Le Rassemblement national a-t-il été sage, cette année ? Suffisamment, en tout cas, pour voir sa principale demande satisfaite. Le 23 décembre au soir, François Bayrou a annoncé la composition de son gouvernement, et Xavier Bertrand n’en fait pas partie. Pressenti pour devenir garde des Sceaux, le président du Conseil régional des Hauts-de-France a finalement été tenu à l’écart, sur demande expresse de Marine Le Pen. Pas d’absolution envisagée, y compris une veille de réveillon de Noël. La cheffe du parti d’extrême droite, qui nourrit à son encontre une rancune bien réciproque, goûtait peu de voir ce dernier prendre la tête du ministère de la Justice au moment où elle attend encore le verdict du procès pour l’affaire des assistants parlementaires, dans lequel elle risque une peine d’inéligibilité.
Comme souvent avec le Rassemblement national, il faut maîtriser le double discours. Sur les plateaux de télévision, les élus marinistes se relayaient pour assurer qu’une “question de casting” serait insuffisante pour entraîner le vote d’une censure. François Bayrou, lui, a bien été assuré du contraire. C’est d’ailleurs Marine Le Pen elle-même qui s’est chargée de le lui rappeler, dans un coup de téléphone révélé par L’Express : la présence de Xavier Bertrand au sein de son gouvernement entraînerait un vote automatique de la censure de la part des frontistes, a-t-elle assuré. L’intéressé, lui, a bien compris ce qui lui arrivait. Et s’est même fendu d’un communiqué de presse, furieux, pour dénoncer un gouvernement “formé avec l’aval de Marine Le Pen”.
Le RN de nouveau au centre du jeu
Exit Xavier Bertrand, revoici donc Gérald Darmanin. L’ancien ministre de l’Intérieur fait son retour au gouvernement, à la Justice cette fois, et sous l’œil bienveillant des frontistes. Heureux hasard, voici ce qu’il tweetait, le 13 novembre, à propos de la députée du Pas-de-Calais : “Il serait profondément choquant que Marine Le Pen soit jugée inéligible et, ainsi, ne puisse pas se présenter devant le suffrage des Français. Combattre Madame Le Pen se fait dans les urnes, pas ailleurs.”
24 décembre. Le RN souffle. François Bayrou peut bien assurer que Marine Le Pen n’a “pas d’influence” sur la composition du gouvernement, les frontistes, eux, ont souri devant leur écran. “Hélas, rien n’aura été épargné aux Français : François Bayrou a réuni la coalition de l’échec”, a fait mine de se désoler Jordan Bardella sur le réseau social X.
Parmi les 35 nouveaux ministres, un assemblage de personnalités en grande partie recyclées des rangs macronistes, et relativement peu de figures issues de la gauche. De quoi laisser quelques beaux jours devant lui à l’argumentaire populiste frontiste, consistant à dénoncer un “parti unique” face auquel il serait le seul recours. De quoi, aussi, suffisamment agacer la gauche pour la pousser à déposer une motion de censure, qui aurait pour conséquence de faire, à nouveau, du RN la force pivot de l’Assemblée nationale. Un tour de manège pour rien, et revoici les marinistes au centre du jeu.
Pas de censure a priori, et l’attente d’une présidentielle anticipée
Tant mieux, parce que chez les frontistes, on n’a pas le goût de l’effort inutile. La déclaration de politique générale n’interviendra qu’au 14 janvier. D’ici là, c’est repos pour les troupes de Marine Le Pen. La patronne du groupe RN à l’Assemblée s’est, pour sa part, contentée de réagir à travers une vidéo publiée sur ses réseaux sociaux dans laquelle elle balaie les “non-événements du feuilleton gouvernemental”. Le mot d’ordre pour l’instant : pas de censure a priori du gouvernement Bayrou, et l’attente d’un “changement de méthode” dans la construction du prochain budget. Comprendre : satisfaire, encore, les revendications du RN, dont les “lignes rouges” n’ont pas changé depuis le budget de Michel Barnier.
Surtout, le budget n’est pas ce qui préoccupe le plus Marine Le Pen pour le moment. D’ailleurs, la rentrée de janvier n’est perçue par la frontiste que comme un “moment de fluctuation temporaire”, qui engendre certes “une inertie dommageable”, mais qui fait partie intégrante d’une “transition naturelle” d’un “régime à bout de souffle”.
Le projet de Marine Le Pen tient en deux mots : présidentielle anticipée. C’est tout le pari de la députée du Pas-de-Calais pour l’année 2025. Car elle en est persuadée : la fin de règne d’Emmanuel Macron entraîne une bipolarisation nouvelle de la vie politique. “Et dans cette nouvelle configuration, faute de figure forte pour porter la droite, toute la bourgeoisie conservatrice votera pour nous plutôt que pour un candidat de la gauche et du centre, assure un proche. Elle le fera contrainte et forcée peut-être, mais elle le fera.” Cela tombe bien, car à gauche, Jean-Luc Mélenchon fait le même pari, certain que face à Marine Le Pen, il serait celui qui l’emporterait. Noël s’achève, il est temps de se tourner vers l’année prochaine.
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