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Nos révélations sur ces espions russes parvenus au coeur de l’Elysée : “La menace numéro un, c’est…”


Journalistes, élus, conseillers, diplomates… Ils ont tous fréquenté assidument l’Elysée. Leur autre point commun ? Ils étaient des espions du Kremlin. Le KGB et ses successeurs ont recruté ces “taupes” en misant sur l’idéologie, l’égo, parfois la compromission, souvent l’argent. Ils devaient rapporter tout ce qu’ils voyaient. Dans les grandes occasions, on les missionnait pour intoxiquer le “Château”. Révélations sur la pénétration russe au sein du pouvoir français, jusqu’à la présidence de la République, depuis le général de Gaulle jusqu’à Emmanuel Macron.

EPISODE 1 – Les espions russes au cœur de l’Elysée, nos révélations : comment la DGSI protège les présidents

EPISODE 2 – “André”, l’espion du KGB au journal “Le Monde” : les derniers secrets d’un agent insaisissable

EPISODE 3 – Un espion du KGB aux côtés du général de Gaulle ? Enquête sur l’affaire Pierre Maillard

EPISODE 4 – Un agent du KGB à l’Assemblée : nos révélations sur Jacques Bouchacourt, alias “Nym”

EPISODE 5 – Pierre Sudreau, le ministre très proche du KGB : ces documents inédits qui en disent long

EPISODE 6 – Journaliste à l’AFP et taupe du KGB sans le savoir : l’incroyable affaire Jean-Marie Pelou

EPISODE 7 – Un “espion relais” entre la Mitterrandie et l’URSS ? Les mille vies du “colonel” Harris Puisais

EPISODE 8 – Alexandre Orlov, le diplomate devenu agent d’influence de Vladimir Poutine en France

EPISODE 9 – Alexandre Benalla et le mystérieux contrat russe : enquête sur ses liens avec les oligarques

Dimanche 10 avril 2022. Dans un village de Normandie, une équipe de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), le contre-espionnage français, interrompt un échange entre un agent de l’ambassade de Russie à Paris et un Français, haut cadre d’une très grande entreprise. Le diplomate vient de lui remettre une grosse somme d’argent, plusieurs milliers d’euros, en cash, contre des documents.

L’opération, dont L’Express dévoile plusieurs aspects restés secrets, a été préparée de longue date. Cela fait à peu près dix-huit mois que les enquêteurs travaillent sur le dossier. Ils ont d’abord interrogé le dirigeant et compris qu’ils sont confrontés à une affaire d’espionnage à la fois économique et politique. Moyennant environ 10 000 euros par mois, ce haut cadre d’une multinationale française d’un secteur stratégique renseigne depuis plus de dix ans des espions russes du SVR, le renseignement extérieur, sur “les cercles décisionnaires français”, relate un dirigeant du renseignement français. En clair, l’homme profite de sa position pour répéter aux Russes tout ce qu’il sait sur les réflexions et les décisions stratégiques dans les cercles ministériels, voire au plus haut niveau. Et son poste lui donne, semble-t-il, accès à beaucoup de choses. “C’est une source à très haute valeur ajoutée”, est-il commenté. Les policiers estiment qu’il a perçu plus d’un million d’euros des Russes, toujours en liquide.

Confondu par la DGSI, le dirigeant a accepté de coopérer ; en échange, sa trahison, passible de dix ans de prison, ne sera pas judiciarisée. Au passage, le contre-espionnage découvre l’ampleur de l’ingéniosité russe dans l’organisation des rendez-vous clandestins avec cette taupe. Les codes “très élaborés” pour se rencontrer ou se transmettre des messages. “C’est tout ce que vous pouvez imaginer dans les films”, commente une source dans le renseignement français, qui considère cette opération comme la plus ambitieuse menée par les Russes en France depuis la chute de l’URSS. L’agent diplomatique pris en flagrant délit fait valoir son immunité. En tout, six diplomates-espions liés à cette affaire sont expulsés, dont un depuis le consulat russe à Strasbourg.

