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Michel Barnier, ses doutes, ses regrets : de Marine Le Pen à Emmanuel Macron, les coulisses d’une désillusion


Il n’est plus tout à fait Premier ministre, alors pourquoi ne pas goûter, juste un moment, à une vie de chef d’Etat ? Samedi soir, à Notre-Dame, Michel Barnier badine avec Donald Trump sur leur âge respectif : 73 ans pour le premier, 78 pour le second. La jeunesse, disait Jules Romains, c’est le temps que l’on a devant soi.

Lundi, le Premier ministre démissionnaire reçoit un ancien président français pour un rendez-vous privé convenu de longue date. François Hollande et lui s’entendent bien, se tutoient. Il n’empêche, ce n’est pas tous les jours que l’on déjeune avec l’un de ses bourreaux – le Corrézien fait partie des 331 députés à avoir voté la censure mercredi 4 décembre. Les deux hommes s’expliquent sur les deux reproches qui auraient provoqué la fin. Michel Barnier n’est pas de gauche, or le NFP réclame depuis la première heure que l’un des siens soit à la tête du gouvernement. Là-dessus, rien à dire, il est des évidences peu contestables.

C’est le second point qui se révèle politiquement le plus crucial : le Premier ministre aurait été “adoubé” par le Rassemblement national. Voilà un mot qui le fait bondir. Adoubé ? Non, toléré. Certes, il sait qu’Emmanuel Macron, avant de le nommer, a vérifié auprès de Marine Le Pen qu’il ne serait pas immédiatement renversé, mais c’est tout. Michel Barnier ne veut pas tomber du côté de l’extrême droite. Marine Le Pen est pourtant le personnage principal de sa chute. Lui l’a reçue, a donné pour consigne aux ministres de faire de même, a transmis le message qu’elle serait accueillie à Matignon si elle le demandait, ce qu’elle s’est gardée de faire – il n’a pas échappé au Premier ministre qu’à l’Elysée en ce moment, ce n’était pas vraiment la même démarche. Depuis le Brexit, l’ancien négociateur considère qu’il faut parler à ceux qui se vivent comme victimes du système, au risque de ne jamais les réattirer.

La frustration d’avoir manqué de temps

Michel Barnier a relu ces derniers jours les déclarations de la présidente du groupe RN à l’Assemblée depuis le début, ses lignes rouges d’octobre – l’immigration, la proportionnelle, le pouvoir d’achat des plus faibles -, ses variations des derniers jours – comme quand elle se met à évoquer au téléphone les cartes vitales biométriques, alors qu’elle n’a jamais cité le sujet lors de la réunion trois jours plus tôt – pour se convaincre de deux choses : le durcissement des jours fatidiques ne concernait que peu les objets budgétaires, il était politique – Jordan Bardella citait devant un interlocuteur de Matignon les autres pays européens où jouer le jeu n’a pas porté chance aux populistes – et judiciaire – le changement de ton dans les tweets de Marine Le Pen depuis les réquisitions au procès des assistants parlementaires a frappé l’entourage du chef du gouvernement.

Il est venu le temps des cathédrales, croyait-il, espérait-il. Michel Barnier aurait rêvé d’être un bâtisseur, il devra se contenter d’avoir essuyé les plâtres. La frustration d’avoir manqué de temps, la conviction d’avoir fait progresser l’esprit commun au sein d’un socle qui jusqu’alors avait passé ses années à se combattre plus qu’à collaborer. Gabriel Attal demandait la semaine dernière à Marc Fesneau comment améliorer les choses quand surgirait le prochain hôte de Matignon. “Arrêter d’emmerder les Premiers ministres qui arrivent peut-être…”, avait suggéré le centriste.

Car les difficultés de Michel Barnier sont d’abord venues du camp qui était censé être le sien. Qui ne l’était d’ailleurs pas tout à fait : sans doute avec Edouard Philippe a-t-il pu échanger sur le sentiment d’être un intrus quand on vient de LR et qu’on se retrouve face à des macronistes qui ont pris l’habitude, depuis 2017, de considérer que le pouvoir leur appartient.

Michel Barnier connaissait peu Gabriel Attal et les députés EPR, il aurait fallu plus de temps pour être moins surpris. Michel Barnier connaissait bien Laurent Wauquiez, et c’est sans doute pour cela qu’il n’a pas été étonné. Pas étonné que le président du groupe LR à l’Assemblée s’invite sans le prévenir à un 20H de TF1 pour s’attribuer un succès sur la revalorisation des retraites ; qu’il rédige un communiqué de victoire, encore, sur le renoncement aux sept heures de travail gratuites par an, alors que le Premier ministre lui avait indiqué qu’il déclarerait à la télévision, quelques heures plus tard, son hostilité à la mesure. Ce n’est pas avec l’expérience qui est la sienne que Michel Barnier va découvrir l’importance des agendas personnels dans la vie politique, n’est-ce pas ?

Désaccords avec Emmanuel Macron

Michel Barnier croyait aussi connaître Emmanuel Macron. A Bruxelles, il avait souvent travaillé avec lui secrétaire général adjoint de l’Elysée, puis lui ministre, puis lui chef de l’Etat. Mais partager une même et sincère conviction européenne ne fait pas tout avec un président qui a encore plus de facettes qu’il n’a eu de casquettes. Un président pas forcément mécontent aujourd’hui de s’être débarrassé de ce Premier ministre à la gâchette fiscale trop facile. Qu’on ne vienne pas dire à Michel Barnier que le chef de l’Etat lui avait conseillé une autre méthode… En bilatéral puis, à trois jours de la formation du gouvernement, à la mi-septembre, avec tous les membres du socle commun, lors de la préparation de la déclaration de politique générale ensuite, et même pour le budget, sorte de programme à court terme, il a parlé du fond, réclamé des propositions, et constaté, surtout, l’étendue des désaccords.

Il ne s’en est jamais caché : il n’a pas cherché à devenir chef de la majorité, parce que personne ne le reconnaissait comme tel et qu’il n’y avait pas de majorité – ce qui fait certes deux bonnes raisons, mais aussi deux points de faiblesses. Il se défend d’avoir remis en cause la politique de l’offre, d’avoir réduit le soutien aux entreprises, il a seulement réduit la pente d’augmentation des allègements de charges. Mais il a toujours cru, avant même d’arriver à Matignon, à la nécessité d’œuvrer pour une meilleure justice fiscale, maillon faible à ses yeux de la politique économique menée par Emmanuel Macron depuis 2017.

Méthodique, sérieux : on ne refait pas un Savoyard. Aujourd’hui plus personne ne parle du déficit, qui file vers les 7% si on n’y prend garde, plus personne ne parle de la dette – sur ces sujets, à l’Elysée ou au Parlement, il s’est senti bien seul. Il pensait être là pour deux ans et demi, pouvoir réformer le pays en profondeur une fois le cap du budget passé. Il était tellement heureux d’arriver enfin là où il ne croyait plus arriver, comme la juste récompense d’une vie consacrée aux affaires publiques. “La réparation d’une erreur de l’histoire”, observait, plus piquant, Gabriel Attal. Michel Barnier sait que, sauf retournement imprévu, donc improbable, la suite s’écrira sans lui. Si la censure d’un autre se révèle plus dure à obtenir, au moins se consolera-t-il en ayant fait oeuvre utile.




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