La victoire est à mettre au crédit de la première administration Trump. Fin mars 2019, le dernier bastion syrien de l’État islamique (EI) tombe, à Baghouz, sur le bord de l’Euphrate. “Je suis heureux d’annoncer qu’avec nos partenaires de la coalition internationale […], parmi lesquels les forces de sécurité irakiennes et les Forces démocratiques syriennes (FDS), les Etats-Unis ont libéré tous les territoires contrôlés par l’EI en Syrie et en Irak, 100 % du califat”, se félicite alors le président républicain. Il se montre néanmoins prudent : “Nous resterons vigilants […] jusqu’à ce que l’organisation soit vaincue, où qu’elle soit”.
Six ans plus tard, l’EI n’est toujours pas vaincu. Pire, le groupe terroriste refait parler de lui, sur le sol même des Etats-Unis. Et le tout à une vingtaine de jours du retour à la Maison-Blanche d’un Donald Trump ne s’attendant probablement pas à retrouver un tel dossier sur son bureau. En pleine nuit du Nouvel An, Shamsud-Din Jabbar, un ancien militaire de 42 ans, né au Texas, a foncé, en pick-up, dans la foule festive du centre historique de la Nouvelle-Orléans, faisant au moins 15 morts et plusieurs dizaines de blessés. Avant l’attaque, il a publié des vidéos où il précise être inspiré par l’Etat islamique, dont il avait le drapeau dans son véhicule.
L’attentat confirme la réémergence, l’an dernier, de l’EI comme menace internationale. Le 3 janvier 2024, près d’une centaine de personnes ont été tuées à Kerman, en Iran, lors d’un hommage au général Qassem Soleimani (éliminé par un drone américain en 2020), par deux hommes équipés de ceintures explosives. L’attentat a été revendiqué par l’EI et attribué à sa branche d’Asie centrale (l’Etat islamique – Province de Khorasan), de même que celui, le 22 mars, de la salle de concert du Crocus City Hall, à Moscou. Ce jour-là, quatre personnes ont attaqué à l’arme automatique les spectateurs, avant de mettre le feu au bâtiment, faisant 145 morts et des centaines de blessés. Puis en juillet, l’EI a aussi revendiqué son premier attentat à Oman avec l’assassinat de six personnes dans une mosquée chiite.
A cela s’ajoute une recrudescence des projets d’attentats djihadistes en Occident. Plusieurs ont été déjoués par les services de sécurité en France, au cours de l’année – deux personnes de 18 ans ont ainsi été interpellées, fin juillet, après la création d’un groupe sur les réseaux sociaux pour recruter des partisans de Daech (l’EI en arabe) prêts à perpétrer une attaque pendant les Jeux olympiques. Aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Hongrie, en Suisse et ailleurs sur le continent, des dizaines de suspects ont été arrêtés pour la détention ou la diffusion de propagande de l’EI, leur appartenance ou leur soutien à l’organisation, voir pour des projets d’attentats, comme celui visant, en Autriche, un concert de la chanteuse américaine Taylor Swift.
Cette recrudescence était également patente aux Etats-Unis avant même l’attentat de la Nouvelle-Orléans, comme le rappelle le chercheur Aaron Zelin, du Washington Institute. “Sur les 14 arrestations liées à l’EI aux Etats-Unis en 2024, cinq l’étaient pour des projets d’attentat, précise-t-il sur le site de référence qu’il a fondé, Jihadology. Ils visaient des églises dans l’Idaho, des établissements LGBTQ à Philadelphie, des synagogues et centres juifs à New York, des bureaux de vote le jour des élections à Oklahoma City et une gay pride à Phoenix.” Il note également, dans une tribune publiée en juillet, que “la Turquie est devenue un épicentre des projets d’attentats de l’EI, le pays ayant enregistré [en 2023] le plus grand nombre d’arrestations liées à l’EI au monde”.