Cette manipulation vient rappeler que la Russie déploie davantage d’espions en France que dans n’importe quel autre pays. La DGSI estime que quelque “80” des 300 diplomates russes présents sur le territoire jusqu’à l’invasion de l’Ukraine relevaient des services secrets russes, le SVR, mais aussi le GRU, le renseignement militaire, et le FSB, l’agence du ministère de l’Intérieur. “En matière d’espionnage, on considère la Russie comme la menace n° 1 contre les intérêts français, pendant encore cinq à dix ans, devant la Chine”, avance un dirigeant du renseignement.

“Le KGB a toujours cherché à capitaliser sur la russophilie des Français”

Un motif de fierté totalement décomplexé au sein du pouvoir russe. Le 20 décembre 2020, Vladimir Poutine inaugure un mémorial en l’honneur des agents clandestins du SVR, à Moscou, en présence des médias. Sur la sculpture représentant un couple, on discerne des reproductions de la statue de la Liberté, de Big Ben… et de la tour Eiffel. Le Kremlin assume sans vergogne d’espionner la France en son cœur. Depuis le général de Gaulle jusqu’à Emmanuel Macron, le renseignement russe n’a cessé de déployer des moyens parfois insoupçonnables pour pénétrer l’appareil gouvernemental français au plus profond. Avec, souvent, la prétention d’y parvenir, en témoignent les Mémoires d’ex-officiers du KGB, comme le général Oleg Kalouguine, directeur du contre-espionnage extérieur de 1973 à 1979, affirmant que les informations stratégiques venus de France “coulaient comme d’un panier percé”. “L’espionnage russe, c’est un mélange de génie et de bureaucratie stupide”, résume un ancien dirigeant du renseignement intérieur.

Parmi les priorités du renseignement russe : le secteur de la haute technologie, la sphère militaire et, surtout, l’infiltration du pouvoir politique. “C’est probablement dans le domaine politique que les officiers du KGB se sont montrés les plus actifs. L’objectif recherché était l’influence”, avancent Raymond Nart, Jean-François Clair et Michel Guérin, ex-directeurs adjoints du contre-espionnage français, dans La DST sur le front de la guerre froide (Mareuil Editions). Le rôle de ces espions ? Tout savoir sur les décisions politiques et, parfois, intoxiquer les gouvernants. Pendant la guerre froide, l’antiaméricanisme d’une partie des élites facilite l’infiltration. “La Russie est un pays pour lequel notre élite intellectuelle a une attirance. Le KGB puis ses successeurs ont toujours cherché à capitaliser sur cette russophilie”, analyse Floran Vadillo, ex-conseiller ministériel, chercheur et coauteur des Espions de l’Elysée (Tallandier).

Lorsque le général de Gaulle décide du retrait de la France du commandement intégré de l’Otan, en mars 1966, le Kremlin exulte… et y discerne une réussite du KGB. “En 1968, le directeur de l’école du KGB n° 311 déclara nettement qu’aux yeux du Politburo les événements de France résultaient sans équivoque des efforts du gouvernement soviétique et des succès du KGB”, raconte le capitaine Alexis Myagkov, passé à l’Ouest en 1974, dans Un officier du KGB parle.

Le rôle de Jacques Vernant, alias “Fiodor”

La revendication paraît exagérée, même si a posteriori le contre-espionnage français a identifié un plan d’envergure du KGB pour intoxiquer le général de Gaulle. D’un côté, plus d’une centaine d’agents sont enrôlés pendant quatre ans pour compromettre Maurice Dejean, l’ambassadeur de France à Moscou. Ce résistant est un ami du Général. Le Kremlin est convaincu qu’il finira ministre des Affaires étrangères. Entre 1956 et 1960, on le met longuement en confiance afin qu’il trompe son épouse avec une “hirondelle” du KGB. Il s’agit ensuite de lui sauver la mise lorsque le faux mari jaloux menace d’un procès. Dans le rôle du deus ex machina, le général Oleg Gribanov, directeur du contre-espionnage soviétique, prétendument un membre influent du conseil des ministres.

