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Si je souhaite revenir en Syrie, c’est en tant que Français, par Omar Youssef Souleimane


Le lendemain de la fuite de Bachar el-Assad, partout en Europe, on a commencé à évoquer le sujet de l’immigration. Faut-il craindre un flux de migrants envahissant l’Europe pour échapper aux islamistes ? Les migrants vont-ils au contraire revenir en Syrie avec la fin de la guerre civile ? Le groupe islamiste Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) va-t-il doper des migrations djihadistes ? Ou ces craintes sont-elles exagérées alors que la Syrie s’est libérée d’une tyrannie qui a duré plus d’un demi-siècle ?

En 2012, j’ai dû quitter mon pays natal pour fuir le régime d’Assad. J’ai demandé l’asile politique en France, ignorant sa langue et sa culture. J’ai eu besoin de plusieurs années pour m’intégrer dans le pays de Voltaire. Petit à petit, j’ai découvert que j’étais déjà Français avant même de venir en France : la laïcité, l’appartenance aux Lumières, l’engagement pour la démocratie étaient les principes pour lesquels nous nous sommes sacrifiés en Syrie. J’ai été un Français sans papiers jusqu’en 2022, année où j’ai obtenu la nationalité. Cela m’a permis de découvrir, pour la première fois de ma vie, la valeur d’être un vrai citoyen, avec des devoirs et des droits. Je n’aurais jamais imaginé que, deux ans plus tard, mon pays d’origine se débarrasserait de la dictature. Aujourd’hui, le joug du boucher Assad n’existe plus. Pour moi, c’est l’heure du retour. Mais qui va revenir en Syrie : le citoyen français ayant créé une nouvelle vie à Paris, ou le Syrien avec sa mémoire torturée ?

Chaque migrant a son histoire

Les 30 000 réfugiés syriens qui séjournent en France depuis 2011, année du début de la guerre, ont chacun une histoire différente. Certains sont arrivés enfants, et aujourd’hui, ils sont étudiants, salariés, ou même chefs d’entreprise. Ils parlent la langue d’Éluard mieux que l’arabe. D’autres sont restés dans leur bulle et n’ont pas pu s’intégrer dans ce pays. Il y a aussi ceux qui sont séparés des valeurs de la République et de sa civilité. C’est également le cas du plus de 1,2 million de réfugiés syriens partout en Europe : chacun a son histoire, ses traumatismes et ses idées politiques. Il est absurde de les mettre tous dans le même sac. Plus de la moitié d’entre eux vivent en Allemagne.

La Syrie les attend pour participer à sa reconstruction. Mais il n’est pas simple de tout quitter après s’être fait une nouvelle vie ici. Surtout que la situation en Syrie est extrêmement préoccupante. La crise économique et les conséquences de la guerre ont eu un impact dévastateur sur la population. Avec plus de 90 % des Syriens vivant dans la pauvreté, il est crucial que la communauté internationale, y compris l’Europe, s’engage à fournir une aide humanitaire et à soutenir la reconstruction du pays. Chaque effort compte pour aider les familles syriennes à se relever et à reconstruire leur vie après tant de souffrances. Or, en France, la droite évoque déjà la nécessité du retour des Syriens, tout en soulignant le danger que représente l’installation d’un Etat islamiste en Syrie.

Dans l’Hexagone, il y a 700 demandeurs d’asile syriens dont les dossiers ne sont pas encore réglés. Au lieu de remettre en question leur requête, comme l’a réclamé Marine Le Pen au lendemain de la chute d’Assad, il serait plus utile de s’engager dans une véritable lutte contre les menaces islamiques venant de là-bas. Actuellement, il y a plus de 70 djihadistes français présents en Syrie, dont certains ont participé aux derniers combats contre Assad. Il est urgent pour la France de créer un barrage contre leur retour, tout en évitant l’émergence d’un climat islamiste en Syrie, qui pourrait devenir le berceau d’un nouveau djihad international. Cela pourrait également entraîner une nouvelle vague de migration massive vers l’Europe. Pour y parvenir, il faut soutenir les démocrates syriens, qui défendent une vision différente de la Syrie, éloignée de celle d’Assad comme de l’islam politique. Surtout que la France a un lien historique avec cette Syrie qui remonte aux années 1920, à l’époque du mandat durant lequel un modèle démocratie partiel a été appliqué. La première constitution syrienne a été adoptée en 1928 par une Assemblée constituante élue.

Des vrais Français d’origine syrienne

Dès l’annonce de la chute du régime d’Assad, des milliers de Syriens sont revenus depuis la Turquie, le Liban et la Jordanie. Les aéroports de Damas et d’Alep ouvriront leurs portes aux vols internationaux à partir du 15 janvier. En suivant les Syriens en Europe sur les réseaux sociaux, on peut constater leur impatience de rentrer. Les ambassades syriennes en Europe ont annoncé le renouvellement des passeports. Pour la première fois depuis cinquante-quatre ans, ces Syriens peuvent s’y rendre et effectuer les démarches administratives sans craindre d’être agressés ou d’être sur la liste noire du régime des Assad. Certains font part du refus d’un retour par peur de l’instauration d’un Etat islamique ou d’une insécurité persistante. Dans tous les cas, il est essentiel de traiter les migrants syriens d’une façon individuelle, sans faire d’amalgame.

En France, il n’y a pas seulement des réfugiés syriens, mais aussi des vrais Français, avec ou sans papiers, d’origine syrienne. J’en fais partie. J’ai adopté la France qui m’a adopté, et si je souhaite revenir en Syrie, c’est aussi parce que je suis citoyen français. Ce n’est pas pour y revivre, mais pour rétablir une mémoire chargée d’atrocités, pour revoir ma mère, et surtout parce que je m’identifie à la France universaliste, engagée dans les droits de l’homme. Ce citoyen, qui refuse que les islamistes s’installent dans son pays d’adoption, ne les laissera pas non plus récupérer son pays d’origine. Pour lui, il n’est pas possible de vivre librement ici si la liberté n’est pas non plus respectée au Proche-Orient. L’intégrisme ne reconnaît pas les frontières ; pourquoi la liberté devrait-elle être limitée ?

* Ecrivain et poète né à Damas, Omar Youssef Souleimane a participé aux manifestations contre le régime de Bachar el-Assad, mais, traqué par les services secrets, a dû fuir la Syrie en 2012. Réfugié en France, il a publié chez Flammarion Le Petit Terroriste, Le Dernier Syrien, Une chambre en exil, et récemment Etre Français.




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