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Une réserve de bitcoins aux Etats-Unis ? “Ce serait comme parier contre le dollar”


Peu d’observateurs lui auraient prédit une telle ascension. Début décembre, le prix d’un bitcoin, une cryptomonnaie créée en 2008 par le dénommé Satoshi Nakamoto, a dépassé le cap symbolique des 100 000 dollars. Un homme n’est pas étranger à cette situation : Donald Trump. Le nouveau président des États-Unis a reçu de nombreuses marques de soutien, notamment financières, de l’écosystème tout au long de sa campagne. Ses promesses fiscales et d’allègements régulatoires ont séduit les entrepreneurs du milieu. Sa victoire, comme celle de centaines de candidats pro-crypto au Congrès, a coïncidé avec une explosion du cours du bitcoin, gagnant plus de 50 % en quelques jours. Le secteur espère désormais que Donald Trump acceptera de créer une “réserve stratégique” de bitcoins. Est-ce crédible ? Entretien avec l’économiste Éric Monnet, directeur d’études à la Paris School of Economics (PSE) et à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), auteur de plusieurs ouvrages sur les banques centrales.

L’Express : La communauté bitcoin espère que Donald Trump acceptera de créer une “réserve stratégique” de cette cryptomonnaie dont la valeur a récemment dépassé les 100 000 dollars l’unité. Est-ce envisageable ?

Éric Monnet : J’ai des doutes. D’une part, je vois mal la Banque centrale américaine, la Fed, prendre une décision aussi risquée à propos d’un actif au cours si volatil. Le bitcoin, à l’image des marchés boursiers, réagit fortement à des évènements politiques, comme la récente élection de Donald Trump. L’augmentation de son prix est une bonne nouvelle financière… pour ceux qui en disposaient déjà. Mais pour un État, lier ses finances à long terme à un actif dont la valeur va dépendre de scrutins électoraux, ou des investissements ou retraits de “baleines” (grands investisseurs) pouvant facilement influer sur son cours, est extrêmement risqué.

Aux États-Unis, il existe certes le fonds de stabilisation des changes, dépendant du Trésor, qui peut acheter des réserves étrangères en plus de la Fed. Si l’objectif est bien d’acquérir de plus en plus de bitcoins [NDLR : c’est le sens d’une proposition de loi de la sénatrice du Wyoming, Cynthia Lummis, prévoyant l’acquisition d’un 1 million de bitcoins au cours des cinq prochaines années], Donald Trump pourrait agir plus directement par cet organe. Mais cela romprait avec toutes les traditions de ce fonds et plus largement de toutes les institutions qui ont des réserves dans le monde et qui souhaitent avoir des actifs plus sûrs, comme de l’or, souvent utilisé comme tel dans l’histoire, ou surtout du dollar. C’est ici que ce choix apparaît le plus paradoxal. La constitution d’une réserve stratégique sert à garantir la confiance dans sa propre monnaie. Or, il n’est pas nécessaire que les États-Unis achètent des bitcoins pour garantir la confiance dans le dollar : il s’agit déjà de la devise dominante dans le monde. Ce serait, donc, en quelque sorte, comme parier contre sa propre monnaie…

Quels sont les risques associés à la création de cette réserve, avec un tel actif ?

Avec une réserve monétaire classique, les États-Unis devraient logiquement s’engager à maintenir le cours du dollar par rapport au bitcoin. Si le prix du bitcoin baisse, ce qui arrive régulièrement, il serait nécessaire que la Fed s’engage à acheter encore plus de bitcoins pour maintenir la valeur de cette réserve. C’est pour ça que l’opération est difficilement imaginable. Qui accepterait les pertes affiliées ? Qui plus est, pourquoi les Etats-Unis assumeraient eux-mêmes de maintenir le cours mondial du bitcoin ? Et même si les Etats-Unis accumulent des bitcoins sans lui donner une valeur monétaire (comme certains pays le font avec l’or aujourd’hui), ils enverraient un signal contradictoire au monde sur la valeur du dollar. Donald Trump a récemment menacé l’alliance “Brics + ” de pays émergents de leur imposer des droits de douane prohibitifs s’ils affaiblissaient le dollar en soutenant une autre monnaie. Si les États-Unis eux-mêmes deviennent des acheteurs de bitcoin, ils ne pourraient pas reprocher aux Brésiliens ou aux Indiens de s’en procurer également… et donc d’affaiblir la valeur du dollar.

Le bitcoin a souvent été comparé à de “l’or numérique”, comme s’il était promis à devenir une réserve de valeur. Est-ce que le parallèle est toujours justifié ?

C’est un actif rare, car limité à 21 millions d’exemplaires et qui n’appartient à aucun État. Ce sont les seules comparaisons avec l’or valables à mon sens, pour le moment. Ce qui a entériné le statut si particulier de l’or dans l’histoire de la monnaie, c’est l’engagement de nombreux États à avoir un taux de change officiel en or. Ce n’est pas le cas du bitcoin. Et depuis les années 1970, l’or n’a plus de valeur monétaire même si certaines banques centrales continuent à en acheter ou en détenir ; il est uniquement utilisé comme réserve. Alors, il n’est pas impossible que le bitcoin arrive un jour à une valeur très haute et stable et que, sans intervention particulière des États, le bitcoin acquière un rôle d’actif de réserve comme l’or aujourd’hui. Il faudrait toutefois que les pays considèrent que son cours ne va jamais baisser. On en est loin. Enfin, comme pour l’or de nos jours, cela n’impliquerait pas qu’il ait une valeur monétaire reconnue par les Etats et qu’il soit utilisé comme moyen de paiement.