De l’autre côté, le même Oleg Gribanov recrute François Saar-Demichel, un baron du gaullisme, grand financeur de l’Union pour la nouvelle République (UNR), lorsqu’il vient faire des affaires en URSS. Dans les années 1960, il est un agent important de la diplomatie parallèle entre la France et l’Union soviétique, interlocuteur direct du général de Gaulle. S’ensuit un double canal de désinformation. Ce que Raymond Nart définira comme une opération “tenaille”. “Nous avons vu converger, au niveau des organes français de décision, des informations fausses sur un pays de l’Est, les canaux utilisés étant un homme d’affaires et, parallèlement, un diplomate tombé dans un piège du service de renseignement local”, décrit à mots couverts Marcel Chalet, trente-sept ans à la DST jusqu’à en devenir directeur de 1975 à 1982, dans Les Visiteurs de l’ombre.

Dans les archives dites Mitrokhine, François Saar-Demichel est identifié comme un agent soviétique, sous le nom de code “NN”. Ces milliers de pages, aujourd’hui consultables à l’université de Cambridge, émanent d’une des premières fuites de données de l’histoire. Lanceur d’alerte avant l’heure, le colonel Vassili Mitrokhine, archiviste en chef du KGB de 1972 à 1984, rejoint le Royaume-Uni en 1992 avec six valises de documents. Ils décrivent des centaines d’opérations ultra-secrètes du renseignement soviétique, recopiées pendant douze ans, jour après jour. Ces pages ont permis de démanteler plusieurs réseaux d’espions dans le monde entier. Mais pas en France, où il a été décidé, au milieu des années 1990, de ne pas enquêter. Elles livrent néanmoins un aperçu exceptionnel de la pénétration du KGB dans les cercles de décision politiques, et en leur centre névralgique, l’Elysée.

Concernant la période gaullienne, L’Express peut révéler qu’on y découvre le nom de Jacques Vernant, alias “Fiodor”. De 1945 à 1978, cet agrégé de philosophie dirige le Centre d’études de politique étrangère (Cepe), à la fois laboratoire de recherche associé à Sciences Po ou au CNRS, et think tank qui deviendra l’Institut français des relations internationales (Ifri). Poste modeste en apparence… il est pourtant placé au centre de la diplomatie gaullienne.

3000 francs de prime

Dans Les Boîtes à idées de Marianne, l’historienne Sabine Jansen retrace l’histoire du Cepe. On y lit, un peu estomaqué, qu’au début de la Ve République, “le Centre devient une sorte de courroie de transmission au service de la présidence de la République”. Ancien chef de cabinet de Raymond Aubrac, cofondateur du mouvement de résistance Libération-Sud avec son épouse Lucie, Jacques Vernant est un “ami” de Pierre Maillard, le conseiller diplomatique du général de Gaulle.

Le départ du commandement intégré de l’Otan est précédé d’un texte en faveur d’une Alliance moins américanisée, publié dans Politique étrangère, la revue du Centre, en 1965. Ecrit par un groupe de diplomates et de militaires du Cepe, le document est en réalité “fabriqué à l’Elysée”, écrit Sabine Jansen. Affublé de ces galons d’agent de diplomatie parallèle, Vernant, nommé professeur à l’Ephe puis à l’EHESS, aura désormais l’accès direct au secrétaire général de l’Elysée et au chef d’état-major du président, même après le départ du général de Gaulle. Quant au Cepe, le général de Gaulle demande en personne au ministre de l’Education nationale, dans une lettre du 27 novembre 1967, de “mettre tout en œuvre pour lui permettre de poursuivre ses importantes activités”.

Jacques Vernant passe pour un “gaulliste de gauche mou”, selon le mot du géopolitologue Thierry de Montbrial à Sabine Jansen. Selon les archives Mitrokhine, il est un agent soviétique depuis 1946, sous le nom de code de “Fiodor”. Il est spécifié qu’il “fournissait” à ses officiers traitants “des documents sur les Etats-Unis, l’Otan et la Chine”. Son action semble appréciée puisque de 1973 à 1975, il fait partie des quatre espions français les mieux récompensés par le KGB, avec 3 000 francs de primes.

