Mardi 5 novembre, au petit matin, prison des femmes de Versailles. Une quinzaine de détenues de tout âge s’apprêtent à rencontrer Abdellah Taïa, l’auteur marocain du Bastion des larmes (Julliard), roman mettant en scène les six sœurs de l’auteur natif de Salé. Comme dans 44 autres établissements pénitentiaires, répartis dans toute la France métropolitaine et en outre-mer, elles se sont portées volontaires (ils sont 600 en cette 3e édition du Goncourt des détenus) pour juger des 16 romans de la première liste du jury de chez Drouant. Elles se présentent les unes après les autres. A l’une d’entre elles, d’origine algérienne, Abdellah rétorque, dans un grand sourire : “Moi, je suis l’ennemi d’à-côté”. Le ton est donné, gai, cordial.
Les questions fusent : “C’est vous le personnage de Youssef ?” “J’ai adoré vos sœurs, ce sont des drama queens. Ont-elles lu votre roman ?” “Avez-vous peur du regard homophobe de certains détenus ?” “Vous ne vous êtes pas perdu dans la structure du livre avec tous ces rêves ?” “Le livre a-t-il été une thérapie ?” “Finalement, l’écriture c’est un don de soi ?” Les interrogations sont cash, les réponses longues et sincères. Abdellah Taïa ne joue pas, on le sent ému et vraiment ravi d’être là. Il y va de ses confidences, de ses considérations (pour lui, tous les problèmes viennent du mariage, et notamment des hommes, qui continuent d’esclavagiser les femmes) et de ses conseils d’écriture : “Ne jamais abandonner, même si cela prend du temps de savoir comment commencer, c’est une question d’obstination, et, surtout, ne pas en parler autour de vous, l’écriture est un acte secret.” Soudain, au détour d’une phrase, “l’aveu” de ses lectrices d’un jour : “On vous a mis une bonne note.”
Verdict le 17 décembre
Jeudi 21 novembre, maison centrale de Poissy (réservée aux longues peines). Impressionné par le sérieux des Versaillaises et par la chaleur de leur groupe, on a voulu jauger celui des hommes qu’on imaginait, bêtement, moins bons lecteurs. Rien de tel. A l’ordre du jour de l’atelier de lecture, le vote de leur tiercé gagnant et la feuille de route des deux délégués pour les délibérations régionales se tenant la semaine suivante. Deux délégués composant un duo hétéroclite amusant (dont on ne connaît pas les actes incriminés, comme pour tous les condamnés jurés) avec, d’un côté, un homme des plus smart du type professeur d’université, et de l’autre, un costaud en débardeur aux bras tatoués. Sept des 17 participants réguliers n’ont pas lu tous les ouvrages, mais contrairement à d’autres jurés de prix littéraires, ils ne font pas semblant, eux.
Qualité de l’écriture, émotions transmises, enrichissement… les arguments échangés témoignent du consciencieux de leur exercice. In fine, trois noms sortent du chapeau : Sandrine Collette (leur grande favorite), pour Madelaine avant l’aube, publié par Lattès, Gaël Faye, l’auteur de Jacaranda (Grasset) et Olivier Norek, qui signe Les Guerriers de l’hiver chez Michel Lafon. Verdict national le 17 décembre au Centre national du Livre à Paris, initiateur avec le ministère de la Justice (sous le patronage de l’Académie Goncourt) de ce projet qui entend “valoriser la capacité critique des détenus tout en leur faisant découvrir des œuvres littéraires”. Mission réussie, semble-t-il. Et une belle concurrence à venir pour les jeunes jurés du Goncourt des lycéens.
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