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Alexandre Benalla et le mystérieux contrat russe : enquête sur ses liens avec les oligarques


Journalistes, élus, conseillers, diplomates… Ils ont tous fréquenté assidument l’Elysée. Leur autre point commun ? Ils étaient des espions du Kremlin. Le KGB et ses successeurs ont recruté ces “taupes” en misant sur l’idéologie, l’égo, parfois la compromission, souvent l’argent. Ils devaient rapporter tout ce qu’ils voyaient. Dans les grandes occasions, on les missionnait pour intoxiquer le “Château”. Révélations sur la pénétration russe au sein du pouvoir français, jusqu’à la présidence de la République, depuis le général de Gaulle jusqu’à Emmanuel Macron.

EPISODE 1 – Les espions russes au cœur de l’Elysée, nos révélations : comment la DGSI protège les présidents

EPISODE 2 – “André”, l’espion du KGB au journal “Le Monde” : les derniers secrets d’un agent insaisissable

EPISODE 3 – Un espion du KGB aux côtés du général de Gaulle ? Enquête sur l’affaire Pierre Maillard

EPISODE 4 – Un agent du KGB à l’Assemblée : nos révélations sur Jacques Bouchacourt, alias “Nym”

EPISODE 5 – Pierre Sudreau, le ministre très proche du KGB : ces documents inédits qui en disent long

EPISODE 6 – Journaliste à l’AFP et taupe du KGB sans le savoir : l’incroyable affaire Jean-Marie Pelou

EPISODE 7 – Un “espion relais” entre la Mitterrandie et l’URSS ? Les mille vies du “colonel” Harris Puisais

EPISODE 8 – Alexandre Orlov, le diplomate devenu agent d’influence de Vladimir Poutine en France

L’affaire semble remonter à des temps immémoriaux. Emmanuel Macron était bien président de la République, mais il n’y avait eu ni Covid, ni gilets jaunes, ni surtout la vidéo d’un de ses collaborateurs violentant un manifestant le 1er mai 2018 place de la Contrescarpe, à Paris. “Nous vivons un momentum, un moment de changement”, jubilait le fondateur d’En Marche ! sur Twitter, quelques jours après des élections législatives triomphales. Personne ne connaît alors son nom, mais un jeune homme barbu l’accompagne partout. A 26 ans, Alexandre Benalla n’a pas son identité publiée au Journal officiel, comme c’est l’usage, mais il occupe le poste d’adjoint au chef de cabinet à l’Elysée. Plus atypique encore, il participe à plusieurs réunions sur la réorganisation de la sécurité du président de la République, avec les plus hauts gradés, le préfet Patrick Strzoda, directeur de cabinet à l’Elysée, le général Eric Bio Farina, commandant militaire du palais présidentiel et le général Lionel Lavergne, chef du Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR). Avec les deux derniers, le chef de cabinet adjoint signe même un rapport sur le sujet.

Sept ans plus tard, une enquête préliminaire est toujours en cours au Parquet national financier (PNF). Elle vise Alexandre Benalla pour des délits de corruption, de trafic d’influence, de blanchiment de fraude fiscale aggravé et d’abus de biens sociaux, pour lesquels il a été mis en garde à vue en décembre 2021. Car entre-temps, la justice a découvert les deux contrats auxquels il a été mêlé avec deux oligarques russes, Iskander Makhmudov et Farkhad Akhmedov.

Le premier contrat a été passé alors même que le chef de cabinet adjoint officiait toujours à l’Elysée et était habilité au secret-défense. Quant au second, il est noué dans cette période trouble où Alexandre Benalla n’est plus collaborateur du président de la République mais dispose encore d’un passeport diplomatique et d’un passeport de service. Il échange toujours avec certains amis restés auprès d’Emmanuel Macron et se réclame de leur proximité. D’après un rapport de synthèse de la Brigade de répression de la délinquance économique (BRDE), 941 000 euros en tout ont été versés à Alexandre Benalla, ses associés et prestataires pour les deux contrats.

Des liens commerciaux avec le gratin de l’oligarchie russe

Les magistrats successifs du PNF chargés de l’affaire n’ont pas l’habilitation secret-défense ; l’enquête ne s’est jamais dirigée directement vers le monde de l’espionnage. Ces soupçons restent effleurés. Ils rappellent de vieux souvenirs : dans les années 1950 et 1960, les officiers du KGB avaient profité de leur relation d’affaires avec François Saar-Demichel, businessman français et baron du gaullisme, pour le recruter comme agent soviétique, sous le nom de code de “NN”.

