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“Ne pas soutenir Boualem Sansal, c’est alimenter la peur et le totalitarisme” : l’appel d’universitaires

Depuis plus d’un mois, l’écrivain Boualem Sansal est incarcéré en Algérie. Il est poursuivi en vertu de l’article 87 bis du Code pénal, qui réprime “comme acte terroriste ou subversif, tout acte visant la sûreté de l’État, l’intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions”, ce qui pourrait lui valoir un emprisonnement à perpétuité. Boualem Sansal a rejoint d’autres prisonniers, détenus pour avoir exprimé leur opinion ou exercé pacifiquement leurs libertés. Le régime algérien fait peser sur la société civile une véritable chape de plomb, en consolidant son autoritarisme au mépris des droits et libertés fondamentales, sévèrement rétrécies.

Selon une petite musique que l’on entend en France, Boualem Sansal ne serait cependant “pas un ange”, parce qu’il aurait pris beaucoup de positions “contestables”, laissant ainsi entendre que son arrestation serait justifiée. Aurait-on besoin d’être “d’accord” avec un prisonnier d’opinion pour le soutenir et demander sa libération, quand la seule question qui vaille est celle de la liberté à exprimer des désaccords ? Il faudrait d’ailleurs n’avoir jamais lu ni écouté Boualem Sansal pour penser qu’il serait un doctrinaire… Boris Cyrulnik, rappelant que Boualem Sansal est de formation scientifique, explique que l’écrivain “a décidé de se mettre en doute et de mettre en doute le monde qui l’entoure.”

Illustrant cette démarche philosophique par son engagement littéraire original, Boualem Sansal ne prétend absolument pas asséner des vérités. Bien au contraire : à travers son œuvre, il invite chacun, comme il le fait lui-même, à mettre en doute ses propres croyances. Ainsi, lui reprocher ses prétendues “positions” politiques ou historiographiques, c’est faire un contresens qui suppose que ses livres n’ont pas été ouverts – ou alors peut-être un peu vite. En effet, depuis l’arrestation de Boualem Sansal, on a sans doute trop développé les considérations géostratégiques, et pas assez parlé de son œuvre.

Message envoyé à tous

Dans son roman Dis-moi le Paradis, l’un des deux narrateurs, Tarik, déclare : “Le lecteur cherchera, ce sera sa contribution à notre rédemption. Il faut bien que les amis servent à quelque chose.” De fait, Boualem Sansal conçoit l’espace romanesque qu’il a créé comme un champ d’entraînement à la pratique démocratique. Pour concrétiser cette utopie, il réclame sans cesse l’assistance du lecteur de bonne volonté : ce “lecteur avisé [qui] cherche à approfondir sa connaissance pour rester maître de son jugement”, ce lecteur qui aspire au “vrai débat” sans reculer face “aux intimidations des uns et des autres” (Gouverner au nom d’Allah). En déclarant que “l’avis [de ses lecteurs] a force de loi dans la recherche conjointe de la vérité” (Lettre d’amitié, de respect, et de mise en garde aux peuples et nations de la terre), Boualem Sansal les invite et les encourage à poursuivre son travail en apportant leur propre contribution.

Boualem Sansal ne pourra malheureusement pas répondre, pour l’instant, aux lecteurs qu’il invite au dialogue : ce silence nous rappelle son absence insupportable et sa détention inutile, puisqu’aucun pouvoir n’est capable d’entraver la quête de vérité et de liberté dont Boualem Sansal est aujourd’hui l’un des plus illustres porte-drapeau. À partir de l’œuvre de Boualem Sansal, en prolongeant les pistes qu’elle ouvre, nous pouvons cultiver l’attitude de vigilance critique du lecteur face à la fiction, et du citoyen face aux idéologies.

Boualem Sansal vu par l’illustrateur Jacques Ferrandez, auteur notamment des “Carnets d’Orient” et des “Suites algériennes”.

L’emprisonnement d’un écrivain pour ses écrits heurte la conscience de chacun. Quelle que soit l’opinion qu’il réprime, le délit d’opinion signifie que l’arbitraire du pouvoir et la préférence partisane se substituent à la loi commune, au mépris des valeurs démocratiques. C’est un message envoyé à tous : une police de la pensée veille et pèsera sur chacun. C’est une menace qui suffit à réduire au silence toute velléité d’expression critique. Emprisonner un écrivain, c’est donc placer en résidence surveillée une part de la liberté de chacun.

