A l’heure où la Ve République semble avoir épuisé ses charmes monarchiques et devoir rejoindre le rang des démocraties parlementaires soumises aux premiers assauts de la guerre totale et comme toujours ultime lancée par le fascisme cryptocommuniste de la Russie éternelle, voici que, lundi 16 décembre, la maison de ventes Artcurial disperse à l’encan, telles ses cendres autobiographiques, un quantum de manuscrits du général de Gaulle. 360 lots contenant lettres, billets, cahiers, brouillons, cartes postales, livres reliés, annotés, carnets de poche, ponctués de quelques rares objets, insignes et médailles, montres et étuis à cigarettes, et surtout un train électrique offert par Nikita Khrouchtchev aux petits-enfants du Général, qui montre la bassesse bolchevique de ce régime d’espions qui ne perd jamais une occasion d’user de vils procédés pour tenter de pervertir les enfants.

Mais, veillant au grain, un soldat de plomb, officier de cavalerie dans son veston bleu clair, usé, ses jambes en culotte garance épousant l’absence de son cheval. L’objet a été trouvé dans une enveloppe sur laquelle l’amiral Philippe de Gaulle, le fils de Charles, avait écrit au crayon : “Petit soldat de plomb ayant appartenu à mon Père (sic) enfant.” Estimation : 300-400 euros. Le fils du Général avait hérité de la collection de figurines d’étain de son père et de ses frères, collection qui comptait pas moins de 1 800 pièces, et avec lesquelles les quatre frangins se livraient des batailles épiques pour finalement récupérer l’Alsace et la Lorraine. L’essentiel n’est pas là, mais dans les textes.

L’Histoire, ce sont des mots et une chronologie, que l’ordre des lots offerts à la vente respecte rigoureusement. Ainsi, le premier manuscrit autographe du jeune Charles de Gaulle, c’est le lot 5 : “Campagne d’Allemagne”. Il date de 1905, de Gaulle a 14 ans, sur 53 pages d’un petit carnet in-12, l’adolescent imagine qu’en 1930 “l’Europe irritée du mauvais vouloir et des insouciances du gouvernement [déclare] la guerre à la France”. Il raconte comment le général de Gaulle, mis à la tête de 200 000 hommes et de 518 canons, savait qu’il jouait “la partie décisive, car c’est sous les yeux de Metz que l’Europe entière attach[ait] ses regards”. Bataille décisive inachevée, soit que Charles fut appelé à table ça va être froid, soit il a eu l’intuition qu’il suffit d’imaginer une chose pour que cette chose n’arrive jamais, et donc ne pas contrarier l’avenir. Ce bijou est estimé entre 10 000 et 15 000 euros. Heureusement que je ne les ai pas.

“Un grand malheur”

Je pourrais à la limite me rabattre sur le livret scolaire 1902-1907, estimé entre 1 500 et 2 000 euros, mais bon, la litanie des prix d’excellence et des dithyrambes de ses professeurs, ça va, on a les mêmes dans la famille, du côté de mon grand-père Gosset. Ce que je n’ai pas, c’est une lettre d’amour filial comme celle du lot suivant, estimé entre 3 000 et 4 000 euros, dans laquelle, à 17 ans, Charles confesse “un grand malheur” : il a été 12e en composition de mathématiques ! Et ça pour une équation du premier degré à deux inconnues qu’il connaissait très bien. Se traitant de maladroit, il signe sa lettre “Votre fils respectueux et affectionné Charles de Gaulle”. On n’a pas ça dans la famille.

Je passe sur les 346 lots suivants, qui offrent chacun matière à sensations, pour en arriver à ce qui est la curiosité inattendue de cette vente. Un ensemble de feuillets annotés au crayon répertoriant les statistiques de ses réussites : une petite croix pour chaque tentative réalisée, surmontée d’un rond pour les réussies. Après une surprenante série de 10 réussites consécutives, il marque son enthousiasme de cinq points d’exclamation. Ces signes cabalistiques constituent à coup sûr les derniers écrits du Général, victime, comme on le sait, d’une rupture d’anévrisme en faisant une réussite. Et là, si ça ne dépasse pas l’estimation annoncée (600-800 euros), ça devient abordable.

Christophe Donner, écrivain