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Chute de Bachar el-Assad : le “boucher de Damas” parti, quel avenir pour la Syrie ? Par Omar Youssef Souleimane


C’est inattendu et pourtant cela était prévisible. Aucun dictateur ne reste indéfiniment au pouvoir, mais il est toujours difficile d’imaginer comment il le quittera. C’est le cas de Bachar el-Assad. Après quatorze années de souffrance et de cauchemar, la Syrie est enfin libérée de lui. C’était dans ce but que nous criions “Liberté” dans les rues de Damas en 2011. À l’époque, nous n’envisagions pas qu’il nous faudrait attendre toutes ces années, et que, en seulement dix jours, la Syrie se libérerait entièrement du “boucher de Damas”.

En 1986, l’étudiant Ali Hassan Ali a été arrêté sans aucune raison par les milices de Hafez el-Assad, le père de Bachar. Durant les dix années suivantes, sa famille a tout fait pour avoir de ses nouvelles, en vain. Ils ont ensuite fait le deuil de leur fils, persuadés qu’il avait disparu. Le 5 décembre 2024, Ali a été retrouvé dans la prison de Hama, une ville située dans le centre de la Syrie, tombée aux mains des rebelles opposés à Bachar el-Assad. Il a aujourd’hui 67 ans. Son histoire n’est qu’une parmi des dizaines de milliers d’autres, reflétant l’horreur de vivre en Syrie, un pays transformé en une grande geôle depuis l’arrivée au pouvoir de Hafez el-Assad en 1970. Nous avons grandi dans cet abattoir de l’humanité et de la justice. Nous avons été biberonnés aux photos de Hafez el-Assad affichées partout : dans les rues, dans les centres culturels, et sur nos cahiers d’école. C’était Hafez, le père, le frère, le fidèle, le héros, comme on devait l’appeler dans les années 1990. C’est en ces termes que la nouvelle génération aussi appelle son fils Bachar. Notre mémoire est imprégnée d’un héritage d’horreur et d’oppression.

Cette mémoire a besoin d’être libérée, tout comme le territoire syrien. La Syrie dépasse l’imagination d’Orwell dans 1984. Elle n’était pas seulement une prison pour ses habitants, mais également pour les exilés. Depuis que je m’y suis échappé en 2012, après avoir manifesté contre le régime, je n’arrive à contacter ma famille que par texto ou via des applications sécurisées. Les téléphones étaient surveillés, les murs avaient des oreilles. Voilà pourquoi les Syriens se sont révoltés en 2011. Le régime a répondu à cette révolution par un massacre sans précédent. Entre 2011 et 2022, plus de 500 000 Syriens ont été tués selon l’ONU, tandis que 6,9 millions ont été déplacés et 5,5 millions ont fui vers les pays voisins et l’Europe. La guerre a par ailleurs détruit 40 % des infrastructures du pays.

Pouvons-nous vraiment nous réjouir ?

Nous voilà aujourd’hui revenus en 2013, lorsque plus de 60 % de la Syrie avait été libérée de l’emprise d’Assad. Il était à deux doigts de tomber avant que les interventions iranienne et russe ne lui sauvent la peau. Aujourd’hui, l’histoire se répète, mais avec une ampleur encore plus importante. On recontacte des gens qu’on n’avait pas joints depuis cette époque, pour avoir de leurs nouvelles, pour savoir quoi faire, pour se féliciter et verser des larmes de joie, tout en se demandant : peut-on réellement se réjouir du départ du tyran, ou sera-ce le début d’un nouvel épisode de violences ?

Après la mort de Kadhafi en 2011, nous avions bon espoir qu’un changement pourrait conduire ce pays sur la voie du développement économique et démocratique. Riche en gaz et en pétrole, la Libye pouvait espérer un avenir meilleur après 42 ans sous le régime d’un dictateur psychopathe. Cela n’a pas été le cas. Le pays a rapidement plongé dans le chaos, des milices islamistes et des bandits ayant profité de l’absence de sécurité. L’exemple de la Tunisie, premier pays à connaître le printemps arabe, a inspiré d’autres pays de la région à se révolter, portés par une population éveillée. Après la révolution, c’était le seul pays arabe où les femmes avaient les mêmes droits que les hommes en matière d’héritage et où une femme musulmane pouvait se marier avec un homme d’une autre religion. Mais très vite, ce pays a connu un recul inquiétant de la liberté de la presse et de l’expression, la télévision publique étant devenue un outil de propagande au service du régime de Kaïs Saïed. Un véritable retour en arrière par rapport aux avancées démocratiques observées après 2011.

La situation en Syrie semble plus compliquée : il s’agit du dernier pays du printemps arabe à avoir dû attendre près de quatorze ans pour renverser le régime. Hayat Tahrir al-Sham (HTS), le principal groupe rebelle qui combat Assad, adopte une approche djihadiste et cherche à instaurer la loi islamique. Depuis 2015, le HTS contrôle Idlib, bastion de l’opposition dans le nord de la Syrie, où les civils subissent répression et persécutions. Après la prise d’Alep le 27 novembre dernier, ses chefs ont affirmé que “la Syrie est pour tous les Syriens”. Son dirigeant, Abou Mohammed al-Joulani, ancien combattant d’Al-Qaida, a déclaré vouloir faire de cette région un modèle d’institutions et de diversité. En revanche, sur de tels sujets, il convient de ne jamais faire confiance aux déclarations d’un islamiste. En effet, entendre un islamiste parler de diversité est aussi crédible que de voir un imam se déclarer athée. À la suite de la révolution islamique en Iran en 1979, les communistes du parti Tudeh ont soutenu Khomeiny uniquement parce qu’il a renversé le régime du Chah et qu’il se présentait comme anticapitaliste. Ces mêmes communistes ont été les premières victimes de Khomeiny. Les Syriens démocrates et laïques d’aujourd’hui ne doivent jamais répéter l’erreur des membres de Tudeh.

En janvier 2011, “Ben Ali Harab” (Ben Ali a fui) était sur toutes les lèvres au moment de célébrer la victoire historique des Tunisiens contre leur dictateur. Elle a inspiré les Syriens, deux mois plus tard. Au début de la révolution en 2011, nous scandions souvent : “Dégage !”, en direction de Bachar el-Assad. Puis : “Nous voulons choisir un nouveau président !”. Aujourd’hui, nous ne pouvons que nous réjouir de voir Assad poussé vers la sortie. Après 54 ans de tyrannie, la Syrie respire enfin. Nous pouvons désormais appeler nos mères sans avoir peur qu’elles soient importunées par un agent de cette mafia. Pour la première fois depuis 2011, nous pouvons dormir sans nous demander quand le régime va tomber. Mais cette joie est tempérée, car la Syrie tombe au même moment aux mains des djihadistes. Nous voilà en train de tourner la page de décennies de cauchemar, pour entamer un nouveau chapitre de résistance qui doit nous conduire à choisir notre propre destin. Et non pas à être dirigés par un nouveau système totalitaire.

* Ecrivain et poète né à Damas, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, a dû fuir la Syrie en 2012. Réfugié en France, il a publié chez Flammarion Le Petit Terroriste, Le Dernier Syrien, Une chambre en exil, et récemment Etre Français.




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