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L’insipidité du vin naturel, symptôme du prêt-à-penser urbain progressiste, par Abnousse Shalmani


On dit souvent qu’il faut éviter de retrouver de vieux amis. Si ce n’est pas toujours vrai, vous prenez toujours le risque d’une pièce rapportée qui vous bousille le goût du vin. Justement. Cher lecteur, j’avoue être encore très dubitative devant les vins naturels, outre qu’ils dégagent systématiquement un effluve d’huile d’olive, je ne comprends pas comment un vin naturel de Loire peut avoir la même robe rouge clair fadasse, la même absence de goût qu’un vin naturel de Provence-Alpes-Côte d’Azur. Que le “naturel” géographique et climatique produise la même soupe affublée d’un nom ridicule à un prix délirant me laisse pantoise.

Ce que doit penser un animal social intégré

La piètre pièce rapportée située dans le très haut du panier social d’un amical dîner parisien m’expliqua doctement que “oui, mais” c’est une question d’éducation. Terreur. Le vin est dégueulasse certes, mais c’est parce que mon palais n’a pas été rééduqué à l’aune de la doxa dominante. S’ensuivit un enchaînement spectaculaire de tout ce que doit penser un animal social intégré : de la culpabilité sur le climat au fascisme au pouvoir partout (de Macron à Milei, sans oublier l’indispensable accessoire de dîner qu’est devenu Elon Musk) en passant par le génocide à Gaza (et le Soudan ça va ?) etc.

Rires intérieurs (et extérieurs) mais surtout grosse fatigue d’entendre enfiler sans complexes les perles conformistes du parfait urbain conscientisé et progressiste comme avant-hier, adolescente, j’écoutais, en cherchant une échappatoire, le patriarche considérant qu’aujourd’hui tout avait un sale goût, que plus rien ne tenait debout et que le Général en aurait eu la nausée. Tout cela participait du même conformisme social mais ce qui m’inquiéta c’est l’uniformisation de ce conformisme, cette même mélodie qui se retrouve partout où je pose l’oreille. Mais comment le monde parisien s’était-il réduit à ce point ?

Familles de banlieue et bulgomme

Le lendemain, en me promenant dans un Paris vidé de ses habitants où se pressaient des touristes heureux, mes pas me menèrent jusqu’au désastre urbain et économique de la rue de Rivoli et devant le BHV, ce grand magasin encore populaire à l’époque de mes cinq années estudiantines à vendre des nappes et à découper de la toile cirée à mi-temps. Je me souviens encore des samedis après-midi où des familles de banlieue se déchiraient autour du bulgomme avec ou sans antidérapant, des couples homos qui se tenaient amoureusement la main, des vieux couples du quartier qui rachetaient la même nappe depuis vingt ans, de la mixité sociale qui se pressait dans les rayons, où la périphérie et le centre se retrouvaient servis par des vendeurs qui n’étaient pas que des étudiants à mi-temps sur fond de musique électro.

Il y a vingt-cinq ans, nous étions deux étudiantes vendeuses, le reste du personnel était constitué de vendeurs professionnels dont beaucoup travaillaient à la guelte dans le grand magasin depuis l’adolescence. J’ai déjeuné chez ma cheffe de rayon dans son pavillon de Saint-Denis acheté avec son mari chef de rayon en robinetterie, j’ai été témoin de mariage, avec une collègue d’obédience juive, d’une collègue catholique qui épousait un protestant à la mairie de Boulogne-sur-Mer, je parlais frénétiquement de cinéma avec Franck le manutentionnaire qui avait passé dix ans dans l’armée. J’ai côtoyé avec surprise et plaisir des mondes inconnus, à Paris qui était alors une île où se côtoyaient toutes les idées, toutes les conneries et tous les votes.

L’uniformisation territoriale n’était encore qu’à ses prémices et le conformisme généralisé d’aujourd’hui est le résultat des frontières qui dorénavant rendent impossible le passage d’un monde à un autre en l’absence de lieux où se retrouver. Il est impossible d’échapper au vin naturel et à l’humanisme en carton-pâte sélectif quand vous habitez le centre parisien. Il n’y a plus de vendeuses au BHV pour vous offrir la chance d’un coq au vin servi avec un malbec dont tu me diras des nouvelles, il n’y a plus de belle-mère et de gendre qui s’engueulent au rayon bulgomme parce qu’ils ne peuvent plus atteindre le centre de Paris. Il ne reste plus que des clones prisonniers d’un surmoi social qui n’offre aucune échappatoire à l’esprit critique. Les réseaux sociaux numériques sont une réalité géographique. Et c’est aussi triste qu’angoissant.

Abnousse Shalmani, engagée contre l’obsession identitaire, est écrivain et journaliste




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