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Choix du Premier ministre : entre Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez, le soupçon permanent


Entre eux, quelque chose s’est abîmé. Un petit rien en politique : la confiance. Ce samedi 7 décembre, Laurent Wauquiez téléphone à Bruno Retailleau, au lendemain de son rendez-vous à l’Elysée avec une délégation d’élus Les Républicains (LR). Ce compte-rendu ne fera pas de mal au ministre de l’Intérieur. Il a été évincé de ce rendez-vous par le patron des députés La Droite républicaine (LR). Un coup de fil au secrétaire général de l’Elysée Alexis Kohler, une affaire vite réglée. A quel titre le Vendéen devait-il être présent, lui qui a abandonné la présidence du groupe LR au Sénat ? Qu’il serait malvenu d’y voir les prémices d’une guerre des chefs. Un simple respect des statuts, voilà tout. Bruno Retailleau déjeune avec Michel Barnier quand il l’apprend. Le porteur de mauvaises nouvelles s’appelle Jérôme Fournel, directeur de cabinet du Premier ministre démissionnaire.

Le débriefing laisse un goût d’inachevé au ministre, dont la relation avec Laurent Wauquiez s’est brutalement dégradée. Il souhaite que la droite participe au futur gouvernement, son interlocuteur est plus flou. Il s’interroge. Pourquoi donc Laurent Wauquiez n’appelle-t-il jamais à la nomination d’un Premier ministre issu des Républicains (LR) ? Bruno Retailleau suspecte son allié de préparer le retour de la droite dans l’opposition, afin d’incarner l’alternance en 2027. Et tant pis pour le sénateur, populaire locataire de Beauvau.

“Wauquiez louvoie beaucoup et se livre peu”

Voici Laurent Wauquiez à nouveau renvoyé à son image de manœuvrier, aussi fiable que le scorpion avec la grenouille. La petite musique monte, il faut l’éteindre. Laurent Wauquiez décide ce dimanche 8 décembre de clarifier sa doctrine stratégique auprès du Figaro. Et montre patte blanche. “Notre préférence ira évidemment à un Premier ministre issu des LR” ; “Je souhaite que Bruno Retailleau puisse continuer son action au ministère de l’Intérieur.” Le camp Wauquiez jure rappeler des évidences, celui de Bruno Retailleau vante une inflexion. En début de soirée, l’élu de Haute-Loire réunit ses députés lors d’une visioconférence pour leur détailler cet entretien. La députée de l’Aube Valérie Bazin-Malgras en profite pour chanter les louanges du maire de Troyes François Baroin, “dans les starting-block pour Matignon”.

Suffisant pour rétablir la concorde ? Il est permis d’en douter. Le poison du soupçon s’est immiscé dans les relations entre Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau. Deux ambitieux, mus par des intérêts contradictoires. Un ministre de l’Intérieur à l’ascension météorique, accroché à Beauvau. Un présidentiable terrifié à l’idée de se fondre dans le macronisme. A ces amis politiques, Bruno Retailleau a confié ce week-end sa déception sur son allié.

Laurent Wauquiez est du genre secret. Il écoute ses interlocuteurs, mais ne verbalise pas toujours ses intentions. “Quand il parle, il ne met pas de mot sur les choses. Il n’est pas trop dans l’analyse”, note un fidèle. “Il louvoie beaucoup et se livre peu”, note un récent confident. La droite est condamnée à faire l’exégèse de ses déclarations. Ce 5 décembre, le député explique sur France 2 que la participation de LR au prochain exécutif ne sera pas “automatique”, mais conditionnée au projet mis en œuvre. Il insiste surtout sur son refus du “blocage” et de la “stratégie du pire”.

Quoi de plus naturel ? LR étrille le vote de la censure par Marine Le Pen et met en scène sa “responsabilité”. A droite, de nombreuses voix décèlent dans cet engagement le souhait inavouable d’une coalition entre le bloc central et la gauche, à laquelle la droite resterait étrangère. L’opposition, cure de jouvence idéale ! “Wauquiez n’a pas d’hostilité personnelle envers Retailleau, mais c’est un caillou dans sa chaussure de seule figure à droite et dans son rêve de présenter une alternative à Edouard Philippe, note un cadre LR. Si on gouverne ensemble encore, plus rien ne justifierait une candidature Wauquiez en 2027.”

La suspicion gagne la droite. A l’issue du rendez-vous avec Emmanuel Macron, François-Xavier Bellamy échange avec Laurent Wauquiez du service après-vente de l’entretien. L’eurodéputé LR, proche de Bruno Retailleau, pose une exigence. La droite doit non seulement s’engager à censurer tout gouvernement comportant des ministres LFI, mais aussi un exécutif mettant en œuvre le programme du NFP. Laurent Wauquiez acquiesce.