Jusqu’en 1977, le vice-président du Centre se nomme Maurice Schumann, ministre des Affaires étrangères de Georges Pompidou de 1969 à 1973. Ce grand gaulliste s’est retrouvé plus d’une fois dans l’entourage d’un espion puisqu’en 1982, il préface un livre-hommage en l’honneur d’André Ulmann. Il est aussi le président d’honneur de l’association des amis de ce journaliste engagé que le KGB rémunère pendant vingt-quatre ans. Son journal La Tribune des nations est financé à hauteur de 1,5 million de francs entre 1946 et 1978, y compris après sa mort, précisent les archives Mitrokhine.

Les mystères d'”Argus”

Sous Pompidou, Léo Hamon se retrouve lui aussi à la confluence de réseaux “kagébistes”. Cet avocat gaulliste de gauche est porte-parole du gouvernement de 1969 à 1972, proche du président de la République. Il fait partie du bureau de l’association des amis d’André Ulmann et du conseil d’administration du Cepe. Au décès de Jacques Vernant, en 1985, il rédige un long hommage pour Le Monde diplomatique. Il est suivi par la DST à l’époque où Jean Rochet la dirige, jusqu’en 1972, au point d’être, semble-t-il, placé sur écoutes alors qu’il est membre du gouvernement !

“Rochet et Xoual [NDLR : son adjoint] sont très heureux de l’éviction de Léo Hamon du gouvernement. Ils disent que des écoutes téléphoniques ont prouvé qu’il informait les Soviétiques”, lit-on ainsi au mois d’août 1972 dans Entretiens confidentiels de Georges Albertini, publié par son assistant Morvan Duhamel. Cet ouvrage, sorte de carnet de bord de la guerre froide en France, inspire une grande prudence, notamment en raison du passé d’Albertini : “collabo” condamné à la Libération, il se consacre après-guerre à l’anti-communisme. Il n’en restait pas moins consulté tant par la DST que par le duo Marie-France Garaud-Pierre Juillet, conseillers de Pompidou à l’Elysée, et donne un bon aperçu des rumeurs du pouvoir de l’époque.

Au gouvernement, Léo Hamon – sur qui rien de probant ne fut jamais retenu –, a un temps pour directeur de cabinet Paul-Marie de La Gorce, alias “Argus” dans les archives Mitrokhine. Ce grand journaliste, éditorialiste à TF1 et au Figaro dans les années 1970, avant de rejoindre Radio France, appartient au cabinet du Premier ministre Pierre Messmer de 1972 à 1974, avec “un accès à l’entourage du président Georges Pompidou”. Sur instructions du KGB, il transmet à l’Elysée des “informations tendancieuses” destinées à renforcer la méfiance du président envers les Etats-Unis, comme “André” du Monde à la même époque.

Pendant les législatives de 1973, “Argus” tente également de semer la zizanie entre les gaullistes, les Républicains indépendants de Valéry Giscard d’Estaing et Jean-Jacques Servan-Schreiber en intoxiquant Messmer comme la presse sur un prétendu complot anti-majorité présidentielle, rapporte l’historien britannique Christopher Andrew. En mars 2024, le journaliste Vincent Jauvert révèle, archives tchèques à l’appui, que La Gorce renseignait également les services de Prague et le GRU dans les années 1960, moyennant rétribution.

Les liens étroits entre journalistes et KGB

Les journalistes ont toujours servi de cible privilégiée du KGB. Six des dix agents du KGB les plus appréciés au milieu des années 1970 exerçaient cette profession. “Les journalistes ont accès à beaucoup de choses. Certains pouvaient partager des communautés de vues avec l’URSS”, commente le haut fonctionnaire Jérôme Poirot, coauteur du Dictionnaire du renseignement (Perrin). Et avoir accès aux lieux de pouvoir sans fastidieuse enquête sur leur compte. Pendant trente-cinq ans, Philippe Grumbach a renseigné le KGB, avons-nous révélé en février 2024, moyennant des versements substantiels. Cet ancien directeur de L’Express passait pour un proche de Valéry Giscard d’Estaing.