Pluralité démocratique

Le romancier et essayiste Boualem Sansal est de ces hommes libres qui choisissent de forger dans une œuvre l’espace d’un dialogue pour la pensée de tous. Pour cela, il est aujourd’hui détenu par le pouvoir algérien, accusé d’atteinte à la sûreté nationale par la seule expression de son point de vue. En France, Boualem Sansal est aussi vilipendé par certains qui le désignent comme un adversaire politique tandis qu’il est détenu et empêché de répondre, ce qui dévoile leur conception du débat et du vivre-ensemble.

Par son arrestation-même, Boualem Sansal nous parle de liberté et nous engage à lui tendre la main, parce que soutenir Boualem Sansal, c’est soutenir la pluralité démocratique, la possibilité de l’engagement intellectuel dans la vie de la Cité, le dialogue des œuvres et la circulation des idées. Ne pas le soutenir, c’est alimenter la peur et le totalitarisme. Ne pas le soutenir, c’est encourager la violence et contribuer à l’intimidation de chacun. Ne pas le soutenir, c’est faire taire l’esprit de la dissidence et de la contestation, menacé aussi bien en Algérie qu’en Europe.

L’heure n’est pas à la tiédeur ni à de pernicieux “oui, mais…”. Il faut demander la libération de Boualem Sansal parce qu’il nous montre que la liberté a un prix. À chacun de nous d’apporter son écot, de parole et d’engagement, en exerçant une liberté dont Boualem Sansal est privé. Nous lui devons bien ça.

Nous demandons donc à tous ceux qui doutent encore, à tous ceux qui craignent de se compromettre, de ne plus hésiter à se mobiliser en faveur de la libération de Boualem Sansal, ne serait-ce qu’en diffusant les appels à l’intelligence, en lisant ses livres et en invitant largement à les lire. Par son œuvre, Boualem Sansal convie chaque lecteur à contribuer à la création commune d’un espace de débat libre et ouvert, fondé sur l’éthique de la discussion, et à le “compléter si besoin en puisant dans son propre espace” (Le Train d’Erlingen), c’est-à-dire en mettant à contribution nos propres histoires, nos connaissances, nos sensibilités et jusqu’à nos désaccords. Comment peut-on répondre à cette proposition par l’emprisonnement, par la haine ou par l’indifférence ? Nous demandons la libération immédiate et sans condition de Boualem Sansal et de tous les autres prisonniers d’opinion, avec d’autant plus de force qu’il ne s’agit pas ici de s’engager pour des idées, mais pour la liberté, fondement de la dignité humaine.

Les auteurs : Lisa Romain est enseignante et auteur d’une thèse de doctorat sur l’œuvre de Boualem Sansal. Hubert Heckmann est maître de conférences en littérature. Jean Szlamowicz est professeur des universités. Ils lancent un site, Littérature et liberté, consacré à Boualem Sansal.

Premiers signataires : Marc Angenot (professeur émérite de l’université McGill), Patrick Bazin (conservateur général des bibliothèques, ancien directeur de la Bpi (Centre Pompidou)), Arnaud Benedetti (rédacteur en chef de la Revue Politique et parlementaire, professeur associé à l’Université Paris Sorbonne), Georges Bensoussan (historien), Russell A. Berman (professeur à l’université Stanford et chercheur à la Hoover Institution), Jean-François Braunstein (philosophe et universitaire),Bruno Chaouat (professeur de littérature française, université du Minnesota), Thierry Chervel (éditeur du magazine en ligne Perlentaucher), Eric Dayre (professeur de littératures comparées à l’ENS Lyon), Jacques Ferrandez (auteur de bande dessinée et illustrateur), Christine Goémé (femme de radio), Christian Guemy C215 (artiste peintre), Danielle Jaeggi (cinéaste), Yves Jouan (poète), Michel S. Laronde (professeur émérite d’études françaises et francophones, université de l’Iowa), Pierre Mari (écrivain), Eric Marty (écrivain et universitaire), William Marx (professeur du Collège de France), Max Milan (écrivain), Gunther Nickel (professeur de littérature à l’université de Mayence), Antonio Augusto Passos Videira (professeur de philosophie à l’Universidade do Estado do Rio de Janeiro (Brésil)), Armand de Saint Sauveur (éditeur), George-Elia Sarfati (poète, linguiste, psychanalyste), Pierre-André Taguieff (philosophe, historien des idées), François Taillandier (écrivain), Claudine Tiercelin (professeur au Collège de France, membre de l’Académie des sciences morales et politiques).

Pour signer la pétition : https://chng.it/pk9mJc7gkR.




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