Des contraintes différentes

Les procès d’intentions affleurent. Un député DR a mis en garde la Place Beauvau : “Il va vouloir récupérer l’Intérieur.” Autour de Laurent Wauquiez, on dément ces rumeurs avec la force de l’évidence. Si la droite n’est plus aux affaires, aucun des deux n’occupera le poste. Si elle gouverne, le délogement de Bruno Retailleau n’aurait aucun sens.

La mise au point officielle du député de Haute-Loire dans LeFigaro témoigne du climat ambiant. Après tout, Laurent Wauquiez avait mené une bataille en coulisses pour obtenir le poste en septembre. En vain. Le 19 septembre, le camp Wauquiez capitule. Il dévoile à la presse la liste des futurs ministres LR, avant l’annonce du gouvernement Barnier. Simple transparence, assure-t-on. Mais dévoiler le nom du conservateur Retailleau, n’est-ce pas l’exposer à une offensive macroniste ? Il y a de la jurisprudence Vautrin dans l’air… Un député LR sonde Bruno Retailleau : “C’est une erreur de débutant ou il y a autre chose derrière”, glisse le sénateur.

Wauquiez-Retailleau. Les deux hommes ont noué une relation cordiale, sans proximité affective. Bruno Retailleau loue les capacités intellectuelles de l’ancien ministre et a apprécié son retour dans l’arène aux législatives. Ils se rapprochent après la formation du gouvernement, déjeunent ensemble dès le 25 septembre. Et partagent un diner le 16 novembre, en compagnie de leurs épouses. Leurs trajectoires divergent. Le locataire de Beauvau s’épanouit dans ses fonctions. Les convictions sincères du Vendéen masquent mal une vive ambition. En 2021, il songeait déjà à se présenter à la primaire LR pour l’élection présidentielle, avant de jeter l’éponge. Des matinales radio en série n’avaient pas suffi à l’extraire de l’anonymat du Sénat. La lumière, enfin. Les manettes, pour une fois.

Laurent Wauquiez observe cette ascension avec ambivalence. Elle sert les intérêts de sa formation, mais fait émerger un potentiel rival. Les interlocuteurs du député décrivent un homme en concurrence avec le sénateur, mais respectueux de son œuvre. “Les résultats à Beauvau sont difficiles à obtenir, lui confie un jour Brice Hortefeux, ancien titulaire du poste. “Les Français peuvent lui créditer de vouloir”, rétorque-t-il. Le nouveau ministre sait faire de la politique. Ce vendredi 6 décembre, il dégaine en fin de matinée un tweet hostile à tout “compromis avec la gauche […] qui a pactisé avec les Insoumis”, juste avant la réception des socialistes par Emmanuel Macron. Il est urgent de fermer la porte à toute coalition avec la gauche. Le socle commun se suffit à lui-même, merci bien. Un dirigeant LR sourit : “On a l’impression que Retailleau est investi d’une mission divine pour sauver la France. Il n’est pas arrivé là par désintérêt.”

Au Vendéen, la liberté. A Laurent Wauquiez, le casse-tête chinois. L’ex-président de région peine à trouver sa place dans cet environnement politique mouvant. Sous coalition, sa fonction de président de groupe parlementaire est ingrate. Elle ne lui offre ni visibilité médiatique ni latitude idéologique. L’esprit de “responsabilité” le contraint à des concessions, comme cette hausse des impôts avalée à contrecœur. Michel Barnier l’a glissé un jour à un élu LR : “Cela serait plus simple pour Attal et Wauquiez si Cazeneuve était Premier ministre.” Dilemmes et contraintes travaillent le prétendant Elyséen. Faut-il entrer au gouvernement ? Plusieurs élus le lui conseillent. Lui reste évasif. “Tu ne penses pas qu’on sera alors héritier du bilan de Macron ?”, répond-il à l’un d’eux.

Faut-il partir dans l’opposition ? Laurent Wauquiez ne peut pas prendre cette décision seul. Les ministres LR ont pris goût aux responsabilités. La ministre de l’Agriculture Annie Genevard confie en privé son souhait de poursuivre l’aventure. Son homologue à la réussite scolaire Alexandre Portier juge que la droite doit être un “acteur” du prochain exécutif, sous conditions programmatiques. Les députés, plus divisés et aux sociologies électorales diverses, sont aussi sensibles à ce retour aux affaires. Tous ont noté les 16 % obtenus par leur candidat lors d’une élection législative partielle dans les Ardennes. Alors, il compose avec ces exigences, mais pose désormais des conditions de fond à toute participation au gouvernement. Il invoque une défense de l’ADN de la droite, des soutiens de Retailleau craignent l’irruption de lignes rouges infranchissables. Le poison du soupçon, encore.




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