Il faut néanmoins reconnaître que le bitcoin n’a pas d’équivalent dans l’histoire. Il n’est pas facile de le comparer à de plus vieux actifs, car il est caractéristique de notre époque. Il a nécessité un certain avancement de la technologie et il évolue dans un monde très financiarisé. Souvent, les monnaies deviennent progressivement des actifs financiers, après s’être établies comme des monnaies stables. Le dollar est la monnaie la plus financiarisée. Le bitcoin l’est déjà, alors même qu’il n’offre pas les mêmes gages de stabilité, et demeure très peu utilisé pour des échanges.

Il n’est pas nécessaire que les États-Unis achètent des bitcoins pour garantir la confiance dans le dollar

On a aujourd’hui le sentiment que le bitcoin et l’explosion de son cours sont encore très mal compris par les économistes.

Les économistes, en vérité, s’intéressent traditionnellement peu à la question des systèmes de paiements. Et beaucoup d’économistes n’ont pas compris au début la révolution que pouvaient entraîner le bitcoin et les cryptomonnaies dans ce domaine. Mais il est vrai que l’on manque d’informations à son sujet et notamment sur qui en détient et comment il est utilisé. L’augmentation du cours suscite encore un certain nombre d’interrogations : y a-t-il de plus en plus de petits nouveaux entrants, qui en achètent un petit peu ? Ou est-ce plutôt le fait de gros acteurs qui ont déjà énormément de bitcoins, comme MicroStrategy, et qui l’utilisent comme levier afin de lever des fonds ? Ou peut-être est-ce l’engouement du secteur financier traditionnel, qui lance des produits à plus long terme ? Les éléments d’analyse habituels pour expliquer un taux de change ne fonctionnent pas en ce qui concerne le cours du bitcoin en dollar. Pas simple, non plus, d’essayer de l’étudier comme une action ou d’un actif. Le bitcoin ne procure pas de dividende ou d’intérêt. Pour le moment, une explication simple est l’anticipation de gains futurs. Beaucoup espèrent en récolter du fait de l’adéquation politique de bitcoin, par nature anti-système, avec la nouvelle administration Trump.

Si le projet de réserve ne se concrétise pas, comment Donald Trump peut-il malgré tout utiliser les cryptos à son avantage ?

Dans son programme, Donald Trump entend garder un dollar très fort. Et dans le même temps, il veut à tout prix dynamiser l’industrie crypto. La solution pourrait se trouver dans les stablecoins [NDLR : des cryptomonnaies au cours stable] adossés au dollar. L’avantage, avec cet instrument, c’est qu’il ne menace pas la valeur du billet vert, et il conserve le soutien d’une partie de la communauté crypto, en tout cas, ceux qui s’intéressent surtout à la technologie et aux profits potentiels plutôt qu’à l’idéologie anti-Etat des cryptomonnaies. C’est cohérent, enfin, avec son souhait de ne pas créer de monnaie numérique de banque centrale (CBDC). Cela mettrait également une pression à de nombreux autres pays, notamment en Europe, sur la question de l’acceptation de ces stablecoins en dollars.

Reste une question de confiance. L’entrain politique ne peut pas, à lui seul, permettre la démocratisation des cryptomonnaies…

Leur utilisation comme moyen de paiement passera par la régulation. En particulier pour les stablecoins, qui ne disposent pas tous du même niveau de collatéral, soit l’équivalent en devises auquel ils sont adossés. Mais visiblement, il y a une vraie demande mondiale croissante de transfert d’argent international, passant majoritairement par des entreprises comme Western Union, que les stablecoins peuvent satisfaire. En outre, la crypto a du sens dans les pays où les banques ne sont pas du tout fiables.

Dans les pays occidentaux, la situation est différente. La confiance dans les banques est forte. C’est pourquoi elles ont le quasi-monopole sur les transactions monétaires depuis quelques décennies. Mais beaucoup oublient que ce n’est pas inéluctable. Historiquement, les populations ont souvent eu plusieurs formes de monnaies, de pièces. Encore aujourd’hui, nous cohabitons avec des monnaies espèces, émises par la Banque centrale, et de la monnaie de banque, présente sur notre compte bancaire et que l’on utilise via notre carte de paiement. Un stablecoin peut s’ajouter aux choix disponibles, et les consommateurs jongleront avec ces formes de paiement selon l’acceptation où ils se trouvent, la praticité, la rapidité… Il est fort possible, aussi, que les banques traditionnelles essayent d’intégrer ces cryptomonnaies à leurs services actuels.

Quid du bitcoin, dans ce cas ?

Difficile de prédire si le bitcoin, dans 10 ou 20 ans, apparaîtra comme une vieillerie, un pionnier dépassé, ou si le secteur crypto va se développer sur le bitcoin car il resterait sa monnaie de réserve. Pour le moment il l’est. Les grands investisseurs crypto actuels ont souvent été des acquéreurs de bitcoin au tout début. Ils ont donc un intérêt à en maintenir le cours.




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