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Gaz russe : “La fin du contrat de transport via l’Ukraine nous plonge dans l’incertitude”


C’est une échéance importante pour L’Europe. A la fois d’un point de vue politique mais aussi économique. L’accord de transit entre Gazprom et Naftogaz, qui alimentait en gaz l’Union européenne depuis la Russie via l’Ukraine, prend fin le 1er janvier 2025. A quelques jours de l’événement, il est difficile de savoir si une solution alternative sera trouvée ou si l’approvisionnement russe s’interrompra. Cette situation entraînerait-elle une nouvelle flambée des prix du gaz ? La Commission se dit “préparée à des scénarios sévères et notamment un arrêt total des importations russes”. Pour analyser les conséquences possibles pour l’Europe, L’Express s’est tourné vers Didier Holleaux, ancien président d’Eurogas et dirigeant du groupe Engie, auteur de La vraie histoire du gaz (Le cherche midi). Selon l’expert, le risque d’interruption du gazoduc est “gérable”, mais pas sans douleur.

L’Express : A quel point l’Europe reste-t-elle dépendante du gaz russe ?

Didier Holleaux : Avant la guerre en Ukraine, l’Europe importait 155 milliards de mètres cubes de gaz depuis la Russie. Cela représentait en gros 40 % de ses approvisionnements. Depuis les ajustements opérés à partir de 2022, le rythme des livraisons oscille aux alentours de 50 milliards de mètres cubes par an. Nous avons donc réduit notre dépendance de plus des deux tiers. Et dans ce qui provient encore de Russie, la moitié chemine par bateau (GNL), l’autre moitié passe par des gazoducs installés en Ukraine (25 %) ou en Turquie (25 %).

Quels sont les différents scénarios possibles à partir du 1er janvier ?

A quelques jours de l’événement, il est toujours difficile de prévoir ce qui va se passer. L’Ukraine ne souhaite pas renouveler le contrat. Elle voudrait apparemment qu’un autre pays prenne le relais et gère les livraisons de gaz directement avec la Russie. Ce serait plus simple pour Kiev d’un point de vue politique. Mais les candidats ne semblent pas se bousculer au portillon. Du côté russe, il est toujours aussi difficile de lire les intentions de Vladimir Poutine. Moscou voudrait sans doute continuer ses livraisons vers l’Europe. Au-delà des ressources financières en jeu, cela lui permettrait d’approvisionner les pays amicaux comme la Hongrie. Mais encore faut-il négocier avec l’Europe et l’Ukraine. Or ce n’est pas ce que nous observons.

On peut quand même écarter quelques scénarios. Par exemple, le flux de gaz russe traversant la Turquie ne devrait pas être interrompu. Les deux pays ont trop besoin l’un de l’autre. L’idée de transporter à travers l’Ukraine du gaz de l’Azerbaïdjan – au lieu de la Russie – ne semble pas non plus pouvoir se matérialiser, à la fois pour des raisons techniques et politiques.

En tenant compte de tous ces éléments, nous avons un vrai risque d’interruption du flux passant par le territoire ukrainien le 1er janvier. Notons toutefois que l’Europe ne dépend plus de la Russie qu’à hauteur de 17 % pour ses approvisionnements en gaz, GNL compris. Nous sommes donc dans une zone où une telle interdépendance est gérable. Ce n’était pas le cas en 2022.

Qu’entendez-vous par “gérable” ?

Il faut distinguer deux niveaux de difficulté. Tout d’abord, le risque d’interruption physique. Compte tenu des stocks disponibles et des possibilités de livraison par la mer, les spécialistes estiment que le réseau européen de gaz continuera de fonctionner. Mais il faut tenir compte d’un autre paramètre important : celui des prix. Si l’interruption du gaz russe se matérialise, il y aura des tensions sur les marchés. Et même s’il s’agit d’un phénomène temporaire, celui-ci interviendrait au mauvais moment : nos industriels payent déjà un prix du gaz 5 à 6 fois supérieur à celui de leurs concurrents américains. C’est extrêmement destructeur.

Quel serait le pire scénario ?

Celui dans lequel nous avons en même temps l’interruption du transport de gaz en Ukraine, et une vague de froid dans tout l’hémisphère nord. On pourrait même imaginer quelques incidents techniques exacerbant les tensions ici ou là. Il faut bien avoir en tête que les 100 milliards de mètres cubes de gaz russe qui ne sont plus produits manquent dans le marché mondial. Ils ne seront pas complètement compensés avant 2027 par des nouvelles productions de GNL aux Etats-Unis, au Qatar, au Mozambique ou ailleurs en Afrique. Selon toute vraisemblance, le marché du gaz restera tendu pour les deux ou trois ans qui viennent. Donc, si vous enlevez encore le flux en Ukraine, soit environ 13 milliards de mètres cubes par an, les prix vont grimper. A moins d’un hiver très doux et d’une demande chinoise atone.

Certains observateurs pointent une augmentation des livraisons de GNL russe en Europe ces derniers mois. Comment l’expliquez-vous ?

Effectivement, il y a un peu plus de GNL russe qui reste en Europe. Mais il faut y voir le reflet de considérations techniques plutôt qu’un désir inavoué de l’Europe de commercer avec la Russie. Les cargaisons de GNL sont détenues, pour la plupart d’entre elles, par des grands groupes comme Total, Shell ou ExxonMobil. Ces derniers possèdent un très gros portefeuille de clients et optimisent leurs sources au quotidien. Ces derniers mois, le GNL américain ne peut plus passer facilement par le canal de Panama pour rejoindre l’Asie. Donc le GNL américain a tendance à se focaliser sur l’Europe et à laisser aux Qataris et à d’autres le soin d’approvisionner l’extrême orient. En raison de contraintes géographiques similaires (restrictions au trafic en mer Rouge vers l’Asie), le GNL russe est davantage présent en Europe depuis quelques mois. Encore une fois, cela ne reflète pas une volonté européenne de continuer d’utiliser le gaz russe.

L’Europe a-t-elle fait une erreur en laissant autant de place au GNL américain ?

Rappelons tout d’abord qu’elle n’avait pas vraiment le choix. Quand il manque 100 milliards de mètres cubes sur un marché mondial, on se tourne en priorité vers les solutions disponibles. Mais il est clair qu’il n’est pas souhaitable d’être trop dépendant du marché américain, en dépassant par exemple 20 à 25 % des approvisionnements. D’abord pour des raisons politiques : en avril dernier, l’administration Biden a décidé d’imposer un moratoire sur la construction de nouvelles infrastructures de GNL aux Etats-Unis. Et demain ? L’Europe pourrait très bien être victime d’un embargo sur les exportations de GNL. Les Etats-Unis ont pratiqué cette politique pour le pétrole pendant 40 ans entre 1976 et 2016. Ils considéraient que c’était dans leur intérêt de garder le pétrole à l’intérieur de leurs frontières pour faire baisser les prix. Si demain, les industriels américains parviennent à convaincre Donald Trump qu’il faut agir de la sorte avec le GNL, nous aurons des difficultés.

Le deuxième risque porte sur le respect des contrats. Alors que nombre d’acteurs dans le monde de l’énergie respectent le plus fidèlement possible les conditions de ces documents même en temps de guerre, ce n’est pas toujours le cas du côté de certaines entreprises américaines. N’oublions pas que le gaz peut aussi être un levier géopolitique !




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