Parfois, la frontière est trouble. Il en est ainsi de ces interlocuteurs que le KGB désigne comme des “contacts confidentiels”. Certaines de ces personnalités acceptent de livrer quelques informations, sans collaborer pleinement, par exemple Etienne Manac’h, alias “Taksim”, directeur Asie au Quai d’Orsay puis ambassadeur en Chine. D’autres expriment des accords avec les objectifs soviétiques, sans potentiellement savoir qu’ils s’adressent à un agent de renseignement. Au fil des archives Mitrokhine, on croise le journaliste Pierre-Luc Séguillon, alias “Kelt”, futur présentateur et chef du service politique de TF1, le député gaulliste Pierre Godefroy, pseudonyme “Dep” ou encore le député socialiste Jean-Pierre Cot, alias “Shadrin”, ministre de 1981 à 1982. “Un contact confidentiel n’est pas forcément conscient que le KGB tente de le manipuler. Quand le KGB donne à quelqu’un un pseudonyme, cela signifie toutefois qu’il aimerait le recruter”, détaille Cyril Gelibter, doctorant en science politique, spécialiste des archives Mitrokhine, qu’il a longuement consultées à Cambridge, avant de partager ses découvertes avec L’Express.

Le renseignement soviétique et ses alliés aimaient surtout recruter de jeunes valeurs montantes. Avant 1981, l’énarque Jacques Attali, alors âgé de moins de 40 ans, est invité à déjeuner à l’ambassade de RDA. A la fin du repas, un conseiller s’approche de lui. “Ne pourriez-vous pas nous aider ?”, nous restitue Jacques Attali. Refus poli. Le haut fonctionnaire sera conseiller de François Mitterrand pendant dix ans. Hélène Carrère d’Encausse, elle, a attiré l’attention du KGB. A la même époque, la future académicienne est citée comme une personnalité à cultiver et affublée du nom de code “Sylvia”.

Dans l’entourage direct de François Mitterrand, seul Claude Estier est cité dans les documents Mitrokhine. Sous le pseudonyme de “Giles”, ce député, ami de longue date du “Sphinx” est considéré comme un agent, en lien avec un officier traitant du KGB de 1978 à 1983. L’URSS estimait qu’il fournissait des “informations issues de l’entourage immédiat de Mitterrand”, ce que l’intéressé a toujours réfuté. Le renseignement roumain le tenait également pour un informateur.

“Vous n’aurez qu’à le suivre !”

Dans ces archives, Charles Hernu n’apparaît pas. En 1996, L’Express a révélé que le ministre de la Défense de François Mitterrand a été un agent de l’Etat de 1953 à 1963. Cette absence ne permet de tirer aucune conclusion. “Il n’y a pas tout dans les archives Mitrokhine. L’archiviste a procédé par sondage, il n’a pas pu tout recopier. Il est aussi probable que certaines affaires n’aient pas été versées aux archives”, indique Thierry Wolton.

Yves Bonnet, directeur de la DST entre 1982 et 1985, avance que François Mitterrand lui-même connaissait des agents du KGB. La scène se serait passée dans le bureau du président à l’Elysée, en 1984, selon le récit qu’en fait Bonnet dans Au service secret de la France, de Jean Guisnel et David Korn-Brzoza, et qu’il a réitéré auprès de L’Express. “Vous m’avez fait expulser un de mes meilleurs amis, si ce n’est mon meilleur contact au sein de l’ambassade de l’Union soviétique !”, réprouve le chef de l’Etat. Il est question de Nikolaï Tchetverikov, le chef de poste du KGB en France de 1977 à 1983. On peinerait à y croire si dans Le Bunker, le journaliste Bernard Lecomte n’avait pas raconté comment le “kagébiste” a été autorisé à revenir en France, dès 1984, avec un visa en bonne et due forme. “Vous n’aurez qu’à le suivre !”, intime Roland Dumas à la DST, furieuse. L’avocat qualifiait Tchetverikov de “vieil ami”, affirme Christine Deviers-Joncour, son ex-maîtresse, dans Opération Bravo, en 2000.

