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Grandes écoles : “La question de la mixité sociale fait partie des grands défis à relever”


Le 15 janvier débutent les inscriptions sur Parcoursup, enjeu majeur pour les lycéens et source d’inquiétude pour les parents. Difficile, en effet, d’être sûr de son orientation quand l’enseignement supérieur propose plus de… 23 000 formations. Et cela d’autant plus que les métiers de demain restent encore largement inconnus, a fortiori à l’heure de l’intelligence artificielle. Selon les experts, trois métiers sur cinq devraient voir au moins 30 % de leurs activités automatisées sous son influence d’ici à 2030… Notre grand entretien avec Laurent Champaney, le président de la conférence des grandes écoles.

L’Express : Quelles sont les particularités des grandes écoles et quelle est leur vocation ?

Laurent Champaney : Toutes les grandes écoles ont en commun de proposer des programmes à bac + 5 et de former de futurs cadres. Elles sont calquées sur le modèle de l’entreprise, dans le sens où elles opèrent une sélection à l’entrée, sont de taille assez petite et jouent la carte de l’identité et des valeurs communes. Toutes répondent à des critères très stricts comme l’ouverture à l’international, l’accent mis sur la recherche ou encore les relations entretenues avec les entreprises. Le rôle de la Conférence des grandes écoles, qui regroupe 245 d’entre elles, est de les aider à réfléchir ensemble à la meilleure façon d’accompagner leurs élèves afin que ces derniers soient aptes à répondre aux défis auxquels le monde économique devra faire face comme la numérisation ou la transition environnementale.

Les enjeux sociétaux sont aussi très importants. Si je prends la question du handicap, par exemple, nous avons à relever un double défi : veiller à insérer au mieux les étudiants directement concernés, mais aussi les former tous à recruter, plus tard, des managers et des collaborateurs en situation de handicap. Au-delà de la question de la qualité de la formation, qui est bien sûr centrale, nous portons une grande attention à la vie étudiante, au vivre-ensemble, aux questions de harcèlement, de discriminations, de violences sexistes et sexuelles…

Les classes préparatoires, portes d’entrée classiques des grandes écoles, ont tendance à effrayer bon nombre d’élèves. A juste titre ?

Il existe un décalage entre l’image publique de ces classes prépa et la réalité. Etonnamment, beaucoup de nos diplômés, quand on les interroge sur le sujet, nous disent que ce sont leurs plus belles années d’études ! On en parle souvent comme d’une étape ultraconcurrentielle qui nécessite d’écraser les autres pour réussir alors que, finalement, il y a de la place pour tout le monde.

L’autocensure peut constituer un énorme frein à la mixité sociale

La classe prépa offre de nombreux avantages ; elle reste notamment la voie la plus rapide pour décrocher un beau diplôme en cinq ans. Cela ne veut pas dire que ce dispositif, qui nécessite de s’engager vraiment et d’adhérer au principe du concours, est adapté à tout le monde. Seuls 50 % des diplômés des grandes écoles sont d’ailleurs issus de ces classes prépa. Certains préfèrent passer par la case Bachelor, qui présente l’intérêt d’être un peu plus ouvert sur le monde économique et, parfois, sur l’international.

Même si des efforts ont été réalisés pour y remédier, les grandes écoles sont encore perçues comme étant très élitistes. Comment parvenir à une plus grande mixité sociale ?

Oui, la question de la mixité sociale fait partie des grands défis à relever et l’une des questions qui se posent est celle du financement des études. Si la plupart des grandes écoles sont publiques ou d’intérêt général, certaines ne sont quasiment pas subventionnées par l’Etat et ont des frais de scolarité importants. D’autres peuvent être aussi très éloignées géographiquement du lieu d’origine des étudiants, ce qui a un impact sur le logement. Pour les aider à supporter ces coûts, certains établissements proposent des systèmes de bourses ou font varier leurs tarifs selon les revenus des parents.

Le recours à l’apprentissage va aussi dans le sens d’une plus grande ouverture sociale. Nous comptons aujourd’hui près de 80 000 apprentis et 25 % d’entre eux, lorsqu’on les interroge à la sortie, disent qu’ils n’auraient pas pu faire ce type d’études sans passer par cette voie. Malheureusement, la part prise en charge par l’Etat est en baisse constante et l’on a aujourd’hui l’impression de naviguer un peu à vue. Nous craignons que certaines écoles, pour qui les alternants représentent la moitié des effectifs, voient à terme leur modèle remis en cause.

La question de l’orientation est également cruciale. Il n’est pas rare que, dans certains établissements scolaires, des élèves n’aient jamais entendu parler de Sciences Po ou d’HEC. Comment y remédier ?

Il est certain qu’il nous reste un gros effort de communication à réaliser, notamment à destination des jeunes issus des milieux les moins favorisés. S’il nous est difficile d’être partout et de nous rendre dans tous les collèges et lycées de France, nous pouvons nous appuyer sur certaines initiatives comme Les Cordées de la réussite. Un dispositif qui permet de mettre en relation des lycéens avec des jeunes de grandes écoles afin de créer une émulation et leur donner confiance en eux et en leurs capacités. On se rend compte que l’autocensure peut constituer un énorme frein, en particulier pour beaucoup de jeunes filles qui renoncent à tenter les écoles d’ingénieurs sous prétexte que “ce n’est pas pour elles”. Or on sait à quel point le recrutement de nouveaux élèves dans ces établissements est crucial pour répondre aux besoins de réindustrialisation du pays et aux enjeux de transition écologique.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous nous sommes élevés contre certaines dispositions un temps envisagées dans le cadre de la loi immigration, l’année dernière. A l’heure où nous souffrons d’un manque criant de diplômés dans bon nombre de secteurs, vouloir réduire le nombre d’étudiants étrangers en France, qui plus est dans nos grandes écoles, est une erreur.

L’enseignement supérieur fait parfois les frais d’abus de la part de certains établissements privés à but lucratif. N’est-il pas urgent de réguler ce secteur ?

Le privé lucratif est effectivement un secteur en pleine explosion. Parmi les nouveaux établissements qui se créent, certains jouent sur le terme “grande école” pour tenter de faire illusion quant à la qualité de leur formation… alors qu’elles n’ont rien à voir avec ce que nous proposons ! Ces entités, pour séduire les familles, mettent en avant le fait qu’elles ne sont pas dans Parcoursup et paraissent donc plus faciles d’accès ; font croire que l’acquisition de compétences l’emporte sur l’obtention d’un diplôme ou promettent à tort une insertion professionnelle rapide à l’issue de leurs formations. Plus gênant encore, elles se retranchent derrière la carte de l’apprentissage pour bénéficier de fonds publics alors que l’offre qu’elles proposent est totalement inadéquate. Réguler l’offre des formations privées à but lucratif fait donc partie des urgences du moment.




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