Emmanuel Macron pipeaute. C’est, depuis longtemps, ce que murmurent, tantôt hilares tantôt hagards, ses conseillers et amis, tous ayant fait l’expérience de l’affection présidentielle pour les petits mensonges sans conséquences. Un SMS qu’il jure ne pas avoir envoyé, un propos qu’il assure ne pas avoir prononcé, untel qu’il certifie ne pas avoir rencontré… Un jour, l’un de ses intimes, pour le chatouiller, a osé formuler devant lui l’affreux mot de mythomanie. Protestations, ruades… Le chef de l’Etat a joué l’estomaqué : “Je ne mens jamais !”, comment ose-t-on ainsi le soupçonner ?
Si seulement il ne s’agissait aujourd’hui que d’un discret arrangement avec la vérité. Depuis le lundi 2 décembre et l’annonce du 49.3, jusqu’au jeudi 5 décembre et l’étonnante allocution télévisée, les interlocuteurs d’Emmanuel Macron ont, avec une touchante crédulité, songé que, pour de bon, ce dernier avait tiré les enseignements de ses erreurs de l’été. Finie l’attente sans cesse prolongée, les consultations politiques épisode 1, puis 2 : “J’irai très très vite, c’est impensable de faire autrement”, entonne-t-il dès le début de la semaine. Pour deux raisons, étaye-t-il, l’état des marchés financiers et “l’absolue nécessité d’efficacité politique”. Mercredi soir, quelques heures après la censure, le voici qui s’exalte auprès d’un de ses visiteurs : “Je nommerai un Premier ministre vendredi.” Connais-toi toi-même, aurait pu répliquer ce dernier mais les hommes changent après tout… Pourquoi pas le président ?
François Bayrou est prié d’y croire
Jeudi 5 décembre à 11h30, Michel Barnier quitte l’Elysée avec en tête la date de sa passation de pouvoir. Le président vient de lui faire une confidence : “Je nommerai un nouveau Premier ministre lundi.” A 13 heures, rare permanence de la pensée macronienne : “Je nommerai un nouveau Premier ministre lundi.” François Bayrou, installé à la table du chef de l’Etat, est prié d’y croire et sans doute le fait-il avec l’entrain modéré de celui qui, après la dissolution, observait pertinemment : “La tentation du président est toujours d’attendre.”
Emmanuel Macron ne trompe pas les autres, il se trompe sur lui-même. A mesure qu’il recule la date de nomination du futur locataire de Matignon, il piétine également la promesse faite à plusieurs de ses soutiens de ne pas se perdre dans des négociations qui l’entravent plus qu’elles ne le libèrent. “Je ne concerterai pas”, soutenait-il lundi. Son erreur a été de se croire. Et de ne pas anticiper que dès le jeudi à 21 heures, il prierait les présidents de groupes parlementaires de se rendre à l’Elysée dès le vendredi matin. “Il touille lui-même, il ne peut pas s’en empêcher”, soupire un proche, fatigué de constater chez l’intéressé l’absence de valeur de la parole donnée et certain de voir s’éterniser ses hésitations sur la nomination. Et de poursuivre, effaré : “A ce train-là, il va nous annoncer une sous-commission pour la semaine prochaine.” Pour justifier ce changement de pied, le chef de l’Etat, enivré, certifie : “J’ai fait bouger les lignes à droite cet été, je vais les faire bouger à gauche !”
Et préparer ainsi le terrain pour François Bayrou, son commensal du jeudi 5 décembre, sorti de leur déjeuner empli de “l’espérance” de s’installer à Matignon ? Ou pour Catherine Vautrin, plus que pressentie l’an dernier, ou encore Eric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts, dont il a cité les noms devant Gérard Larcher à l’heure du goûter ? Brouiller les pistes pour allonger le temps, ce temps pendant lequel les regards convergent vers lui. Incorrigible président qui préfère se contredire plutôt que s’effacer.
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