L’EI se consolide en Afrique
La plupart de ces violences et de ces projets d’attentats semblent être le fait de personnes guidées, via Internet, par des membres de l’Etat islamique, ou par des individus “inspirés” par une propagande sur Internet traduite dans de nombreuses langues. “Les attaques relèvent de différentes branches de l’EI avec qui le lien se fait en ligne, via des modes d’emploi opérationnels, note Lucas Webber, analyste au sein de la plateforme Tech Against Terrorism. L’EI montre ainsi sa détermination à frapper l’Occident et en particulier les Etats-Unis, vus comme un acteur puissant et influent dans les régions où agit l’EI, avec pour message que malgré la fin de leur territoire en Irak et Syrie, ils ont la capacité de se venger.”
Ces attaques téléguidées surviennent alors que plusieurs pays sont dans l’incapacité d’éradiquer les branches de l’EI prospérant sur leur sol. L’EI-Khorasan est la priorité sécuritaire des Talibans, victimes de leurs attentats en Afghanistan. La tendance est à un déplacement du centre de gravité de l’organisation vers le sud et en particulier vers l’Afrique, où l’EI consolide ses opérations. “Plusieurs fronts se sont développés : un front sahélien de 2 000 à 3 000 combattants, selon l’ONU, un front autour du lac Tchad de 4 000 à 7 000 personnes, un autre en Somalie comptant quelques centaines d’hommes en armes, dont des étrangers, souligne Marc Hecker, directeur adjoint de l’IFRI et coauteur de La Guerre de vingt ans : Djihadisme et Contre-terrorisme au XXIe (Robert Laffont, 2021) avec Elie Tenenbaum. Mais pour le moment cette menace paraît plutôt régionale, sans capacité de s’exporter vers l’Europe.”
Depuis la chute récente du régime de Bachar el-Assad, l’inquiétude porte sur la résurgence possible d’un sanctuaire à partir du désert syrien. Le 31 décembre, la France a mené, pour la première fois depuis plus de deux ans, des frappes sur deux positions de l’EI dans cette région, dans la lignée des dizaines de bombardements effectués au début du mois par les Etats-Unis sur d’autres sites du groupe terroriste. Malgré la fin du califat, l’EI reste actif dans la région. A cela s’ajoute le risque que représentent les milliers de ses combattants détenus, avec leurs familles, dans les camps et les prisons sous la responsabilité des groupes kurdes en Syrie, dans le viseur du pouvoir turc.
Cette remontée en puissance djihadiste intervient alors que cette menace n’est plus la priorité de la Maison-Blanche. Un cycle stratégique s’est refermé, commencé par les attentats du 11-Septembre et achevé, d’une certaine façon, avec le retrait d’Afghanistan au profit des Talibans. Pour Washington, la Chine est dorénavant la principale priorité stratégique, suivie par la Russie. “Il y a moins de ressources qu’auparavant consacrées au contre-terrorisme, constate Lucas Webber. Mais les acteurs comme l’EI ou Al-Qaida vont persévérer dans leur volonté d’attaquer, il faut donc maintenir une vigilance importante, en se focalisant notamment sur les activités en ligne et les empreintes qu’y laissent les djihadistes, pour les entraver.”
Donald Trump pourrait décider que la lutte antiterroriste doit davantage se focaliser sur les islamistes et moins sur la menace de l’extrême droite (mise en lumière par l’invasion du Capitole le 6 janvier 2020 par des partisans du leader républicain). Il semble en tout cas peu probable que la nouvelle administration donne plus de moyens militaires à la lutte contre l’EI, alors que la tendance semble aller à une réduction des engagements militaires à l’étranger. “Il faudrait quelque chose de beaucoup plus gros que ce qui s’est passé à la Nouvelle-Orléans, avec des liens massifs et avéré au Moyen-Orient ou en Asie centrale, estime Marc Hecker. En gros, sans nouveau 11-Septembre, pas de second cycle de guerre contre le terrorisme.”
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