La décennie 1990 marque une éclipse. Du moins en apparence. La Russie, faillie, semble avoir d’autres priorités que d’infiltrer le pouvoir français. A peine Jacques Dewatre, le directeur de la DGSE, est-il informé, lors d’un rendez-vous avec le patron du SVR, et photos à l’appui, des relations nocturnes de son chef de poste à Moscou, racontent Antoine Izambard et Franck Renaud dans Trahisons à la DGSE. En réalité, “les Russes n’ont jamais cessé d’espionner les Français. C’est juste qu’on n’y faisait plus attention”, avance la russologue Hélène Blanc. Dans KGB Connexion. Le système Poutine, l’universitaire publie un scoop, qui n’intéresse pas grand monde à l’époque : l’actuel Premier ministre François Bayrou lui a raconté comment il a fait l’objet d’une tentative de recrutement des services secrets russes, en 2001. Approché via un intermédiaire français “au-dessus de tout soupçon”, il se voit proposer le financement intégral de sa campagne présidentielle en 2002. “Nous suivons votre parcours depuis longtemps, croyons en votre avenir politique et sommes prêts à vous financer”, vend l’émissaire russe. Contacté, le locataire de Matignon n’a pas souhaité revenir sur cet épisode.

Les années filent et la menace revient. Vladimir Poutine, parvenu au pouvoir en 1999, y veille. “A partir de 2010, on commence à reparler de la Russie comme d’une puissance hostile, sans que cet objectif ne soit surplombant”, se souvient le chercheur Floran Vadillo. En témoigne le dossier du centre culturel orthodoxe, dans le XVIe arrondissement de Paris. En 2008, Nicolas Sarkozy cherche à se rapprocher de la Russie. Il donne son accord à l’installation de cette emprise diplomatique de 4 000 mètres carrés. Or, plusieurs acteurs de ce dossier nous le confirment, les services de renseignement opposent les plus grandes réticences. La DCRI (ex-DST et future DGSI) transmet plusieurs notes alarmistes à l’Elysée ; ce lieu diplomatico-culturel pourrait abriter un futur centre d’écoutes illégales. C’est d’autant plus fâcheux que les appartements privés de la présidence de la République se situent à deux pas. Las, le projet se fera. Il est depuis conseillé aux collaborateurs de l’Elysée de ne pas travailler de chez eux.

Le rôle du GRU dans la présidentielle de 2017

En avril 2017, les cyberespions du Kremlin passent près de leur graal : déstabiliser l’élection présidentielle française. Le 5 mai en début de soirée, dernier jour de la campagne, des pirates font fuiter près de 150 000 e-mails de cinq membres de l’équipe d’Emmanuel Macron. L’enquête judiciaire n’aboutira pas, mais des sources au sein du renseignement français font savoir à L’Express que l’attaque est imputée au GRU. Au passage, nos interlocuteurs indiquent que si la publication n’a pas eu lieu avant, c’est uniquement “par manque de temps”, Moscou n’ayant pas anticipé l’émergence d’En Marche.

En 2014, sous François Hollande, le GRU s’était fait remarquer par un activisme beaucoup plus classique. Le colonel Iliouchine, officiellement attaché de l’air adjoint, écume les cercles militaires, aborde de nombreux journalistes influents, se lie d’amitié avec quelques-uns, leur offre des cadeaux. L’un d’entre eux est un proche d’un conseiller du président de la République. L’agent du GRU commence à poser des questions. Trop vite. L’espion est repéré, expulsé.

Avec les 41 expulsions prononcées depuis l’invasion de l’Ukraine, le renseignement français estime avoir aujourd’hui mis à mal le dispositif russe, qui ne compterait plus qu’une trentaine d’espions sur le territoire. Le discrédit jeté sur le régime poutinien paraît en outre rédhibitoire. Et alors ? Quand les règles du jeu ne fonctionnent pas, les espions du Kremlin ont l’habitude de les changer. Le renseignement français se veut vigilant quant à de prochains recrutements sous faux drapeau, en se faisant passer pour des agents d’un pays du bloc occidental ou pour une entreprise. En Bulgarie, de telles manœuvres ont donné lieu, ces derniers mois, à des expulsions de “diplomates”. Ils avaient caché venir de Moscou.




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