles pour autant intérêt à la chute du régime de Bachar el-Assad ?

Israël a tout intérêt à ce que les différents acteurs qui se battent en Syrie soient le plus faibles possible et s’épuisent dans leur combat interne. Une victoire des rebelles en Syrie, menée par des djihadistes, ne bénéficierait toutefois ni à Israël ni à aucun pays voisin. A l’exception de la Turquie…

Photo prise dans la ville de Hama, prise par les troupes insurgées dans le centre de la Syrie, le 5 décembre 2024

Le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, évoque régulièrement l’émergence d’un “nouveau Moyen-Orient”, dans lequel Israël serait en paix avec ses voisins arabes et l’Iran serait moins influent. Ce scénario est-il réaliste ?

Oui, ce scénario est possible et peut-être même inévitable. Mais je pense que nous sommes encore très loin de l’émergence d’un nouvel ordre régional au Moyen-Orient.

Depuis la réélection de Donald Trump le 5 novembre, l’Iran laisse entendre qu’il serait prêt à reprendre la diplomatie avec l’Occident, notamment pour discuter de son programme nucléaire. Est-ce le signe d’un changement de politique régionale ?

C’est en effet un changement, même si je n’y vois pas un changement majeur de ligne politique. L’Iran a toujours été volontaire pour discuter de son programme nucléaire, mais le régime a en même temps toujours refusé de négocier sur tout autre sujet, en particulier sur son programme balistique et son soutien à ses proxys dans la région. Je ne vois aucun signe de la part de l’Iran laissant entendre qu’une négociation serait envisageable sur les sujets autres que le nucléaire, et encore moins de signes que des compromis seraient possibles.

Cela signifie-t-il que la prochaine administration Trump va reprendre sa campagne de “pression maximale” sur Téhéran ? Quel impact peut-elle avoir ?

Les premiers signes donnés par l’administration qui se met en place à Washington laissent penser que cette “pression maximale” va reprendre. Elle aura surtout pour effet de réduire les ventes de pétrole iranien à la Chine.

Quel sera l’objectif principal de Donald Trump au Moyen-Orient ?

De ne surtout pas se laisser entraîner dans une nouvelle guerre de grande ampleur.




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