Les investigations ont en revanche mis en pleine lumière le clair-obscur du microcosme des intermédiaires, des relations discrètes entre la France et la Russie, loin des ambassades. Avec cette constatation : Alexandre Benalla avait noué des liens commerciaux avec le gratin de l’oligarchie russe. Dans son rapport d’enquête du 20 février 2019, la commission des Lois du Sénat tonne : “Il ne fait nul doute que les relations entretenues avec un oligarque russe par un collaborateur de l’Elysée directement impliqué dans la sécurité de la présidence de la République et d’un réserviste du commandement militaire du palais de l’Elysée exerçant une responsabilité d’encadrement seraient de nature, en raison de la dépendance financière qu’elles impliquent, à affecter la sécurité du chef de l’Etat et, au-delà, les intérêts de notre pays.” Que se serait-il passé si Alexandre Benalla était resté quatre, cinq, six ans à l’Elysée ?

Le premier acte de l’affaire se serait noué au Maroc. Selon l’entourage de Jean-Louis Haguenauer, un homme d’affaires ayant fait fortune en Russie, ce dernier “croise” Alexandre Benalla “dans un café à Marrakech, avec des amis”. Nous sommes “dans la période entre l’élection de Macron et son investiture”. Le garde du corps n’est pas encore conseiller présidentiel, mais il s’apprête à le devenir. Dans son livre, Ce qu’ils ne veulent pas que je dise (Plon), Alexandre Benalla a proposé une chronologie différente. Il a expliqué être “souvent allé” visiter la fondation d’art de Haguenauer à Marrakech, ouverte en 2009, et avoir alors “fait connaissance” avec ce collectionneur. “Depuis, nous nous voyons de temps en temps. Jean-Louis connaît mon activité, mon parcours et les échanges avec lui sont toujours amicaux”, relate Benalla.

L’ombre d’Iskander Makhmudov

Jean-Louis Haguenauer pourrait servir de modèle à un personnage de roman. Voix rocailleuse, yeux verts perçants, ce natif du Vaucluse s’est installé à Moscou à l’époque de l’URSS et s’est enrichi sous Elstine. L’homme, aujourd’hui âgé de 74 ans, est parfaitement russophone, ses enfants ont la nationalité russe. Businessman spécialisé dans l’import-export, il a noué de nombreuses relations au sein de la sphère politico-sécuritaire poutinienne, au point d’être ami, son entourage nous l’a confirmé, avec Vladimir Pronichev, n° 2 du FSB, le renseignement intérieur russe, de 2003 à 2013, comme l’avait révélé Mediapart en 2019. Parmi moult casquettes, Haguenauer a un temps prêté de l’argent au Français Jean-Michel Cosnuau, qui tient le KM19, un club moscovite situé en face du siège du FSB, où les agents secrets viennent se divertir. En 2015, la police moscovite fait fermer la boîte de nuit, Cosnuau est accusé de proxénétisme.

En parallèle, Jean-Louis Haguenauer joue “l’ouvreur de portes” pour des entreprises françaises désireuses de s’implanter en Russie. Il s’est ainsi lié à Martin Bouygues ou Olivier Dassault. En 1991, il a aussi touché 375 000 dollars en provenance de l’Olympique de Marseille, afin de corrompre de joueurs du Spartak Moscou, adversaires de l’OM en Ligue des champions de football, affirmera Jean-Pierre Bernès, alors bras droit de Bernard Tapie, devant le juge d’instruction. En 1998, la cour d’appel d’Aix-en-Provence condamnera Haguenauer à dix mois de prison avec sursis et 100 000 francs d’amende.

Après la rencontre de Marrakech et peu avant l’été 2017, Jean-Louis Haguenauer, alors “de passage à Paris”, comme il le dira aux enquêteurs, croise de nouveau Alexandre Benalla, cette fois “au Peninsula”, un palace du XVIe arrondissement de Paris. La rencontre aurait été “brève”, le conseiller présidentiel laisse sa carte de visite. Selon l’intermédiaire, c’est à l’été 2017 que le chef de la sécurité d’Iskander Makhmudov, un oligarque leader mondial du cuivre, aux nombreuses propriétés en France, le sollicite. Il lui demande de lui conseiller des prestataires pour la protection de l’homme d’affaires, dont la fortune est estimée à environ 6 milliards d’euros.

