L’Europe est piégée par sa façon de penser l’éthique. Chacun connaît la distinction éclairante faite par Max Weber entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. La première s’en tient aux principes moraux alors que la seconde s’attache aux effets de l’action. Ainsi, le pacifisme munichois relevait de l’éthique de conviction et la force militaire churchillienne de l’éthique de responsabilité. Les deux visaient la paix mais la première refusait de voir la réalité là où la seconde était conséquentialiste. Le jugement de l’Histoire a été sans appel.
Face à la plupart des défis globaux contemporains – technologiques, géopolitiques, climatiques… –, l’Union européenne a malheureusement choisi le camp de l’éthique de conviction et on ne peut qu’espérer qu’elle révise de façon accélérée cette façon de voir le monde d’ici au 20 janvier, date de l’installation de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Pendant toute la campagne présidentielle américaine, 90 % des responsables politiques européens se sont inclinés devant le mythe de l’homme fort “qui va sauver le monde” – à l’extrême droite surtout –, rassurés à bon compte – “Il ne fera pas ce qu’il dit” –, ou le plus souvent, se sont contentés de jugements moraux – “Quelle vulgarité !”. Concernant le soutien d’Elon Musk à l’AfD allemande ou à l’extrême droite britannique, c’est exactement le même comportement moral qui prévaut, comme si cette posture pouvait avoir un quelconque effet. Peu de responsables ont été capables de mener une réflexion intellectuelle relative aux conséquences de l’élection de Trump sur les intérêts européens et à la façon optimale de répondre à ce nouveau défi.
Les principes trumpiens sont simples
Pourtant, les données du problème ne sont pas si complexes, car les principes qui devraient régir la politique de Trump sont simples et clairs : premièrement, les Etats-Unis vont moins soutenir militairement leurs alliés, quitte à se désengager partiellement de l’Otan ; deuxièmement, Trump veut considérablement accélérer la réindustrialisation américaine entamée avec succès par l’administration Biden avec l’Inflation Reduction Act. Ce qui passera par des baisses d’impôts et des déréglementations massives. Troisièmement, les Etats-Unis vont utiliser l’arme protectionniste pour obtenir ce qu’ils veulent des pays tiers, sur à peu près tous les sujets : commerce international, utilisation du dollar, contrôle de l’immigration…
Concernant le premier sujet, la réponse à apporter par l’Union européenne passe essentiellement par les politiques nationales. Pour se protéger, chaque pays doit faire converger rapidement ses dépenses militaires vers 3 % du PIB – la France est à 2 %. La Pologne, nucléairement non dotée, et bien placée, si l’on ose dire, pour saisir la nature de la menace russe, peut donner à ses voisins le mode d’emploi. A une importante nuance près : l’Europe doit pousser Trump dans ses retranchements. Si les Etats-Unis diminuent leur soutien militaire, les pays européens doivent avoir le courage de s’équiper de plus en plus en matériels non américains, quitte à faire face à la fureur verbale trumpienne. Cet acte de courage est une nécessité pour notre autonomie stratégique, et elle serait une excellente nouvelle pour le secteur français de la défense.
Un virage culturel de l’Europe
Sur le deuxième sujet, l’UE doit opérer un virage culturel en abandonnant sa passion normative et en mettant toutes ses forces dans le développement d’une énergie décarbonée pas chère – le nucléaire notamment –, la libéralisation économique et la simplification. C’est un véritable changement de paradigme pour notre continent hyperprotégé et toujours hyperprotecteur, mais c’est la condition sine qua non si l’on ne veut pas que ce qui reste de notre base industrielle file aux Etats-Unis dans les prochaines années.
Reste la réaction au protectionnisme trumpien. Les taxes sur les importations sont en réalité des taxes sur les consommateurs et toute la littérature économique s’accorde pour souligner que le protectionnisme se retourne in fine contre son auteur. Répondre au protectionnisme américain par un protectionnisme européen serait une faute contre nos concitoyens. Sur ce sujet, l’Europe doit rester calme et ne pas céder aux provocations de nos amis américains. Pour le coup, son ADN l’en rend tout à fait capable.
Nicolas Bouzou, économiste et essayiste, est directeur du cabinet de conseil Astères
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