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François Bayrou et Bruno Retailleau, l’histoire d’un rapport de force


L’élastique se tend, personne n’a envie qu’il craque. Ce mercredi 18 décembre, Bruno Retailleau se rend à l’hôtel de Matignon pour échanger avec François Bayrou. Le maire de Pau a convoqué le ministre de l’Intérieur la veille, lors de son retour de Mayotte. Les deux hommes, aux histoires politiques distinctes, se connaissent peu. Un grain de sable peut enrayer leur duo embryonnaire : le poison du doute. Le locataire de Beauvau nourrit des interrogations sur les intentions du chef du gouvernement. Le doctrinaire Retailleau avait les coudées franches sous Michel Barnier. Aura-t-il la même liberté idéologique sous l’autorité du centriste ? Autant se parler.

Bruno Retailleau ne vient pas à Matignon les mains vides. Elles sont pleines… de lignes rouges. Il les a énumérées quelques minutes avant sur BFMTV. “Je ne pourrai rester au gouvernement que si je suis en mesure […] de restaurer l’autorité, la fermeté et l’ordre public, aussi bien dans nos rues qu’à nos frontières.” Le Vendéen se défend de tout sectarisme, mais insiste sur son refus de “se trahir”. “Je ne suis pas un mercenaire. Je ne suis pas prêt à vendre mes idées à n’importe quel prix”, lance-t-il.

Entretien encourageant

Comme lors de son arrivée à Beauvau, il puise la légitimité dans cette “majorité nationale”, qu’il juge en phase avec ses orientations. L’intransigeance se couvre de vernis démocratique. Ce qui est plutôt bienvenu quand on porte les couleurs d’un parti tombé à moins de 5 % lors de l’élection présidentielle. A Matignon, Bruno Retailleau prolonge son propos télévisé. Il égrène une série de revendications, allant d’une réforme de l’Aide médicale d’Etat (AME) au rétablissement du délit de séjour irrégulier. Sans oublier la prolongation de la durée maximale en centre de rétention administrative pour certains clandestins comme une modification de la circulaire Valls. Son hôte prend note. Bruno Retailleau fait un encourageant compte rendu de l’échange à Laurent Wauquiez. Avec un message optimiste : il n’a pas senti de veto du Béarnais à ses doléances programmatiques.

Il y a du brouillard dans l’air. Ce vendredi 13 décembre, le soleil est encore radieux. Bruno Retailleau est reçu à Matignon, quelques heures après la nomination de François Bayrou. Il ressort satisfait de l’entretien. “Bayrou lui a déroulé le tapis rouge”, sourit un élu proche du Vendéen. La suite est plus trouble. Le ministre de l’Intérieur est dépêché dimanche 15 décembre à Mayotte, ravagée par l’ouragan Chido. Loin des yeux, loin du cœur ? Une petite musique monte en métropole. La gauche, stratégique pour la survie de François Bayrou, lance une offensive contre le ministre de l’Intérieur. Eric Ciotti exhorte Bruno Retailleau à ne pas abandonner sa loi immigration, signe d’un “chantage politique”.

“Personne n’est emballé par l’histoire”

L’accusation de trahison n’est pas loin. Surtout, l’entretien lundi 17 décembre entre François Bayrou et les présidents de groupes parlementaires LR est une déception. Le lendemain, le patron des députés Droite républicaine (DR) Laurent Wauquiez dépeint devant ses troupes le “flou” du Béarnais, notamment sur les sujets migratoires. Le trouble gagne les députés DR, aggravé par les débuts chaotiques de François Bayrou. Monter sur le Titanic ? Au moins le mythique paquebot avait fière allure avant de frapper l’iceberg. Et qu’importe l’envie des ministres LR de rester à bord. “On entend parler du socialiste Philippe Brun à l’Economie, s’étonne un député DR. Comprenez qu’on a besoin d’en savoir plus.” “Personne n’est emballé par cette histoire”, ajoute un autre. Surtout quand son conteur est un centriste honni, qualifié de “mou” ou “traître” en interne.

Voilà Bruno Retailleau gêné aux entournures. Ce mardi 17 décembre, il échange au téléphone avec Laurent Wauquiez depuis Mayotte. Le patron des députés DR perçoit ses interrogations. Le ministre ne veut pas être empêché. Et surtout pas être instrumentalisé par le nouveau Premier ministre, en acceptant d’être reconduit contre l’avis de ses troupes. “On ne peut pas comprendre Bruno Retailleau sans cette notion de collectif. Il ne se voit pas une seconde seul au gouvernement, débauché contre son parti, glisse un lieutenant. C’est mieux si la droite suit avant.”

Bruno Retailleau a le sens du collectif. De ses intérêts, aussi. Le 6 décembre, il dégainait un tweet hostile à tout “compromis avec la gauche […] qui a pactisé avec les Insoumis”, juste avant la réception des socialistes par Emmanuel Macron. Il se saisit à nouveau de son téléphone le 17 décembre pour mettre sur la table la question migratoire à Mayotte, ravagée par le cyclone Chido. Indignation garantie. Les socialistes y décèlent une offensive contre tout rapprochement de François Bayrou avec la gauche. Etre un épouvantail peut procurer quelques avantages. “Il ne veut pas être handicapé par un accord de non-censure, avec le sentiment d’être prisonnier de la gauche, juge en privé le Premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure. Il veut un gouvernement Barnier et empêche de toper avec la gauche.”

“Je veux que la ligne soit clarifiée”

L’entretien sur BFMTV ce mercredi parachève l’offensive. La veille, Bruno Retailleau a dîné avec des sénateurs LR. A ces parlementaires, il rappelle son équation. Il souhaite poursuivre ses fonctions, mais pas à tout prix. “On est dans un bras de fer. Les enchères montent, assure un interlocuteur récent. Il partira si François Bayrou entend le transformer en Christophe Castaner.” Un député DR y va de son conseil auprès du cabinet du ministre : “Demandez des garanties fortes.” A un proche, Bruno Retailleau confiait en substance mardi soir : “Je veux que la ligne soit clarifiée.” La conviction se marie aux intérêts du ministre. Pourquoi se bâtir une image d’homme d’idées et la détruire pour un si précaire bail gouvernemental ?

La négociation est un rapport de force. Autour de Bruno Retailleau, on est sûr de son jeu. La popularité du locataire de Beauvau est un bouclier solide. Son statut d’homme fort de la droite en fait la clé de voute d’une participation de LR au prochain gouvernement. Sans le Vendéen, le socle commun se trouverait amputé de 47 députés et de la majorité sénatoriale. Gouverner avec un socle parlementaire plus réduit que Michel Barnier n’est pas vraiment l’ambition de François Bayrou. “Il ferait un gouvernement avec Attal et Ferrand ?”, sourit un dirigeant LR.

Sans Retailleau, point de LR. La réciproque est-elle vraie ? L’homme peut-il embarquer sa famille sur sa seule volonté ? Les analyses se contredisent. Ici, on le juge capable d’emporter les siens sous son drapeau. Sa rigueur doctrinale serait l’antidote aux soupçons d’échappées individuelles. Là, on insiste sur la réticence des députés DR à soutenir une coalition aussi précaire qu’éloignée de leurs convictions. Bruno Retailleau est pour l’heure déterminé à ne pas la jouer en solitaire. La droite n’a pas besoin d’un casse-tête de plus.




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