Un contrat signé avec un ex-sénateur russe

C’est en septembre 2017 que Haguenauer contacte le jeune collaborateur d’Emmanuel Macron. Puis, au dernier trimestre 2017, une rencontre se déroule au Collectionneur, un autre hôtel cinq étoiles, avec Vincent Crase, chargé de la sécurité à La République en marche et réserviste à la Garde républicaine de l’Elysée, ainsi qu’un collaborateur de ce dernier. Un nouveau rendez-vous a lieu en mars 2018. Le contrat avec Iskander Makhmudov est, lui, signé le 6 juin 2018 pour un montant de 980 000 euros avec la société Mars de Vincent Crase, dont Alexandre Benalla est considéré comme “l’animateur de fait” par les enquêteurs. Cette entreprise n’ayant pas l’agrément nécessaire pour exercer une mission de sécurité, elle sous-traite les prestations à un groupe réputé du secteur, Velours, mais conserve 122 000 euros d’une première tranche de versement. “Je peux vous affirmer que je n’ai jamais contribué à une quelconque négociation, conclusion, et que je n’ai jamais été intéressé au moindre contrat que M. Crase a pu passer avec qui que ce soit, et encore moins avec cette personne”, à savoir Iskander Makhmudov, a pourtant affirmé Alexandre Benalla devant le Sénat, en janvier 2019.

Un peu plus d’un mois plus tard, le conseiller de l’Elysée devient célèbre. Le Monde révèle qu’il a agressé un manifestant le 1er mai 2018. Après quelques jours, il est licencié. Mais il continue d’échanger avec au moins un conseiller de l’Elysée, Ludovic Chaker, écrira Mediapart. La relation contractuelle avec Makhmudov se poursuit néanmoins. Une nouvelle convention du même montant est signée entre l’oligarque et France Close Protection, une autre société créée spécifiquement à cette fin. Le frère d’Alexandre Benalla figure dans les statuts. Une tranche de 294 000 euros est versée.

Le 2 décembre 2018, un autre contrat pour un montant de 5,6 millions d’euros est signé avec Farkhad Akhmedov, ex-sénateur de Russie unie, le parti de Vladimir Poutine, entre 2004 et 2010. La fortune de cet oligarque du gaz est estimée à 1,5 milliard de dollars. Il s’agit d’obtenir la levée de l’immobilisation d’un yacht aux Emirats arabes unis. Suit un versement de 353 000 euros sur un compte ouvert par Alexandre Benalla dans la banque en ligne Revolut. “Un contrat qui présente toutes les caractéristiques d’une pièce apocryphe”, c’est-à-dire d’un faux, cingleront les enquêteurs dans leur rapport de synthèse. En clair, les policiers suspectent que le contrat est postérieur au versement de l’argent. Fin décembre 2018, de nouvelles révélations sur le passeport diplomatique de Benalla, qu’il n’a jamais rendu, marquent la fin de ses bonnes relations avec l’Elysée.

Benalla crée une société d’intelligence économique

Depuis les débuts de l’enquête, Alexandra Benalla évoque des soupçons sans fondement et des prestations bel et bien effectuées. “Bizarrerie, ce n’est pas un article du Code pénal”, dit-il devant ses amis. Il a depuis fondé la société d’intelligence économique Comya, installée en Suisse, où il revendique sept salariés et une cinquantaine de collaborateurs, notamment en Afrique.

Iskander Makhmudov et Farkhad Akhmedov, eux, répètent qu’ils ne sont pas particulièrement proches du Kremlin. Le second a obtenu d’être retiré de la liste des personnes sanctionnées par le Conseil de l’Union européenne au titre de leur aide au régime de Poutine, le 29 mai 2024.

En 2016, Mevlut Cavusoglu, ministre des Affaires étrangères turc, saluait tout de même le rôle d’Akhmedov dans la relation bilatérale Turquie-Russie, en le qualifiant d’”ami proche” de Vladimir Poutine”, en “contact étroit” avec la présidence russe. En 2018, les deux oligarques ont été placés sur une liste du Trésor américain comme des personnalités influentes en Russie, susceptibles d’être sanctionnées en représailles des ingérences du Kremlin dans l’élection américaine. Selon nos informations, le Parquet national financier est encore loin d’avoir bouclé ses investigations, de nombreuses demandes de coopération internationale n’ayant pas encore reçu de réponse.




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